Encadrement des produits dérivés

Une révolution selon Michel Barnier

d'Lëtzebuerger Land vom 16.09.2010

Le chantier de la supervision financière étant bouclé, c’est à celui des produits dérivés, accusés d’avoir aggravé la crise, que la Commission a décidé de s’attaquer mercredi 15 septembre complétant sa malette des outils censés réduire le risque de nouvelle crise financière. Présentées le jour du deuxième anniversaire de la chute de Lehman Brothers, les propositions de Michel Barnier, commissaire au marché intérieur et marchés financiers, pour mieux encadrer ces contrats financiers destinés à se couvrir contre des risques liés à la valeur future d’un produit (taux de change, taux d’intérêt, unité de matière première, etc.) sont axées sur deux piliers : une meilleure transparence des transactions et une meilleure régulation des ventes « à découvert ».

Ces produits en constante progression depuis une vingtaine d’années s’échangent de gré à gré donc ne sont pas traités sur des marchés organisés comme le sont par exemple les actions et obligations et ne font l’objet que de peu de contrôles. Rappelant que sur les 600 000 milliards de dollars de transactions sur les produits dérivés, plus de 80 pour cent se font de gré à gré, Michel Barnier a affiché son ambition : « Nous allons progressivement inverser cette proportion » a-t-il dit. Le projet, qui ressemble fort à celui initié par les États-Unis en juillet, vise une standardisation des produits et des procédures et des échanges sous surveillance. La proposition impose en effet que ces échanges se fassent via une chambre de compensation, organe qui veillerait au bon fonctionnement des transactions et qui assurerait une certaine garantie en se constituant comme fonds de secours en vue de pallier le risque de faillites en chaine. Il faut qu’au préalable, précise l’exécutif européen, les dérivés soient déclarés « éligibles » par la nouvelle autorité européenne des marchés financiers (European Securities and Markets Authority, ESMA), prévue par la réforme de la supervision financière. L’ESMA fera du reste partie du collège des superviseurs nationaux chargés de la surveillance de ces chambres de compensation européennes et sera l’autorité directe des trade repositories, responsables de la tenue des registres de toutes les opérations. Quant aux entreprises, par définition non spécialisées dans les opérations financières, qui interviennent sur ces marchés de dérivés pour couvrir leurs risques de taux d’intérêt ou de changes, elles ne devraient pas passer par ces chambres de compensation, au moins jusqu’à un certain seuil. « Les propositions d’aujourd’hui vont accroître la transparence pour les régulateurs et les marchés et rendre la tâche des régulateurs plus facile pour détecter les risques sur les marchés de dette souveraine, (elles) sont un pas supplémentaire vers une plus grande stabilité financière en Europe », a assuré le commissaire.

Le second volet de la proposition de la Commission porte sur la régulation des ventes « à découvert », ces transactions qui offrent la possibilité de vendre des titres non encore possédés, en vue d’un achat ultérieur à un meilleur prix. L’ESMA pourra restreindre voire interdire temporairement les échanges sur les credit default swap (CDS) qui constituent une sorte d’assurance contre le risque de défaillance d’une obligation d’État et qui avaient été au cœur de la crise grecque. Elle détient ce pouvoir en cas de forte tension ou volatilité sur les marchés de s’auto-saisir et d’agir directement pour interdire certains produits ou certaines activités pendant une durée maximale de trois mois (renouvelable si justifiée), pour autant que l’opérateur, le marché, l’instrument ou le sous-jacent soit européen. La coordination au niveau européen qui permettrait d’éviter de répéter les cafouillages observés ces derniers mois, où plusieurs États membres ont pris des décisions quant à ces marchés sans en avertir leurs homologues. Parmi les produits dans le viseur de la Commission, les ventes à découvert « à nu », hautement spéculatives qui permettent au vendeur de proposer à terme un actif sans qu’au préalable il l’ait emprunté ou qu’il se soit assuré de sa disponibilité. Bruxelles veut contraindre les vendeurs à divulguer leurs positions de vente et à garantir la livraison promise. En imposant une livraison au troisième jour suivant une telle transaction, le texte veut responsabiliser les acteurs de ces marchés et pallier le risque de non-règlement, ainsi que celui d’instabilité globale des marchés consécutive aux effets de contagion possibles. Concrètement, cela signifie que passé ce délais, l’opérateur est obligé, s’il n’a pu livrer les titres, de régler la transaction en cash et qu’il peut être passible d’une amende.

Plus largement, le commissaire français a annoncé de nouvelles initiatives « pour homogénéiser les délais de règlement livraison, qui restent très variés au sein de l’Union (...) sur l’ensemble des transactions ». Ces textes vont maintenant être discutés par les États membres de l’UE au sein du Conseil et par le Parlement européen. Le texte sur les ventes à découvert devrait entrer en vigueur pour le 1er juillet 2012 et celui sur les dérivés pour fin 2012.

Sophie Mosca
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