Hei ass et schéin

Réfugiés mal traités

d'Lëtzebuerger Land du 11.11.2004

708 personnes ont été raccompagnées volontairement forcées en 2003. Parmi celles-ci, peut-être un Jossip et un Mirsa, un ressortissant de l'ex-Yougoslavie avec sa copine enceinte et un Albanais, avec ses deux enfants et sa femme, renvoyé vers un futur tout ce qu'il y a de plus incertain. Mais leur pays est de nouveau «befriedet» comme dit Picart, le monsieur du ministère, ou comme pourrait le dire Luc Frieden, ministre en charge à l'époque. Ils doivent repartir, puisque c'est ce qu'on avait prévu dès le départ, il faut se tenir à ce qu'on avait dit, si justement on faisait cela plus souvent. L'année 2003, année du summum de la polémique autour des retours forcés, est aussi celle pendant laquelle Jean-Paul Maes a écrit Hei ass et schéin, qui à la base était une commande de la Convention théâtrale européenne, mais qui a néanmoins été refusé par la Commission des programmes des théâtres de la Ville. Elle est donc aujourd'hui mise en scène au Théâtre d'Esch. Hei ass et schéin sort légèrement du cadre scénique classique. Assis parmi le public, les acteurs se manifestent à tour de rôle à partir de la salle, un genre de fausse interactivité, qui fonctionne parfois, en l'occurrence néanmoins le spectateur a du mal à s'y retrouver. Par moments, la salle fait partie intégrante de la pièce, pour, l'instant d'après elle ne doit plus l'être, avec comme seule indication, les lumières qui, soit éclairent le tout, soit se limitent à la scène. Un flou qui est encore accentué par le décor (une salle de gym), alors qu'il est flagrant que le texte initial se jouait dans une salle de théâtre. Autre gadget de la mise en scène, l'utilisation de la télé, non pas qu'il y ait un écran ou une caméra sur scène, mais, voix off et spots éblouissants indiquent que l'acteur parle à la caméra d'une chaîne de télé. Par moments ça fonctionne, mais l'effet est sur-utilisé, lorsque par exemple la chaîne en question est censée se déplacer au fin fonds de l'Eisléck pour couvrir l'achat d'un restaurant, sauf à dire clairement qu'il s'agit de Nordliicht TV (et encore), l'instrument perd toute sa crédibilité et ne sert plus qu'à illustrer les passages de l'histoire difficiles à intégrer autrement. Mais à propos d'histoire(s), Hei ass et schéin souffre de la profusion d'ébauches de biographies, dont aucune n'est véritablement aboutie. Ni la relation entre Jossip et sa Deifchen (excellente Pia Röver) enceinte, ni l'idée de vendre le bébé à naître, ni le désarroi de la bonne femme (Monique Reuter) attirée par Jossip, ou encore l'histoire d'amour ou de cul plutôt entre Mona (Isabelle Costantini) et Monsieur Picart (Jean-Paul Maes lui-même, qui, une fois encore, joue à merveille le type un peu gluant) ou d'autres encore ne sont pensées à bout. Une profusion de scènes de vie, dont quelques-unes sans intérêt aucun pour la trame principale, cohabite avec une profusion de messages que l'auteur semble vouloir faire passer. D'un côté, il en profite pour tirer le portrait de notre société luxembourgeoise, avec, d'un côté, des personnages comme Picart, le stéréotype du Luxembourgeois petit bourgeois, à gros bide qui fait son jogging, s'use sur un hometrainer (bien qu'il soit difficile à comprendre pourquoi il utilise celui, délabré de la salle de sport des réfugiés), ou de Monsieur Klein, le Luxembourgeois «qui n'est pas raciste» par excellence, mais qui aimerait bien voir les réfugiés partout sauf dans son jardin. Le seul véritable moment de rencontre d'ailleurs entre réfugiés et Luxembourgeois. De l'autre côté, il y a les réfugiés, Jossip et Mirsa, deux personnages très opposés, l'un a fait des études, parle de façon plus érudite, essaye de faire des coups plus ou moins tordus. L'autre, travailleur manuel, est très poli, incliné face à ses hôtes. Deux personnages qui fonctionnent plutôt bien, tout comme celui de Deifchen, voilà pourquoi il est d'autant plus dommage que leur histoire ne va pas au-delà de l'ébauche, que leurs préoccupations se perdent à travers le désir absolu de l'auteur de faire rire son public, en gueulant «ech wëll fécken» ou en faisant «chier» littéralement Jossip justement dans le jardin de Monsieur Klein. Donnant ainsi raison à ce dernier. S'il ne s'agit que de faire un peu de slapstick sur scène en caricaturant la société luxembourgeoise, avec ses grosses voitures, ses préoccupations futiles, son esprit étriqué, le sujet du réfugié est bien mal choisi comme cadre. Surtout si on n'en profite pas en même temps pour montrer à quel point il arrive à cette même société de traiter de façon inhumaine la question des réfugiés. Mais là est le coeur du problème: Jean-Paul Maes refuse de prendre position. Personne n'a raison ou tout le monde a un peu raison. Même Monsieur Klein qui ne veut pas donner sa bicyclette dont il n'a plus besoin à Mirsa. Résultat des courses : on écoute la salle se marrer avec un sentiment de malaise. Non pas qu'on n'ait pas le droit de rire avec ce sujet, mais pas de cette façon. Et si la Commission des programmes des théâtres de la ville de Luxembourg a effectivement refusé la pièce parce que «ce n'est pas ainsi qu'elle voulait voir le sujet traité» comme Maes l'explique au woxx, on ne peut que la comprendre sur ce coup.

Hei ass et schéin de Jean-Paul Maes ; production: Theater Esch ; mise en scène: Eva Paulin ; Décor: Jeanny Kratochwil ; avec: Manfred Olek Witt, Pia Röver, Isabelle Costantini, Jean-Paul Maes, Jean-Marc Calderoni, Hervé Sogne, Monique Reuter, Raoul Biltgen, Marc Sascha Migge. Prochaines représentations: lundi 15, mardi 16, jeudi 18 novembre, mercredi 19 et jeudi 20 janvier.

Sam Tanson
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