Pour résoudre le problème du piratage de films, la solution, a-t-on entendu dire pendant de longues années, était d’enfin proposer une offre en ligne légale, bon marché et séduisante. Et de fait, l’essor de Netflix a confirmé cette thèse. Pour une somme mensuelle raisonnable, les internautes ont pu avoir accès à un catalogue suffisamment fourni et attractif pour reprendre en grands nombres le chemin de la légalité, la montée en puissance de la répression anti-piratage contribuant également à décourager un certain nombre de s’adonner au téléchargement illégal. Mais ce phénomène n’aura pas duré : une étude publiée récemment par la société Sandvine met en évidence une remontée nette du partage illégal de films et séries.
En cause, la multiplication des offres et la concurrence que se livrent les grands noms du streaming. À Netflix se sont ajoutés notamment Hulu et Amazon Prime. Même s’il est difficile de connaître avec précision le nombre de téléchargements illégaux, les experts s’accordent à dire que l’activité sur les sites de torrents en est un bon indicateur. Les mesures effectuées par Sandvine montrent une recrudescence de l’activité sur les forums d’échange de torrents, qui reste une des méthodes les plus efficaces pour diffuser et récupérer des fichiers sur Internet sans trop s’exposer. La concurrence entre ces plateformes, qui sont entretemps devenus des géants, produisant et co-produisant eux-mêmes des séries et des film, se fait à coup d’exclusivités, comme avec Game of Thrones pour HBO, The Handmaid’s Tale sur Hulu, House of Cards pour Netflix, ou Jack Ryan pour Amazon Prime, indique Sam Cullen de Sandvine.
Si l’internaute est tenté par ces différents contenus, il sera confronté à la perspective de s’abonner aux deux services, voire à un troisième ou un quatrième si une série que ceux-ci proposent en exclusivité lui semble incontournable. D’attractive, la facture de streaming ainsi multipliée commence à peser sérieusement sur le budget. Un comportement courant qui en a résulté, selon Sandvine, est que les internautes s’abonnent à un service, mais piratent les contenus des autres qui les intéressent. Sandvine note que la tendance est particulièrement forte au Moyen-Orient, en Europe et en Afrique. Le lancement prochain par Disney de sa propre offre de streaming va encore renforcer cette tendance à la création de « silos d’exclusivité ». Disney se prépare dans cette perspective à retirer ses contenus des plateformes existantes ou à cesser de les leur proposer.
Les plateformes de streaming légal ont aussi contribué elles-mêmes à cette évolution en restreignant la possibilité pour leurs abonnés d’aller voir l’offre qu’elles proposent dans d’autres pays à l’aide de moyens techniques relativement bon marché voire gratuits et assez simples à utiliser. Netflix a ainsi fortement limité cette possibilité en 2015, afin de rassurer les détenteurs de droits quant à ses efforts pour faire respecter les conditions contractuelles de diffusion par pays, qui prévoient des timings très précis .En réaction, les entreprises proposant aux internautes de « spoofer » leur adresse IP à l’aide d’un VPN (virtual private network) pour accéder aux catalogues dans d’autres pays se sont professionnalisés, un phénomène qui a réintroduit une dose d’illégalité dans l’univers du streaming « légal ».
Une autre motivation est, selon Sandvine, la peur du spoiler : si certains des aficionados de séries peuvent se faire à l’idée d’attendre que les contenus qu’ils attendent avec impatience finissent par devenir disponibles sur la plateforme à laquelle ils sont abonnés, ils ont en revanche peur que les commentaires en ligne et extraits diffusés çà et là ne leur gâchent le plaisir.
L’ensemble de l’industrie cinématographique, y compris les plateformes de streaming, va donc être contrainte de remettre en cause ses pratiques dans ce domaine. Ces entreprises ont tout intérêt à éviter une fragmentation excessive de l’offre et doivent se souvenir que malgré la sophistication de la répression anti-piratage et le succès du modèle lancé par Netflix, le partage illégal reste techniquement accessible et sera un recours pour les internautes s’ils ont à nouveau le sentiment de se faire plumer.