Édito

La ligne rouge

d'Lëtzebuerger Land vom 23.05.2025

« Un tsunami diplomatique », titre Haaretz ce mercredi. Le média israélien revient en longueur sur la décision prise la veille par les États européens de vérifier si Israël respectait encore les droits de l’Homme et l’article 2 de l’accord qui lie l’État hébreu et l’UE. Pour la première fois les États occidentaux envisagent la possibilité de sanctionner le massacre perpétré par le gouvernement Netanyahu dans la bande de Gaza. Le développement fait date. Mais il s’inscrit dans une gradation cynique de la réponse politique à ce drame humanitaire, un drame humain parfaitement documenté sur les réseaux sociaux depuis 18 mois (la presse internationale voyant son accès à Gaza interdit par Israël). Le gouvernement Netanyahu était informé de l’initiative européenne. Lundi le Premier ministre israélien alertait : « Nos meilleurs amis ont prévenu qu’ils ne pourront plus nous soutenir si des images de famine à grande échelle émergent. (…) Nous devons éviter la famine, pour des raisons pratiques et diplomatiques. » Le chef du gouvernement israélien justifie ainsi à ses coalitionnaires extrémistes l’entrée de quelques camions dans la bande de Gaza. L’aide humanitaire y était bloquée depuis six semaines alors que Tsahal y entreprend sa reconquête territoriale. « Nous détruirons tout ce qui reste. Nous conquerrons, nettoierons et resterons à Gaza jusqu’à ce que le Hamas soit anéanti », a répondu le ministre des Finances, Bezalel Smotrich.

Mardi matin, le chef de la diplomatie luxembourgeoise, une veste bavaroise bordeaux au milieu des costumes cravates sombres, avance le pas léger vers les micros tendus dans le hall du conseil de l’UE à Bruxelles : « Je crois que c’est le moment de dire à Israël qu’on ne reste pas inactifs », annonce Xavier Bettel, dans une double négation synonyme de « on a fait tout ce qu’on pouvait pour ne pas fâcher Netanyahu ». « On ne peut plus fermer les yeux, » avoue Xavier Bettel. « Si les gens ne meurent pas sous un bombardement, ils meurent de faim ou ils manquent de soins », justifie-t-il encore. Ce même mardi matin, le Wort relatait « le virage à 180 degrés » des libéraux luxembourgeois, qui pilotent la politique étrangère. Début mai, le président de la Commission de tutelle à la Chambre, Gusty Graas se disait favorable à la prolongation de l’accord commercial avec Israël, mais il se met maintenant au diapason avec son ministre Bettel. Dans une conférence inédite exclusivement consacrée à la problématique vendredi dernier, le chef de la diplomatie avait informé rallier son homologue néerlandais. La semaine passée, ce dernier avait manifesté sa volonté de demander à la Commission une évaluation de l’action militaire israélienne au regard la clause « respect des droits de l’Homme » de l’accord d’association avec l’UE. Cet article du Wort titré « Warum die DP ihre Haltung (…) geändert hat » explique entre les lignes que le Luxembourg agit en passager clandestin de la nouvelle détermination européenne à récriminer le gouvernement Netanyahu. Un exemple ? Lorsqu’il est demandé à Gusty Graas si le blocus humanitaire ne suffit pas pour constater les manquements aux droits de l’Homme, le libéral rétorque qu’il préfère attendre la réponse donnée à l’initiative néerlandaise. Mais le CSV ne brille pas davantage par son courage. Contacté jeudi, le responsable du parti à la Chambre pour la politique étrangère, Laurent Zeimet, répète qu’il veut « la paix, bien sûr, mais qu’il est nécessaire que les otages soient libérés ». Impossible de glisser que, le 18 mars, le gouvernement Netanyahu a brisé, le cessez-le-feu et le processus de libération des otages en cours. « La paix au Proche-Orient ne sera pas décidée au Krautmaart », interrompt Laurent Zeimet. On le conçoit volontiers.

La ligne rouge que le gouvernement Netanyahu a repoussée pendant 18 mois a été franchie. La réprobation du massacre s’étend dans la population. Elle explique la dynamique politique en cours dans un monde occidental toujours précautionneux de ne pas froisser Israël, pays traditionnellement perçu comme une base avancée en Orient. Depuis quelques semaines, le LSAP et Déi Gréng ont rejoint Déi Lénk dans la sensibilisation au martyr de la population de Gaza. L’Espagne et l’Irlande avait déjà demandé en février 2024 que soit réévalué l’accord d’association. Quinze autres pays se joignent aujourd’hui à l’initiative sur le Vieux Continent. Que représente concrètement cette menace pour Israël, qui réalise un tiers de ses exportations en UE ? La réponse est incertaine. Une certitude : « The bullet has left the barell » comme le résume l’experte des relations Israël-Europe citée par Haaretz. L’UE engage sa crédibilité.

Pierre Sorlut
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