La troisième phase du déconfinement ramène timidement les citoyens à la vie sociale et culturelle

Zoon politikon

d'Lëtzebuerger Land vom 29.05.2020

Les sauces et les oignons « L’annonce est clairement venue deux semaines trop tard ! » Alors que le ministre des Classes moyennes et du Tourisme Lex Delles (DP) présente, ce mercredi sur la terrasse ensoleillée du Renert place Guillaume à Luxembourg-Ville, les mesures sanitaires et les aides publiques qui encadrent le déconfinement du secteur de l’horeca, en compagnie des responsables de la fédération Horesca, Bianca Streumer fait le tour des chambres. L’hôtel familial « de la Sûre » à Esch-sur-Sûre dans l’Œsling compte une trentaine de chambres. Le restaurant Comte Godefroy qui en fait partie peut servir 70 à 80 couverts dans différents espaces. Depuis le début du confinement, le 16 mars, tout était fermé, le personnel, une vingtaine de personnes, au chômage partiel. Depuis quinze jours, l’hôtel fonctionne, mais pour qui ? Les principaux clients viennent des Pays-Bas, d’Allemagne ou de Belgique « et ils ne pouvaient pas passer la frontière » sans raison valable. Une seule chambre était occupée par un travailleur. « Traditionnellement, le week-end de l’Ascension est notre meilleur week-end de l’année, notre carnet de réservations était archibondé, raconte Bianca Streumer, et en plus, il faisait un temps de rêve. » Mais comme ses confrères, elle ne pouvait pas travailler et grinça des dents en voyant les clients luxembourgeois passant du bon temps sur les terrasses allemandes. « Nous, on ne peut pas rouvrir d’un claquement de doigts », regrette la restauratrice et hôtelière. Il faut nettoyer les chambres, le restaurant, les cuisines, « et puis on n’a plus rien dans le frigo, il faudra faire les fonds de sauces, nettoyer des oignons… » Et faire la promotion de la réouverture. Pour le week-end prolongé de la Pentecôte, certains clients intéressés se sont déjà ravisés, ne voulant pas planifier dans l’incertitude.

Frühlingserwachen Aux premiers rayons de soleil, mercredi matin, il faisait doux sous un ciel parfaitement bleu, les clients se sont rués sur les terrasses des bars et restaurants, qui pouvaient officiellement servir en extérieur dès ce jour-là. Sous conditions, certes – pas plus de quatre convives par table, sauf s’il s’agit d’une communauté de vie plus grande ; tables espacées de 1,5 mètre ou délimitées par des parois de protection ; port obligatoire du masque pour le personnel et les clients qui se déplacent ; obligation d’avoir des places réservées ; couvre-feu à minuit –, mais l’ambiance qui régna ce jour-là était véritablement celle d’un réveil de printemps. « On s’arrange avec... on s’arrange toujours », rigole Laurence Frank de la Brasserie Schuman, dont la terrasse est idéalement située sur le parvis spacieux du Grand Théâtre. La distanciation sociale a imposé un peu moins de tables, « mais cela nous fait aussi moins de stress » selon la patronne, qui n’a pas baissé les bras durant le confinement non-plus, mais a offert un food-truck et du take-away. Rouvrir le secteur de l’horeca serait « un pas ambitieux » estima le Premier ministre Xavier Bettel (DP) lundi en l’annonçant. « Il y aura à nouveau plus d’interactions, donc un plus grand risque d’une recrudescence du virus, d’où notre appel à la responsabilité individuelle et à la précaution. » L’homme est un animal social savait déjà Aristote, l’impatience des gens de revenir à une vie publique et sociale plus animée devenait de plus en plus grande.

En chair et en os « Il est absolument inimaginable que nous jouions dans notre cave voûtée d’ici décembre », estime Myriam Muller. L’actrice, metteure en scène et directrice artistique du Théâtre du Centaure, sait que les gens ont peur d’être dans de petits espaces en ce moment. Et puis, s’il faut respecter deux mètres de distance entre deux spectateurs, il faudrait jouer devant une demi-douzaine de personnes. Le règlement grand-ducal du 26 mai inscrivant les décisions du conseil des ministres de lundi dans le texte initial du 18 mars instaurant l’état de crise, reste assez vague sur les conditions applicables dans les salles de spectacles ou autres lieux à manifestations : « Les rassemblements accueillant au-delà de vingt personnes (...) sont autorisés sous la double condition de la mise à disposition de places assises assignées aux personnes qui assistent à l’événement et le respect d’une distance de deux mètres entre les personnes sans que le port du masque soit obligatoire », y lit-on dans l’article 1er. « Le confinement était facile, on a simplement tout fermé, mais maintenant, il y a beaucoup d’inconnues. Il est difficile de se projeter », constate encore Myriam Muller. Mais elle ne baisse pas les bras pour autant : elle a pris des engagements pour la prochaine saison, avec des artistes ou des coproducteurs, et elle compte bien les honorer. Alors il faut imaginer des solutions : jouer ailleurs, par exemple dans une des salles de structures partenaires, plus grandes, où le public peut être installé selon les normes en vigueur et où une plus grande scène permettrait aussi de travailler avec plus d’artistes.

« Je n’imaginais pas que les restaurants ou les cultes reprennent du service et que la culture reste confinée », affirma la ministre de la Culture Sam Tanson (Déi Gréng), en marge de la conférence de presse sur le « Plan de relance pour le secteur culturel », mercredi matin à la Philharmonie. Sur les quelque cinq millions d’euros mis à disposition pour soutenir le secteur culturel (acquisition d’œuvres, résidences d’artistes, investissements dans des musées régionaux e.a.), il y a aussi des bourses « d’aide à la recherche et au montage de nouveaux formats de spectacles ». « Je suis persuadée que la créativité qui est au cœur du secteur culturel, ainsi que la solidarité que nous constatons entre tous les acteurs, va générer de nouvelles formes », espéra la ministre sur scène. Ce qui est certain, c’est que la culture ne peut pas reprendre d’un coup d’un seul : toutes les saisons planifiées ont été interrompues, et, la plupart du temps, aussi arrêtées à la mi-mars ; les accueils internationaux sont impossibles jusqu’à nouvel ordre pour cause de restrictions de voyage et une nouvelle pièce, c’est six semaines à deux mois de répétitions et souvent des mois, voire des années de préparation. Les prochaines semaines, jusqu’à une toujours hypothétique rentrée en octobre, seront faites d’improvisations et de tâtonnements, de culture locale et de petites formes dans de grands espaces, ou, de préférence en plein air.

Pragmatismes Les crises comme celle du Covid-19 sont le temps des pragmatiques. Qui constatent, en regardant la réduction imposée des jauges dans les salles de spectacle ou du nombre de couverts dans les restaurants, que les bilans seront forcément dans le rouge. Le secteur de l’horeca parle de pertes de vingt pour cent ; les institutions culturelles estiment les leurs à entre quinze et trente pour cent. Le groupe de travail interministériel sur la sortie de crise a donc aussi élaboré un paquet de mesures d’accompagnement social de ce déconfinement : le chômage partiel, la mesure la plus chère du paquet étatique jusqu’à présent, avec plus de 600 millions d’euros investis depuis le début, viendra à échéance fin juin, lorsque tous les secteurs seront déconfinés (certaines infrastructures sportives et de loisirs en intérieur restent toujours interdites) et l’état de crise légal arrivé à échéance (le 24 juin). Un chômage structurel simplifié sera alors introduit, pour les entreprises touchées par la crise pandémique, et un « fonds de relance et de solidarité » offrira durant six mois des aides directes de 1 250 euros par salarié en poste et de 250 euros par salarié au chômage partiel dans les secteurs de l’horeca, de l’événementiel, du tourisme et de la culture.

josée hansen
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