Chronique Internet

Walk out planétaire contre le harcèlement

d'Lëtzebuerger Land du 09.11.2018

Une vingtaine de milliers d’employés de Google (sur ses quelque 94 000) ont participé à un spectaculaire « walk out » le 1er  novembre dans cinquante villes à travers le monde pour protester contre ce qu’ils considèrent comme une gestion déplorable par la direction de la problématique du harcèlement sexuel et de l’écart salarial entre hommes et femmes au sein du groupe. On sait depuis un moment que la Silicon Valley, de ses grands groupes emblématiques à ses startups, de ses business angels à ses venture capitalists, est concernée au premier chef par le machisme et la discrimination.

En août 2017, Google avait renvoyé sèchement James Damore, un employé qui avait distribué un mémorandum suggérant que la direction s’inclinait devant le « politiquement correct » en matière de politique de diversité, et défendant la thèse que des facteurs biologiques, et pas seulement la discrimination, expliquent le relatif désintérêt des femmes pour la technologie. Après que le CEO Sundar Pichai eut reproché à cette occasion à Damore de « répandre des stéréotypes néfastes en matière de genre sur notre lieu de travail », on avait pu croire que Google était moins concerné que d’autres par cette problématique. Depuis ces très inhabituelles manifestations, on sait qu’il n’en est rien.
Le walk out (« Global Google Walk Out for Real Change ») est intervenu après la publication par le New York Times d’une enquête explosive qui a battu en brèche l’image d’employeur à la fois atypique et exemplaire que Google avait réussi à se forger ces dernières années en faisant visiter ses « campus » multicolores, meublés de baby-foots, de tables de ping-pong et de jeux vidéo où des employés bien payés se détendaient entre deux séances de brainstorming. Or, la direction a systématiquement imposé des arbitrages en cas de plainte pour harcèlement, a révélé le New York Times, et Andy Rubin, un des cofondateurs d’Android accusé d’agression sexuelle par une collègue, est parti en empochant une prime de 90 millions de dollars.

Ce qui frappe chez les Googlers manifestant devant leurs lieux de travail est leur absence de colère : ils semblent calmes et déterminés tandis qu’ils scandent des slogans comme « Hey Hey, Ho Ho, tech harassment has to go ! ». Soutenant la manifestation, Sundar Pichai a accepté de rencontrer des représentants des employés pour discuter de mesures à prendre. Un plan doit être élaboré conjointement pour tenir compte de cinq demandes précises exprimées par le personnel : mettre fin au recours obligé aux arbitrages en cas de plainte pour harcèlement ou discrimination, mettre fin à l’inégalité de salaire et d’opportunité, publier un rapport faisant la lumière sur les cas de harcèlement, créer une procédure d’alerte sûre et anonyme, et enfin promouvoir le responsable de la diversité (Chief Diversity Officer) afin qu’il rende compte directement au CEO et fasse des propositions au Conseil d’administration.

Durant les manifestations, des participantes ont évoqué les agressions dont elles ont fait l’objet. « Pour chaque histoire citée par le New York Times, il y en a des milliers d’autres à tous les niveaux de l’entreprise. La plupart n’ont pas été révélées. Une communication rassurante ne va pas résoudre le problème : il nous faut de la transparence, une responsabilisation et des changements structurels », ont écrit les organisateurs du walk out dans leur communiqué.

Google a réussi jusqu’à présent à faire face à la mutinerie de ses employés d’une façon qui pourrait, paradoxalement, lui permettre d’en sortir renforcé. Le fait que les employés aient pu s’organiser, s’adresser directement aux médias et mener à terme leur action sans conflit visible avec la hiérarchie est en soi exceptionnel. Qu’une discussion en profondeur s’engage chez Google sur ce sujet couvert par une chape de silence depuis des décennies est encourageant et annonce peut-être même un aggiornamento sur les questions d’égalité et de respect au-delà des entreprises de technologie.

Jean Lasar
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