Ticker du 14 juillet 2023

d'Lëtzebuerger Land du 14.07.2023

Paper tiger

La semaine dernière, le ministre de l’Aménagement du territoire, Claude Turmes (photo : sb), a présenté le PDAT (lire : Programme directeur d’aménagement du territoire). Le document livre des pistes innovantes sur comment planifier la croissance et réduire l’artificialisation des sols. Or, le communiqué de presse puise dans le champ lexical de l’impuissance politique : « accompagner », « ambitionner », « orienter », « viser », « guider », « encourager », « souhaiter ». Ce n’est pas un hasard, car le document, arrêté fin juin par le conseil de gouvernement, n’a pas de valeur contraignante. Le PDAT a toutefois rendu nerveux le Syvicol. L’État devrait permettre aux communes rurales de saisir « les opportunités territoriales à venir » et « ne pas entraver de manière déraisonnable [leur] développement ». C’est que, dans son « annexe II », le PDAT définit, commune par commune, le nombre d’hectares de sols qui pourront encore être artificialisés d’ici 2035. Même si ces seuils maximaux restent éminemment théoriques, ils ont causé un choc auprès des bourgmestres. Ce sont les futures lignes de conflit qui se dessinent ainsi. bt

Rayon X

« La seule valeur du foncier constructible [40,4 milliards d’euros] équivaudrait à plus ou moins la moitié du PIB. […] Il semblerait que la valeur théorique du foncier constructible ait augmenté de près de quinze milliards d’euros entre 2016 et 2021 ». Extraites de la note 32 de l’Observatoire de l’habitat, ces estimations donnent un aperçu le poids démesuré pris par l’immobilier au Grand-Duché. Les chercheurs de l’Observatoire affinent leurs analyses du foncier : sa valeur, sa concentration, son poids systémique. Dès la page 6 de la note, on apprend que les prix des terrains ont augmenté de 16,9 pour cent entre 2019 et 2020. Les promoteurs qui ont acheté à ce moment-là risquent gros aujourd’hui, alors que le marché immobilier est entré en crise et que les prix commencent leur dégringolade.

En 2020-2021, la flambée des prix a commencé à ralentir (+10,4 pour cent), mais sur une période de dix ans, la valeur des terrains à bâtir a connu une augmentation cumulée de 136,5 pour cent. Entre les régions, les prix connaissent des écarts très importants : l’are coûte ainsi quatre fois plus dans le canton de Luxembourg que dans celui de Wiltz. L’incidence foncière atteint 43,8 pour cent dans la capitale, c’est-à-dire que près de la moitié du prix final des logements s’explique par le seul prix du terrain.

Le Luxembourg compte 5 707 hectares de terrains constructibles (4 294 situés en zone résidentielle), dont 55 pour cent appartiennent à des personnes physiques et 19 à des sociétés privées ; une distribution qui n’a que marginalement varié par rapport aux données d’il y a deux ans. Or, les entités publiques et parapubliques ont lentement mais sûrement étoffé leurs réserves sur la dernière décennie. Cela se traduit dans les statistiques officielles. Entre 2013 et 2022, la part publique est passée de 7,8 à 14,5 pour cent, note l’Observatoire. Parmi les communes, le top 3 est constituée par la Ville de Luxembourg (83,1 hectares), Niederanven (16,7) et Wiltz (14,5).

Or, le gros reste entre les mains de personnes privées. Ils sont 13 297 à détenir « plus de dix mètres carrés » de terrains à bâtir. 5 337 de ces propriétaires sont des millionnaires potentiels. La valeur de leurs terrains est estimée à plus d’un million d’euros. Pour 945, elle dépasse les cinq millions.

Parmi les personnes morales qui détiennent du foncier, « les acteurs locaux de l’immobilier » restent hégémoniques. Ils concentrent 68 pour cent du foncier résidentiel (soit 562,1 hectares), alors que les « acteurs internationaux » (surtout belges) n’en réunissent que dix pour cent (81,9 hectares). « Parmi les vingt premiers groupes détenant du foncier résidentiel, quatorze sont des acteurs locaux de l’immobilier, trois des acteurs internationaux de l’immobilier, deux sont de la catégorie ‘autre industriel’ et un est investisseur », résume l’Observatoire. Et de préciser que les cinq principaux promoteurs locaux détiendraient en moyenne « près de 500 millions d’euros » de réserves foncières résidentielles.

L’Observatoire a actualisé son hitparade des principaux détenteurs de foncier. En février 2022, le ministère avait publié une première fois une telle liste se référant à « plusieurs demandes émanant des médias luxembourgeois ». Quoique remontant à la fin du XVIIe siècle, le principe de la publicité foncière était alors mal passée auprès des promoteurs qui se sentaient stigmatisés. La version 2023 reste quasi-inchangée, à part que tout le monde monte d’un cran. Arend & Fischbach mène ainsi toujours le classement. Avec le Groupe Giorgetti, c’est la seule société privée à se placer dans la catégorie des « plus de 75 hectares ». (En 2022, cette Ligue des champions était encore dénommée « plus de cinquante hectares). Parmi les promoteurs, Tracol Immobilier occupe la troisième place, suivi par Promobe (Flavio Becca), Stugalux et Thomas et Piron (tous dans la catégorie « entre 25 et 50 hectares). Parmi les rares nouveaux entrants, Lionstone Capital Management. Le groupe luxo-néerlandais dirigé par des jeunes loups de la place financière déclare sur son site Internet développer actuellement douze projets résidentiels.

Alors que la crise immobilière s’accentue, la solidité du secteur sera mise à rude épreuve. Au premier trimestre 2023, le nombre de Vefa (ventes en l’état futur d’achèvement) est tombé de 72,5 pour cent. Les prix (annoncés) commencent également à tomber. Les portails Immotop et Athome renseignent sur une baisse de sept pour cent pour les nouveaux appartements. La hausse des taux d’intérêts a engendré une perte brutale du pouvoir d’achat. Bref, les prix actuels sont devenus simplement impayables. Something’s got to give… La question sera jusqu’où les prix tomberont. Et à partir de quel moment une « correction » se transformera en crash. bt

Ça gaze pour les banques

A paru vendredi dernier le traditionnel supplément des banques du Wort, une vingtaine de pages denses en informations éclairant sur l’état de la place bancaire luxembourgeoise. Via des données agrégées dans les tableaux, où l’on voit que l’établissement le plus rentable en 2022 est BGL BNP Paribas, avec 433 millions d’euros de profits, après un bénéfice de 373 millions en 2021 pour la banque capitalisée à 34 pour cent par l’État. Le deuxième plus gros profit est généré par la chambre de compensation Clearstream avec 432 millions d’euros (contre 237 l’année précédente). Suivent dans le Top 5 : Société générale Luxembourg (344 millions en 2022, 262 en 2021), BCEE (235, 237) et Deutsche Bank (186, 148). Apparaît non loin, à la seizième position de ce classement comptant 72 établissements, Bank GPB International. Avec 61 millions d’euros de bénéfices en cette année d’agression russe en Ukraine, la filiale européenne du fournisseur de gaz Gazprom (établissement opportunément non sanctionné par le Conseil de l’UE) triple son bénéfice par rapport à l’année précédente… et abonde ainsi les caisses de l’État luxembourgeois.

C’est de Francfort qu’arrive la manne sur les banques. La hausse des taux d’intérêt menée par la Banque centrale européenne, historique par sa rapidité (de -0,5 pour cent en juillet 2022 à quatre pour cent en juin 2023), accroît encore la rentabilité des banques. De quarante pour cent déjà en 2022 estiment les auditeurs des banques interrogés, Marco Weber et Benedikt Barz (KPMG). Le régulateur tempère. « Une banque sur cinq ne gagne pas d’argent », explique Claude Marx, directeur général de la CSSF. Le tableau le confirme. De nombreuses petites banques peuplent le fond de tableau de la rentabilité : banque Havilland, Riverbank, Fortuna Banque (en liquidation), Bankinter, Mirabaud & Cie, Banque BCP. Trois banques chinoises opèrent aussi en territoire négatif: China Construction Bank, Bank of Communications et China Merchants Bank. Deux autres, Agricultural Bank of China et China Everbright Bank, ont une rentabilité toute limitée.

Les banques font aussi face à des défis, comme le réchauffement climatique. (Il n’est plus là tellement question de financer la lutte contre, mais surtout de ne pas voir ses actifs sombrer dans la dégradation environnementale.) Le président du lobby bancaire prévient de toute promesse politique qui serait potentiellement nuisible au secteur financier, pilier de l’économie nationale. « Die Milchkuh darf man melken, aber nicht schlachten », dit Guy Hoffmann, président de l’ABBL. Interrogée, la ministre des Finances, Yuriko Backes (DP), promet de diriger la politique financière « sur le long terme » pour relever les défis futurs… sans toutefois préciser comment (photo : minfi chez BGL vendredi). pso

Lourdes peines pour les complices d’Abramczyk

L’épouse, l’amante et le fidèle copain du feu « Madoff du diamant » luxembourgeois, Emmanuel Abramczyk, ont été lourdement condamnés par le tribunal correctionnel ce jeudi. Le principal accusé de cette arnaque au fonds prétendument investi dans le diamant est décédé en janvier et l’action pénale le visant est aussi éteinte. Mais ces proches, qui ont dilapidé avec lui, les 26 à 28 millions récoltés auprès de 200 épargnants, doivent répondre de leurs actes devant la justice (d’Land, 12.05.2023). L’ex-femme Barbara B. écope de trois ans de prison dont 18 mois fermes, ainsi que 100 000 euros d’amende. La maîtresse, Éléna C, et le partenaire de bringue Manuel de Carvalho sont condamnés à deux ans de prison (dont la moitié assortie de sursis) et 60 000 euros d’amende. Les 120 investisseurs qui s’étaient constitués parties civiles ont été déboutés faute de lien direct avec l’affaire jugée. Mais les sociétés lésées obtiennent droit à dédommagement de la part des prévenus : Barbara B doit payer 1,5 million d’euros, Éléna C un demi-million et Manuel Carvalho 200 000. Les parties ont quarante jours pour relever appel. pso

Pierre Sorlut, Bernard Thomas
© 2024 d’Lëtzebuerger Land