Ticker du 15 septembre 2023

d'Lëtzebuerger Land du 15.09.2023

Le guet-apens de Kikuoka

« Aucun arrêt approprié n’a pu être trouvé à proximité », nous renseigne l’application Mobilitéit.lu lorsqu’on y tape l’adresse de l’Hôtel Mercure de Canach. Impossible, donc, de se rendre en transport en commun au raout annuel de la Fedil, ce mardi. Le lobby de l’industrie a choisi un golf, le Kikuoka, pour parler « défis d’avenir et attractivité du Grand-Duché ». « Ce n’est pas un forum politique », prévient d’emblée sa présidente, Michèle Detaille, avant d’accueillir sur scène les panélistes (photo : Sven Becker), dont le ministre de tutelle Franz Fayot (LSAP). Mais avant de débattre de la politique industrielle sur le thème « Bridging ambition and execution », l’organisation diffuse un clip vidéo. S’y enchaînent des coupures de presse stigmatisant un prétendu déclin de l’industrie nationale et continentale liée à un excès de réglementation. Puis trois logos occupent le grand écran : Knauf, Fage, Google, trois entreprises qui avaient, au cours des deux dernières mandatures, manifesté leur désir de s’installer au Luxembourg, avant d’y renoncer. L’industrie et, dans le champ politique, le CSV et l’ADR attribuent aux écologistes et au socialiste Franz Fayot la responsabilité de ce qu’ils perçoivent comme un échec. À la fin du clip, MC René Winkin concède qu’il aurait peut-être dû demander aux participants à la discussion de confronter l’assemblée après sa diffusion. Le ministre socialiste est directement invité à s’exprimer sur la manière dont il entend conjuguer compétitivité industrielle avec transition énergétique et digitale. Il défend son bilan, rappelle les crises qu’il a affrontées depuis son arrivée au ministère en 2020 (Covid-19, Ukraine, énergie), constate les changements du commerce mondial et tend la main : «  Entirely with you on the imperative to cut red tape. (…) Industry is essential », lance le socialiste à une assemblée pas entièrement conquise. Franz Fayot, profil bobo-intello, souffre d’un désamour dans l’industrie locale, notamment parce qu’il succède à un Etienne Schneider réputé davantage pro-business (parfois aux dépens de considération morales). L’intéressé est d’ailleurs identifié comme celui qui a annoncé le projet du data centre de Google à Bissen après un tweet (en 2016) où il dit avoir discuté de l’« implementation of a major investment » avec son cofondateur Larry Page. En réalité, les contacts avec Google se sont tissés entre Gérard Hoffmann (patron de Proximus et membre du board de la Fedil) et l’un de ses camarades de Stanford, haut placé à Mountain View.

Mardi à Kikuoka, le discours du député européen CSV, Christophe Hansen, semble plus audible que celui de Fayot. L’intéressé plaide (et agit à Strasbourg) pour signer un maximum d’accords commerciaux. Il glisse qu’« un parti » au Luxembourg a inscrit l’allégement des procédures administratives dans son programme. Dans le public est assis son camarade de parti Luc Frieden seul Spëtzekandidat à consacrer son mardi après-midi à la problématique. À la pause, les deux hommes retrouvent l’ancien ministre CSV et actuel vice-président de la Fedil, Jean-Louis Schiltz. Le forum est quand même un peu politique. pso

Match point

Le média suisse Gotham City raconte ce jeudi les plaidoiries qui se sont tenues cette semaine à Barcelone dans un procès intenté par la Banque de Luxembourg contre l’ancienne championne de tennis espagnole Arantxa Sanchez. La banque privée du boulevard Royal essaie de récupérer auprès de la vainqueure de Roland Garros 1989 les six millions d’euros qu’elle lui a prêtés pour régler ses déboires avec le fisc. Mais les avoirs de l’ancienne joueuse, qui se dit « désargentée », se sont évaporés dans des centres offshore. pso

Une grève historique

Les syndicats sont passés à l’acte ce jeudi. Ils ont mis à exécution la menace de grève brandie cette semaine face à la direction de la compagnie nationale de fret aérien, Cargolux. La première de l’histoire, selon l’entreprise. L’OGBL et le LCGB ont organisé un piquet de protestation (photo : Olivier Halmes). Voilà un an que la direction et la représentation du personnel négocient la convention collective applicable à une partie des 2 250 employés. Les intéressés ont reçu presque 200 000 euros brut d’intéressement ces trois dernières années, trois exercices records dûs au fait que la concurrence de l’airline passager était clouée au sol. La conjoncture se retourne, a rappelé le directeur général, Richard Forson, hier au cours d’une conférence de presse. L’intéressé a été contraint de clarifier les négociations par médias interposés (ce qu’il avait dit ne pas vouloir faire) après l’annonce d’une grève à durée indéterminée. Les syndicats demandent notamment une augmentation des salaires de six pour cent sur quatre ans quand la direction plafonne à quatre pour cent sur cinq ans. L’OGBL et le LCGB se sentent en position de force. Cargolux a deux milliards de dollars de cash en banque (pour financer la nouvelle flotte et l’augmentation des coûts, insiste Richard Forson) et les élections se profilent. Le ministre de tutelle, François Bausch (Déi Gréng), et le gouvernement dans son ensemble (l’État étant actionnaire majoritaire) auraient préféré s’épargner un conflit social en pleine campagne. pso

Comment / no comment

Pas de commentaire au Conseil national des Finances publiques. Invité par le Land à s’exprimer sur la trajectoire des finances, le président du CNFP Romain Bausch préfère « limiter sa communication » à l’occasion de la présentation par le gouvernement du Programme de stabilité et de croissance et à celle du projet de budget. Dans le recueil Face aux grands défis publié la semaine passée par Idea, Christel Chatelain, directrice des affaires économiques de la Chambre de Commerce, dénonce un défi négligé, le financement des pensions. Le déséquilibre entre recettes et dépenses de pensions est annoncé dès l’année 2027. « L’épuisement de la réserve de compensation à l’horizon 2047 », prédit l’économiste. Robert Urbé, expert indépendant en inclusion sociale, préconise des réformes de long terme sur les finances publiques, les retraites et la fiscalité, afin de mettre fin à la navigation à vue. Pour combler les caisses mais aussi pour sortir les retraités menacés par la précarité, « il est du devoir de nos dirigeants de nous y préparer et non de nous laisser dans l’illusion que tout continuera comme avant (pourvu que nous leur donnions nos voix) », écrit-il.

Mais avec quelle marge de manœuvre ? Le directeur du Statec, « Dr Serge Allegrezza », dévoile qu’une enquête réalisée par l’institut national de la statistique (non publiée) a montré qu’une forte proportion de nos concitoyens voit d’un bon œil une rigueur de type « budget de la ménagère », à savoir un État qui ne dépenserait pas plus que ce qu’il ne gagne. Il balance : « Autant dire que le citoyen lambda et le député de base, sans parler du reporter pressé, n’ont aucune chance de se faire une impression juste de la situation des finances publiques. Ils préfèrent donc se fier au ‘bon sens atavique de la ménagère’ ou à la notation de Moody’s. » Le conseiller compétitivité du ministre de l’Économie souligne justement que le CNFP a déjà écrit que la dette publique « pourrait traverser le plafond » des trente pour cent du PIB au cours des prochaines années. « Le CNFP égratigne, mezza-voce, la politique budgétaire de la coalition », juge Serge Allegrezza. Pour rappel, le gouvernement s’est lourdement appuyé sur les calculs de ce dernier pour subventionner la facture énergétique des ménages et juguler l’inflation. Le directeur du Statec se félicite ainsi de la réforme lancée par le commissaire européen Gentiloni. Elle prévoit la soutenabilité financière en fonction des investissements climatiques et sociaux. « Le gouvernement pourrait décider de grands programmes cohérents de dépenses qui doivent répondre à des objectifs explicites quantitatifs à atteindre », explique celui qui a annoncé son prochain départ du Statec et qui glisse ici qu’il faudra un pilote dans cet avion. pso

Pierre Sorlut
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