Du profit shifting au tax shift
« Nous avons besoin d’une nouvelle sorte de taxe pour nous éloigner de l’économie linéaire », a fait savoir Romain Poulles, président du conseil supérieur du développement durable jeudi matin lors d’une conférence de presse au Musée du déchet (MUD), route d’Arlon à Strassen (photo : pso). Cet aréopage de quinze experts rassemblés depuis 2004 pour alimenter le débats sur le développement durable s’intéresse ici à la taxation de la pollution, « une pièce du puzzle parmi d’autres », précise Romain Poulles. Et il s’avère que le bon vieux principe du pollueur payeur n’est pas appliqué au Luxembourg. « A mere 0.03% of tax revenues are based on resource use and pollution. This means that the Polluter Pays Principle is not consistently applied », écrivent les auteurs du chapitre local de l’étude présentée cette semaine, Turning tax into a force for good | The Ex’tax Project.
Cette partie éditée par le Conseil supérieur du développement durable avec la collaboration du Statec complète l’étude générique préparée en juin 2022 par les Big Four et Cambridge Econometrics, The Taxshift. An EU fiscal strategy to support the inclusive circular economy. The Ex’Tax Project, qui a pour punchline « Tax pollution not people », consiste en un programme visant à donner aux pays membres de l’Union européenne les informations et outils pour mener des politiques fiscales visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre. La Goldschmeding Foundation (du fondateur du géant mondial du recrutement Randstad, d’origine néerlandaise) et la Degroof Petercam Foundation (du groupe belge éponyme) financent les recherches.
Les géants de l’audit que sont PWC, Deloitte, EY et KPMG, avaient été stigmatisés fin 2014 pour avoir joué un grand rôle dans « l’obscurité offshore » (offshore murk), selon les termes du consortium international de journalistes qui avait publié les Luxleaks. Après avoir excellé dans le profit shifting permettant aux multinationales de loger les bénéfices dans les juridictions où elles ne paient pas ou très peu d’impôts, ces mêmes firmes pilotent maintenant la transition écologique grâce au levier fiscal.
Payons pour voir. Le chapitre luxembourgeois présenté ce jeudi tient compte des ajustements statistiques liés à l’emploi frontalier. Le Luxembourg est avant-dernier de l’UE en taxation environnementale avec 1,4 pour cent du PIB. La taxation écologique contribue seulement pour 3,8 pour cent des recettes fiscales. Tandis que la taxation du travail en apporte 47,3 pour cent. En cette année électorale, l’étude prodigue des recommandations pour remettre le Grand-Duché sur les rails d’une taxation durable avec des remises d’impôts (réduction de quarante pour cent de l’imposition sur les revenus des personnes physiques, augmentation de vingt pour cent des subsides aux ménages les moins dotés). Sont proposées en contrepartie d’une imposition de l’utilisation des ressources : Vingt pour cent d’augmentation de charge kilométrique, 47 pour cent d’augmentation de la TVA ou encore 19 pour cent de la taxation des transports aériens. Les ajustements porteraient sur deux milliards d’euros de recettes fiscales (soit moins d’un dixième du total).
En mettant progressivement ces mesures en place d’ici cinq ans, le PIB du Luxembourg croîtrait de 0,5 pour cent, l’emploi de 1,4 pour cent, écrivent les auteurs du rapport. Les émissions de CO2 chuteraient de 11,6 pour cent. « Companies that ‘do more with less’ will gain a competitive advantage in the current climate », lit-on par ailleurs. Un aspect sur lequel a insisté jeudi matin Georges Bock, spécialiste de la finance et de la fiscalité au sein du Conseil supérieur pour un développement durable. Le fiscaliste a notamment dirigé KPMG Luxembourg de 2012 à 2016 et est actif aujourd’hui dans le monde des start-up. Georges Bock (qui siège également au conseil d’administration des Éditions D’Lëtzeburger Land) précise : « Mir maachen keng Politik hei ». pso
No one is innocent
Dans un rapport d’enquête sur le secteur immobilier résidentiel publié mercredi, l’Autorité de la concurrence stigmatise une série d’acteurs qui, par intérêt ou incompétence, provoquent la crise du logement. Une aubaine en cette année électorale pour promettre un nettoyage. Chance dont s’est immédiatement emparée le ministre qui exerce la tutelle sur la Concurrence, Franz Fayot (LSAP). « Promoteuren an d’Immobilienagencen hunn di lescht Jore wesentlech zu der Präisexplosioun am Logement bäigedroen », a fait savoir le ministre de l’Économie sur Twitter quelques heures après la publication de l’enquête.
Les services de Pierre Barthelmé ont focalisé leur attention sur les promoteurs, au centre du secteur immobilier car liés à l’acquisition de terrains, au financement (et l’assurance), à la commercialisation, à la construction et aux procédures administratives. L’enquête sectorielle révèle que les sociétés de promotion ont multiplié par huit leurs bénéfices entre 2010 et 2020. Le chiffre d’affaires a presque triplé (et le nombre d’entreprises n’a même pas doublé). En 2020, les 1 105 promoteurs ont réalisé 2,5 milliards d’euros de revenus et généré un excédent brut d’exploitation de 500 millions d’euros. « An derselwechter Zäit ass d’Zuel vun de gebaute Wunnenge quasi konstant bliwwen », relève le ministre socialiste.
Est également montrée du doigt par l’Autorité de la concurrence (et Franz Fayot), la connivence entre promoteurs. Certaines « formes d’association entre promoteurs peuvent donner lieu à des échanges d’informations menant à des effets restrictifs sur le jeu de la concurrence », écrit l’Autorité de la concurrence qui assure vouloir maintenir sa vigilance sur ce point. « 83 % vun den existente Bauterrainen zu Lëtzebuerg (3 567 Hektar) gehéieren e puer Betriber a Privatleit. Dës Spekulatioun dréit zur Deierecht vun de Präisser vum Bauland a vun de Logementer bäi », s’emporte Franz Fayot. L’Autorité de la concurrence relève que la spéculation foncière profite aux promoteurs et « contribue significativement à la flambée des prix du foncier et du logement en restreignant l’offre de logements, qui se trouve à la base de tant de problèmes sociaux au Luxembourg ». Mais la rétention ne tient pas qu’à une logique spéculative, précise-t-elle. « Il est raisonnable de penser que certains promoteurs ont rassemblé un nombre important de terrains afin de limiter les risques d’investissements liés aux délais administratifs et à la volonté politique. La constitution d’une réserve foncière permet en effet aux promoteurs de transférer leurs ressources sur un autre projet en cas de refus », écrit l’Autorité de la concurrence dans son rapport de 80 pages. Une acquisition anticipée permettrait en outre de faire face à l’incertitude quant aux délais administratifs constatés. « Il ne semble pas anormal qu’un promoteur achète des terrains pour une planification d’activité sur quinze ans lorsque les négociations d’avant-projet d’un PAP peuvent s’étendre sur vingt ans », est-il jugé. L’État et les communes portent aussi leur part de responsabilité pour leurs pesanteurs administratives et politiques.
Est également engagée la responsabilité des entreprises de construction à qui l’on reproche de s’entendre pour maintenir de bas salaires et rendre l’embauche moins attractive… pour ne pas avoir à payer plus trop de gens et ainsi garder la main sur les marges et le stock foncier. « Une telle concertation pourrait avoir un effet négatif sur le nombre de nouveaux logements construits tout en augmentant le prix de vente des logements et les marges des employeurs », lit-on dans le rapport d’enquête. Enfin, l’Autorité de la concurrence juge que le monopole d’émission de garanties d’achèvement Vefa en faveur des banques (concurrencées de facto par les assurances), basé sur un règlement grand-ducal, n’est pas constitutionnel : « L’Autorité est d’avis que l’état actuel du droit est source d’incertitude pour les acteurs concernés. Aucun acteur historique luxembourgeois n’a investi en ce marché, en partie à cause de cela. Ce qui a pour conséquence que les principaux émetteurs de garanties d’achèvement sont soit situés à l’étranger soit de grands groupes internationaux. » Une abrogation pure et simple du monopole est proposée. Franz Fayot promet de soumettre les résultats de l’étude au conseil de gouvernement. « Mir mussen op allen Niveauen alles maache fir de Wunnengsproblem zu Lëtzebuerg ze léisen. Dozou gehéiert och d’Aktivitéite vu Promoteuren an Immobilienagencen anescht ze encadréieren a besser ze reglementéieren », écrit le ministre socialiste. pso
Fuchs liquidée et cible d’une instruction
Mardi, le tribunal commercial a ordonné la dissolution et la liquidation de la société de gestion de fortune Fuchs & Associés Finance (FAF), en proie à des difficultés financières et à des problèmes de gouvernance. La Commission de surveillance du secteur financier (CSSF) a précipité la fin du gestionnaire de fortune créé par Jean Fuchs en 2000. Tout a commencé par une double sanction pour des problèmes de gouvernance et des abus de marché prononcée en mai 2022 après une visite sur place. S’en est suivi en février 2023 un retrait d’honorabilité pour le fondateur Jean Fuchs, personnalité reconnue du Luxembourg offshore des années 2000, ancien membre du Codeplafi (ancêtre du haut comité pour la place financière) et proche de l’ancien régulateur Jean-Nicolas Schaus, avait expliqué Reporter. Ces deux sanctions donnent une idée de la gravité, mais l’estocade a été portée par les services de Claude Marx le 7 juillet dernier lorsqu’ils ont retiré l’agrément, avec effet au 15 juillet « à la fermeture des bureaux », a détaillé la CSSF dans son communiqué cette semaine. « La CSSF avait constaté des manquements graves à des exigences légales et réglementaires essentielles en lien avec les assises financières et les ratios prudentiels de FAF, ainsi qu’aux exigences légales et réglementaires concernant l’organe de direction (conseil d’administration et direction autorisée) de FAF », y est-il encore écrit. C’est la neuvième liquidation judiciaire ayant affecté une société financière depuis 2008 (après Landsbanki, Luxalpha, Herald Lux, H CTG, Valor Capital, Obsieger Capital Management, ABLV Bank et Anphiko Asset Management).
Selon le jugement commercial rendu cette semaine, FAF accusait 12,5 millions d’euros de pertes fin 2022, des fonds propres négatifs de 5,84 millions d’euros et une marge de solvabilité réglementaire déficitaire de 11,63 millions d’euros. Il aurait fallu 18 millions d’euros d’argent frais pour remettre la société à flot… ce qui n’a pas paru envisageable à la CSSF et aux juges. Pourtant le dernier rapport annuel déposé au registre de commerce en juillet 2022 (après la sanction) faisait état de résultats et de capitaux propres positifs. Apparaissent néanmoins dans les comptes de la société employant 115 personnes (dont six dirigeants) des transferts vers la Suisse : des avances à la filiale helvétique pour des corrections de valeurs pour un montant de 5,4 millions d’euros, une filiale qui a été fermée à la fin de l’exercice 2021. 1,5 millions ont été transférés à une autre filiale, Alternative Advisers. Figurent aussi 7,2 millions d’euros de bonus à payer fin 2021. Les frais de déplacement et représentation atteignent presque un million d’euros par an alors que le chiffre d’affaires annuel plafonne à 26 millions. Dans les mois qui ont suivi les sanctions administratives, le conseil d’administration s’est vidé de ses anciens membres pour en accueillir deux wagons de nouveaux. Contactée par le Land, l’administration judiciaire informe qu’une instruction est ouverte. pso
Genug Öltanks
Ausgerechnet ein grüner Energieminister will ausgerechnet in Wahlkampfzeiten die Tanklagerkapazitäten im Land erweitern. Könnte man meinen. Denn Claude Turmes hat vor einer Woche einen Gesetzentwurf im Parlament eingereicht, der den Importeuren von Ölprodukten erlauben soll, mehr von ihren Reserven auf nationalem Territorium zu lagern. Das soll die Versorgungssicherheit verbessern. Vor zwölf Jahren wollte LSAP-Energieminister Jeannot Krecké das auch. Und dachte groß: Die Lagerkapazität sollte sich mehr als verdoppeln. Allein im Westen der Hauptstadt, in Merl, sollte mehr hinzugebaut werden, als landesweit existierte. Am Ende scheiterten die Pläne am Widerstand der Gemeinden.
Grundsätzlich unterliegt die Treibstoff-Reservehaltung seit 2009 EU-Regeln. Sie unterscheiden zwischen europäischen, regionalen und nationalen Reserven. Die europäischen sollen den Markt stabilisieren, die regionalen und nationalen bei Lieferausfällen angezapft werden. Neu für Luxemburg soll sein, dass die Importeure einen Teil ihrer regionalen Reserven statt in den Nachbarländern auch national lagern können, „au choix“, wie im Gesetzentwurf steht. Zusätzliche Kapazitäten erfordere das aber nicht, erklärt das Energieministerium dem Land: „In der Vorbereitungsphase zum Gesetzentwurf hat sich gezeigt, dass die Versorgungssicherheit sich auch mit den bestehenden Kapazitäten verbessern lässt.“ Der Branchenverband Groupement pétrolier sieht das auch so. Die Verkäufe von Benzin und Diesel seien „bei weitem nicht mehr so hoch wie 2018 und 2019“, sagt Groupement-Generalsekretär Jean-Marc Zahlen. Und die Petrolfirmen würden bei der Reservehaltung auf ihre Kosten achten. „In Luxemburg ist die Lagerung wesentlich teurer als in den Nachbarländern.“ Das war schon zu Jeannot Kreckés Zeiten so. Weshalb er neue Tanklager als Public-private Partnerships bauen lassen wollte. pf
Backes défend le bifteck
La Commission a déposé en fin de semaine dernière un recours contre le Luxembourg devant la Cour de justice de l’Union européenne. Le grief : Le Grand-Duché n’aurait pas transposé dûment la directive sur la lutte contre l’évasion fiscale, Atad 1. Ce texte voté en 2016 prévoit une dérogation à la mesure limitant la déductibilité des paiements d’intérêts de la base d’imposition des sociétés applicable aux entreprises financières. Selon la législation luxembourgeoise, les sociétés de titrisation (véhicules levant de la dette) ne sont pas considérées comme des entreprises financières et ne doivent donc pas répondre de la limitation de la déductibilité. (La règle de limitation des intérêts vise à décourager les montages d’endettement artificiels afin de réduire au minimum l’impôt.) En 2020, l’exécutif européen a enjoint le gouvernement luxembourgeois d’amender sa loi financière. Comme le souligne le Wort cette semaine, la ministre des Finances Yuriko Backes (DP) avait introduit en 2022 un projet de loi pour mettre le corpus réglementaire local en adéquation avec le droit européen. Elle a fait volte-face. « Le ministère maintient sa définition initiale des entités financières réglementées lors de la transposition de l’Atad 1, la considérant à la fois logique et précise. Cette définition a récemment été confirmée par la Commission européenne dans plusieurs directives qui considèrent les sociétés de titrisation comme des entités financières réglementées », écrit la rue de la Congrégation au Land. Le ministère des Finances fait référence aux projets de directives Debra et Unshell. « L’approche initiale du Luxembourg ayant consisté à considérer les sociétés de titrisation réglementées comme entités financières au sens de la directive Atad 1 se voyait donc indirectement et implicitement confirmée », précisent les services de Yuriko Backes.
Le ministère des Finances n’a pas encore reçu les détails du recours, mais perçoit là une opportunité « de trancher la question et d’obtenir de la sécurité et de la clarté juridiques quant à cette question d’interprétation de la directive Atad 1 ». Une manière pour celle qui a intégré le cirque politique en janvier 2022 d’affirmer sa détermination à « défendre le bifteck » luxembourgeois face à l’angus (irlandais) ou au rosbeef (anglais) ? La finance locale brandit toujours la menace de délocalisation des fonds (ici l’industrie de la titrisation) dans des juridictions plus accommodantes. pso