Plus de deux tiers des députés cumulent mandats nationaux et locaux, dont 17 celui de maire. Leur travail parlementaire peut valoir des avantages au plan communal et vice-versa

T-shirts, marchés et heures supp.

d'Lëtzebuerger Land vom 23.09.2011

Les chiffres en haut à droite du profil de chaque député ont la cruauté des statistiques générées par ordinateur : Paul Helminger, le député-maire libéral de la capitale, n’était présent physiquement, donc lui-même, sans délégation de pouvoir, que pour 37,15 pour cent des votes en plénière à la Chambre des députés depuis 2004 ; Lydia Mutsch, députée-maire socialiste d’Esch-sur-Alzette, a tout juste dépassé les cinquante pour cent (51), tout comme son homologue libéral de Differdange et président du DP, Claude Meisch (53 pour cent). Ils sont suivis par Alex Bodry, député-maire de Dudelange et président du LSAP avec 64 pour cent, Michel Wolter, maire de Bascharage et président du CSV, 73 pour cent, ou Camille Gira, député-maire vert de Beckerich, 75 pour cent de présence lors des votes. À l’autre bout de ce hit-parade, on trouve Gilles Roth, député-maire CSV de Mamer, visiblement très appliqué, car marquant un sans fautes, cent pour cent de présence. 

Ces statistiques compilées par le nouveau site Internet depuwatch.lu, lancé mercredi par le parti pirate (voir aussi page 5) et politikercheck.lu, permet de constater en quelques clics un des malaises du travail parlementaire luxembourgeois : alors que les dossiers politiques à traiter deviennent de plus en plus complexes, que l’Europe impose désormais les thèmes – crise de la zone euro, paquet de sauvetage, uniformisation des règles et des normes –, les cumulards manquent de temps et de concentration pour s’y consacrer. Concilier un mandat national, un mandat local et, comme pour Claude Meisch, Michel Wolter ou Alex Bodry, en plus des fonctions à la tête de son parti politique demande d’incessantes acrobaties avec le calendrier. Car il faut être disponible pour les citoyens de la commune, leurs premiers électeurs, gérer les affaires communales courantes, plus organiser et, comme en ce moment, encadrer une campagne électorale, doublement lourde lorsqu’elle se joue de manière décentralisée, dans les communes. 

De fait, par leurs mandats, ces politiciens professionnels cumulent aussi plusieurs métiers – et plusieurs jobs déjà considérés comme des emplois à plein temps, pratique qui ne serait tolérée pour aucun autre salarié. Car être maire d’une ville de taille moyenne, 10 000 habitants ou quinze membres au conseil communal, est considéré depuis 2009 comme équivalent à un temps plein, valant quarante heures par semaine de congé politique. Le législateur a ainsi tenu compte d’une revendication de longue date du Syvicol, regroupant les décideurs des villes et communes du pays. Les maires des principales villes du pays, Luxembourg, Esch-sur-Alzette, Differdange ou Dudelange, sont donc tous dans ce cas. Que leur engagement local soit primordial, et, en ce moment crucial de période électorale, même prioritaire pour eux peut sembler légitime. D’ailleurs, depuis les grands débats sur la « réorganisation territoriale » du Luxembourg, lors de la précédente législature, la commission spéciale créée pour l’occasion s’était posé « la question du principe de la compatibilité de mandats électifs nationaux et locaux » (dans son rapport de juin 2008). Et de continuer : « Dans ce contexte se pose également la question de la création d’une chambre des élus locaux afin d’éviter un affaiblissement du lien entre le niveau décisionnel national et local. » Selon cette commission, l’idée ne serait de toute façon mise en pratique qu’au bout du processus de réorganisation territoriale réduisant le nombre de communes à 70 en tout, d’ici 2017. Mais il y a trois ans déjà, le DP s’y était « opposé avec force », selon le même rapport. 

Il est donc plus qu’étonnant de lire, dans le programme-cadre du DP pour les élections communales du 9 octobre, que « le DP s’oppose à un double mandat député européen-député respectivement député européen-bourgmestre. De plus, le DP plaide pour un bourgmestre à temps plein dans les grandes communes et va dans la même optique étendre le congé politique à 40 heures et redéfinir les modalités financières du mandat de bourgmestre de ces communes. » Outre le fait que les cumuls énoncés ne sont de toute façon pas (plus) pratiqués au Luxembourg et que le congé politique vient d’être augmenté, on retiendra donc surtout la volonté du parti libéral de vouloir faire un pas en direction d’une réduction des cumuls. À peine Claude Meisch avait-il confirmé, vis-à-vis de RTL, la disposition de son parti à discuter d’une interdiction du cumul des mandats, que La Gauche de Differdange fit suivre une volée de bois vert à son adresse : « Claude Meisch est exemplaire des retombées négatives d’un mandat multiple, s’offusque-t-elle dans un communiqué. À Differdange, Claude Meisch est manifestement débordé et ne peut que partiellement assumer ses responsabilités en tant que maire ». Lui reprochant d’être hypocrite, le parti lui demandedonc de démissionner soit en tant que député, soit en tant que candidat à sa propre succession à Differdange.

Au-delà des considérations personnelles – le cumul de mandats implique aussi le cumul de rémunérations, permettant de gagner des salaires considérables, comme les 15 000 euros mensuels que gagne par exemple le député vert et échevin de la capitale François Bausch, dont le salaire avait été calculé et rendu public par les Jeunesses socialistes en juin dernier –, les élus concernés aiment à expliquer que combiner mandats politiques locaux et nationaux permet aussi de créer des vases communicants qui peuvent profiter aussi bien au niveau local que national. Pour la politique nationale, la popularité des mandataires locaux, conseillers, échevins et maires, permet d’engranger un maximum de suffrages de la part des électeurs, surtout de ceux qui aiment panacher selon le degré de sympathie qu’ils accordent au candidat. Toutefois, l’expérience des dernières élections européennes de 2009, pour lesquelles les principaux partis s’étaient accordés à éviter les doubles candidatures sur les listes nationales et européennes a prouvé le contraire : les rapports de force sont restés identiques à 2004, avec trois sièges pour le CSV, et chaque fois un pour le DP, les Verts et le LSAP.

Néanmoins, les maires des grandes villes sont d’office sélectionnés sur les listes électorales des grands partis. Marc Lies, le jeune maire CSV de Hesperange en est un bel exemple : ayant pris la succession de Marie-Thérèse Gantenbein à la commune avant la fin du mandat de celle-ci, en janvier 2009, il fut immédiatement élu à la place de sa prédécesseure au parlement cinq mois plus tard. 

Si les élections du 9 octobre se jouent certes sur des sujets très spécifiquement locaux, elles sont néanmoins aussi une occasion pour les partis de cimenter ou d’étendre leur influence régionale (voir aussi d’Land du 16 septembre). Actuellement, le CSV compte huit députés-maires, essentiellement dans le nord du pays et aux alentours de la capitale, plus un seul, Michel Wolter, dans le sud, à Bascharage. À cela s’ajoutent neuf conseillers communaux, dont celui de Schifflange, Marc Spautz, secrétaire général du parti, élu local depuis 17 ans, brigue actuellement deux mandats en parallèle : à la commune et à la succession du défunt Lucien Thiel en tant que président du groupe parlementaire. 

Le LSAP, qui garde une empreinte locale solide, compte quatre députés-maires, dont deux grandes villes du Sud, Esch et Dudelange, deux échevins et quatre conseillers. Parmi ces derniers, Marc Angel est tête de liste dans la capitale, avec toutefois des chances très limitées de pouvoir prendre la succession de Paul Helminger. Le DP compte trois députés-maires – dont la capitale et Differdange – et trois échevins, les Verts deux maires, trois échevins (dont un, Felix Braz, à Esch, toutefois ne se représente plus aux communales) et deux conseillers – tous les députés écolos actuels ont donc en même temps un mandat local, alors qu’à ses débuts, le parti s’était passionnément engagé contre le cumul des mandats. L’ADR ne garde plus qu’un seul élu local, Jacques-Yves Henckes dans la capitale, qui pourtant ne se présente plus ; le parti espère que son mandat reviendra à Fernand Kartheiser, également député depuis 2009. André Hoffmann, seul député de la Gauche, a laissé sa place au conseil communal d’Esch à Marc Baum avant d’entrer au parlement. 

Dans l’autre sens, du niveau national vers le local, les députés-maires et députés-échevins, mais aussi leurs électeurs, il faut le concéder, espèrent toujours que le partage du pouvoir parlementaire permet aussi de mieux défendre les intérêts d’une ville ou d’une région, qu’en côtoyant régulièrement les ministres, un maire a plus de chance de le convaincre de la nécessité d’un investissement étatique pour une route de contournement ou un lycée dans leur commune. La règle de la représentativité proportionnelle dans les organes de décision est un instrument immuable dans le partage de ce pouvoir. Lydia Mutsch est d’ailleurs sans conteste la bourgmestre qui communique le mieux sur son propre engagement pour sa localité sur le plan politique national, sur ses mérites concernant la décision d’implanter l’Université du Luxembourg à Belval par exemple et réaliser ainsi cette mue structurelle essentielle pour la ville après la crise de l’industrie sidérurgique.

Mais la professionnalisation des politiciens et le cumul des mandats inhérents à cette évolution rendent les citoyens extrêmement sceptiques : les initiatives demandant plus de transparence sur leur engagement et leurs éventuels conflits d’intérêts se multiplient dernièrement. D’ailleurs, il est intéressant de constater que ce sont surtout les jeunes, voire très jeunes citoyens qui militent pour cette transparence – et font donc preuve de plus d’engagement politique que leurs aînés veulent bien le faire croire. Depuwatch.lu ou la campagne assez agressive des Jeunesses socialistes vis-à-vis des mandataires verts n’en sont que deux exemples parmi d’autres. Le président du parlement Laurent Mosar (CSV), qui s’était engagé pour plus de transparence durant sa présidence, est constamment sous pression et ne peut que suivre, au lieu de précéder le mouvement. 

josée hansen
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