Législation sur les médias électroniques

Entre protectionnisme et libéralisation

d'Lëtzebuerger Land vom 06.12.2001

d'Lëtzebuerger Land : Alors, quand est-ce qu'elle commence à diffuser, cette chaîne de télévision publique que tant de gens appellent de leurs voeux ces derniers mois ? Ou, plus concrètement, est-ce que la réforme de la loi de 1991 sur les médias électroniques va jeter les bases de la création d'une telle chaîne ?

Laurent Mosar : Il convient de rappeler que l'actuel accord de concession qui lie RTL Group au gouvernement luxembourgeois pour ses programmes nationaux est encore valide jusqu'en 2010. Durant nos entrevues avec les responsables aussi bien de RTL que du Service des médias et de l'audiovisuel étatique, les deux parties nous ont fait savoir qu'elles comptaient respecter ce contrat - dont on sait déjà que c'est le dernier - jusqu'à son expiration. Donc d'ici là, la question d'une télévision de service publique ne se posera pas. Il est bien trop tôt pour en parler. 

Une des pressions du PAL pour une réforme de la loi émerge des nouvelles télévisions - Nordliicht TV, Kueb TV et bientôt Tango TV - et concerne la publicité : actuellement, elles n'ont le droit de se financer que par parrainage ou sponsoring. RTL, dont les recettes publicitaires sont plafonnées - à 200 millions de francs cette année - n'est pas contre une telle libéralisation de la publicité à toutes les radios et télévisions mais demande en contrepartie que son plafond soit levé.

Je crois que la question de la libéralisation du paysage audiovisuel luxembourgeois va bien au-delà de cette seule question de la publicité : au printemps 2002, lorsque aura lieu le débat d'orientation à la Chambre des députés, la réalité des médias électroniques sera bien différente de celle de la fin des années 1980, début des années 1990, surtout en ce qui concerne la télévision. Dans un pays démocratique, dans un paysage médiatique libre, tout le monde peut créer un journal sans devoir rendre de comptes à personne, il n'a même pas besoin d'engager des journalistes, si ce n'est pour avoir droit à l'aide à la presse.

La création d'une chaîne de télévision ou de radio par contre est toujours soumise à concession. On doit donc en premier se demander si ce système de deux poids, deux mesures est vraiment équitable. D'autant plus que les fréquences ne sont plus le bien rare qu'elles furent avant le câble et le satellite et que les techniques et moyens de transmission se démultiplient chaque jour. 

Il n'y a donc plus aucune justification pour un monopole de la publicité comme celui dont jouit RTL Tele Lëtzebuerg, je suis pour son abolition, mais je crois qu'il faudra le faire avec précaution pour ne pas trop perturber l'équilibre très fragile que le paysage audiovisuel luxembourgeois a trouvé. Surtout la presse écrite craint la concurrence des chaînes de télévision sur le marché de la publicité - bien qu'elle reçoive une aide financière de l'État dont ne jouissent pas les médias audiovisuels. 

L'accord de concession qui lie l'État à RTL n'est pourtant pas unilatéral : en contrepartie de ce monopole de la publicité, le diffuseur est tenu à un cahier des charges assez strict dans lequel il s'engage à offrir un certain nombre de services qu'on peut considérer d'ordre public : obligation de produire des informations, de garantir autant d'heures par semaine de sport, de culture, de programmes à destination des non-Luxembourgeois etcetera, qui coûtent relativement cher en production. Des programmes que d'autres diffuseurs n'ont aucune obligation à offrir... 

Le système de ce cahier des charges est à mon avis un bon système qu'il faudrait encore étendre. Voyez les quatre radios commerciales nationales qui furent créées après la libéralisation de 1991 - DNR, Eldoradio, Ara et Latina : elles ont beaucoup de difficultés à fonctionner décemment, à financer leurs programmes. Pour y remédier, nous réfléchissons s'il n'est pas opportun de créer une sorte d'« aide à la presse audiovisuelle », une subvention qui serait couplée d'une obligation d'assurer un certain nombre de charges, comme par exemple des programmes à destination des minorités. À mes yeux, une telle subvention est incontournable pour concilier la diversité du paysage audiovisuel.

Est-ce que, dans ce sens, la commission contrôle ou analyse les programmes de radios actuels afin de voir s'ils correspondent à leurs visées, établies en 1991 ?

Le contrôle de qualité des programmes n'est pas notre mission, il y a pour cela d'autres instances, comme le Conseil national des programmes, la Commission consultative des médias ou la Commission indépendante de la radiodiffusion, toutes créées en même temps par la loi de 1991. Non, notre mission à nous, c'est d'analyser les effets de la loi sur le paysage audiovisuel, et nous avons constaté que c'est une bonne loi, car depuis l'attribution des concessions aux principales radios nationales, celles-ci existent toujours, chacune a trouvé son public, même si tous les auditoires n'ont pas une ampleur aussi considérable. Je crois que néanmoins, elles sont complémentaires. 

Nous avons reçu ces derniers mois les directeurs de toutes ces radios, ils nous ont fait part de leurs problèmes qui se situent d'une part du côté de la technique de diffusion - certaines fréquences, trop puissantes ou trop proches l'une de l'autre se parasitent - et de l'autre de la réglementation sur la structure des différentes sociétés de diffusion. Ainsi, les radios nationales se plaignent de la concurrence déloyale des radios locales, qui, en principe, ne peuvent être exploitées que par des associations sans but lucratif avec un plafonnement à 500 000 francs de recettes publicitaires par an. Les radios nationales commerciales par contre, qui sont des sàrl., sont soumises à une limitation à 25 pour cent des parts par actionnaire et peuvent faire jusqu'à huit minutes de publicité par heure. 

Or, elles constatent justement que certaines « petites » radios sont en fait exploitées par des sociétés hyper-commerciales qui utilisent les fréquences locales comme une sorte de «cheval de Troyes » pour percer sur le marché luxembourgeois. Interrogée sur cette situation, la Commission indépendante de la radiodiffusion confirma mais regretta de ne pas disposer de sanctions appropriées pour empêcher de tels abus. Il faudra donc aussi réformer le volet du contrôle et des sanctions. 

Une décennie après l'entrée en vigueur de la loi et donc de l'abolition officielle du monopole de radiodiffusion de RTL, on a néanmoins l'impression que sa position reste toujours très largement dominante, que toutes les autres radios se définissent toujours par rapport à RTL.

C'est vrai. Mais nous, en tant que législateur, nous pouvons uniquement créer un environnement qui garantisse une offre aussi diversifiée que possible. Toutefois, d'après ce qu'elles nous ont dit, les autres radios ne sont pas mécontentes de l'évolution de leur auditoire. Ainsi, Radio Latina fait de très bons scores auprès de la population immigrée, Eldoradio touche avant tout les jeunes, mais il est vrai que, dans la population luxembourgeoise active, RTL garde une position dominante. 

Le marché est une chose, le service public en est une autre, qui, au Luxembourg, est très jeune encore. Or, cinq ans après la création du 100,7, la députée libérale Anne Brasseur déposa en 1996 une proposition de loi pour l'abolir, parce que le coût serait disproportionné par rapport à l'auditoire. Les libéraux sont aujourd'hui dans la majorité gouvernementale, qu'en est-il de la survie de la Radio socioculturelle 100,7 ?

J'ai l'impression que la question de son abolition ne se pose plus, même pour le Parti démocrate, ce qui constitue un succès indéniable pour cette radio de service public Au contraire, nous sommes même en train de scruter comment la Radio socioculturelle peut mieux assurer ses missions : ses moyens doivent absolument être augmentés, il lui faut des locaux plus appropriés et plus de personnel. Personnellement, je suis convaincu que la Radio socioculturelle a évolué de façon très positive ces 18 derniers mois, surtout en ce qui concerne ses missions d'information, et j'espère qu'elle continuera sur cette voie.

Vous l'évoquiez tout à l'heure : une des réformes urgentes qui s'imposent est celle des autorités de contrôle. Depuis le faux-pas de son rapport sur RTL en automne de l'année dernière, le Conseil national des programmes revendique haut et fort une telle réforme et est en train de se professionnaliser, par l'emploi d'une secrétaire à plein temps par exemple, ou par l'organisation au printemps prochain d'un séminaire international en la matière. Les réflexions de réforme iraient-elles effectivement dans le sens d'une seule instance de régulation aux pouvoirs élargis, calquée sur le modèle du CSA (Conseil supérieur de l'audiovisuel) français ?

Il est vrai qu'actuellement, les missions des trois instances de régulation créées en 1991 se chevauchent souvent et qu'aucune de ces instances - ni le Conseil national des programmes, ni la Commission consultative des médias ou la Commission indépendante de la radiodiffusion - ne dispose de structures personnelles ou de moyens financiers suffisants. Il me semble donc effectivement une bonne solution que de les regrouper en une seule entité, qui devrait alors disposer des moyens appropriés pour fonctionner professionnellement, mais aussi un catalogue de sanctions à différents degrés. 

Aujourd'hui, elles peuvent exprimer un blâme ou alors purement et simplement retirer la concession de diffusion à une radio qui ne remplirait pas ses missions ; or, la première sanction n'a aucun effet et la deuxième est disproportionnée. Pour être effectives, les sanctions devraient être échelonnées. Ce sera, je crois, un des grands défis de cette loi que de créer un organisme de contrôle indépendant, performant et professionnel.

Cette année, trois nouvelles chaînes de télévision furent autorisées : Kueb TV, Tango TV qui sera lancée dans les prochaines semaines, et, dans une position un peu particulière, Chamber TV, la retransmission des débats parlementaires, qui a débuté mardi. Actuellement, ces nouvelles télévisions non seulement n'ont pas le droit de faire de la publicité, mais en plus, elles doivent négocier avec chaque câblodistributeur afin d'être diffusées. Ainsi, seuls les habitants d'un peu plus de la moitié des 118 communes purent regarder Chamber TV mardi. 

C'est vrai que cela est un de nos soucis majeurs pour Chamber TV. Le ministre délégué aux Médias, François Biltgen, a annoncé que le gouvernement fera des efforts afin d'assurer d'urgence un câblage adéquat dans tout le pays, pour que tous les téléspectateurs puissent recevoir tous les programmes luxembourgeois. 

Au-delà des chaînes luxembourgeoises, nous constatons aussi un problème au niveau des droits de diffusion des chaînes internationales par câble : les chaînes omettent d'acheter les droits de diffusion pour le Luxembourg, par exemple pour la Coupe du monde de football comme on l'a vu récemment, et les téléspectateurs luxembourgeois sont alors exclus de ces programmes. Le ministre a conscience de ce problème, et la Commission des médias va faire du sien pour y remédier.

Et qu'en est-il du droit d'avoir recours à la publicité pour le financement des chaînes de télévision privées nationales ? 

Si le plafond publicitaire de RTL Tele Lëtzebuerg est aboli, et tout indique qu'on va dans cette direction, alors c'est pour le bien des nouvelles chaînes. Ceci dit, personnellement, je me demande si elles vont réussir à s'implanter aux côtés de RTL, si elles vont pouvoir survivre. Vous savez, les téléspectateurs luxembourgeois, après avoir regardé les informations nationales à 19h30, ont une multitude de programmes français, allemands, belges et au-delà à leur disposition, je me demande s'ils vont opter pour une chaîne nationale. Je regrette que ces chaînes n'aient pas choisi de s'implanter dans la grande région par exemple, plutôt que de rester purement centrées sur les questions luxembourgeoises. Peut-être qu'elles devront trouver des niches pour survivre.

À l'heure des satellites, d'Internet et autres nouvelles technologies de transmission, quelles sont encore les possibilités d'intervention d'un État ? N'est-il pas illusoire de vouloir réglementer ? Est-ce que le marché ne s'est pas libéralisé de fait ?

Non, nous ne pouvons jeter l'enfant avec l'eau du bain. Le marché des médias luxembourgeois est trop restreint, nous devons faire très attention de ne pas mettre en danger le fragile équilibre qui s'est établi. Sur un marché ultra-libéralisé, seul un, peut-être deux médias survivraient par leurs seuls moyens commerciaux, ce qui ne peut être dans le sens d'un paysage médiatique pluraliste. L'État doit absolument garder des moyens d'intervenir et de réguler.

 

josée hansen
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