La troisième édition de l’European Month of Photgraphy (EMoP), Rethinking Photographie - Presence-Absence, Visible-Invisible au Musée national d’archéologie d’histoire et d’art (MNAHA) est consacrée au travail des artistes photographes contemporains qui s’interrogent sur l’évolution la photographie dans le contexte de la manipulation des images. Le message est encore plus évident que dans la première partie de l’exposition au Ratskeller du Cercle Cité (d’Land 09.05.2025).
On ne reviendra que sur deux exemples. Le travail de Marco Godhino, basé sur la technique lenticulaire (le triple portrait de l’écrivain Jorge Luis Borges) et l’effacement de héros de l’histoire américaine de leurs socles par Paulo Simão. Si elles sont moins identitaires, moins politiques aussi, comme Embers of Narratives de Raisan Hammeed sur la destruction de Mossoul par une manipulation technique d’images de Google Streetview, les photographies exposées au MNAHA montrent un travail à la fois plus technique, plus esthétique aussi et provoqué par une conscience écologique affirmée.
On conseillera aux visiteurs, de faire le tour de l’exposition dans le sens des aiguilles d’une montre, de gauche à droite. Car le parcours se termine par un travail de pure esthétique et de lumière. C’est pour cinq raisons – technique, lumière, mouvement, abstraction et esthétique – que Marta Djourina a remporté l’EMoP Arendt Award 2025. D’origine bulgare, née à Sofia en 1991, elle a étudié et est basée à Berlin. Son travail est ayssi exposé à Arendt House.
Au MNAHA, l’approche de Joan Fontcuberta avec De Rerum Natura, ainsi que l‘accrochage très classique, ne trahit en rien qu’il s’agit d’un travail réalisé grâce à l’intelligence artificielle (IA). La fiction rejoint la réalité, puisque Fontcuberta (né en 1955 à Barcelone), s’appuie sur des documents écrits à l’époque de la découverte des Amériques pour redonner une naissance fictive à des plantes d’alors.
On est au seuil de l’objectivité aussi dans le travail de Letitza Romanini. Elle joue de manière exceptionnellement subtile, toujours sur le thème de la nature, avec des prises de vues des parois minérales de la grotte de Frasassi à Genga, en Italie. Ses prises de vue sérigraphiées sur verre, détachées du mur, y sont projetées comme une ombre. Mémoire du lieu, temps préhistorique ou présent ? À notre avis, les oscillations et mutations visuelles auraient dû valoir à la Luxembourgeoise, née en 1980, qui enseigne à Strasbourg à la prestigieuse École des Arts du Rhin, d’être retenue pour le Arendt Award.
Toute une salle est consacrée à des photographies inédites d’Alice Pallot de sa série Algues maudites. Des représentations consacrées aux algues toxiques qui prolifèrent en Bretagne dans les eaux littorales, on ne peut être que sidéré par le travail de la Française, née en 1995, diplômée de la Cambre à Bruxelles en 2018. Son travail photographique fait partie de l’engagement scientifique et écologique de cette jeune femme, dont les photographies sont une « narration » visuelle à l’intention du public sur l’impact destructeur des humains. Alteration, de 2024 Algues maudites – Red Bloom est à rapprocher du travail, au Cercle Cité, du Belge Lucas Leffler : ils sont les lanceurs d’alerte écologiques de cette édition de l’EMoP.
Avec Jorma Puranen, un des leaders de l’École d’Helsinki, on se rapproche de l’abstraction pure en photographie. Ou plutôt, on est dans un entre-deux de la déconstruction de la photographie traditionnelle et de la relation au paysage. De Puranen, né en 1951, vivant en Finlande, l’EMoP expose une photographie entrée en 2013 dans la collection de Arendt & Art. Le sujet est encore la nature, le travail du photographe déjà induit par la lumière. Il y a dans l’évolution de l’approche photographique telle qu’elle est présentée au MNAHA, une rupture radicale, après la réinterprétation des techniques photographiques anciennes de Joost Vandebrug selon Paul di Felice, « qui crée des images brouillant la représentation classique mais met en avant la matérialité et la temporalité de la photographie. »
Difficile de comprendre ce choix pour l’EMoP 2025. Tout comme l’artiste autrichien Simon Lehner dans la troisième partie de Rethinking Photography, à Arendt House. Il nous semble qu’il ne suffit pas de transformer en photographies-sculptures des traumas personnels par la manipulation 3D pour obtenir un travail convainquant. C’est également le cas de photographies sur bois, – le procédé est fort littéral - de Sylvie Bonnot, ainsi que des photos souvenirs familiaux de Raisan Hameed, Risse und Zerstörung, beaucoup moins saisissants de la destruction de Mossoul déroulées comme une pellicule photo endommagée devant les yeux des visiteurs du Cercle Cité.
En revanche, Jessica Backhaus (née en 1970 à Cuxhaven en Allemagne) est parfaitement dans le thème. On se souvient déjà avoir vu ses papiers posés au sol et enroulés par la lumière (la série s’appelle d’ailleurs Plein Soleil), à Arendt House. C’est le plus pur et simplement technique travail de l’EMoP 2025. Le plus proche, peut-on dire, du terme de l’histoire de l’art « Nouvelle Objectivité », tout à fait approprié ici.
Le travail de la lauréate, Marta Djourina, mêle cette technicité à l’esthétique. Ses photographies, réalisées à base de négatifs photo qu’elle fabrique elle-même, exposés à différentes sources de lumière maniées en mouvement, produisent de la photographie-peinture, née de l’instant de la prise de vue.