d'Lëtzebuerger Land : Après six mois d'attente, le gouvernement en conseil vous a accordé le 20 juillet dernier une licence d'émettre un programme de télévision par le câble, « principalement musical, en clair et 24 heures sur 24, et qui vise un public jeune » lit-on dans le rapport de réunion. Quand est-ce que vous allez commencer ? À quoi est-ce qu'on peut s'attendre ? Quel sera le nom de cette nouvelle chaîne de télévision ?
Jean-Claude Bintz : Nous sommes en plein dans les préparatifs, mais nous n'allons rien dévoiler, ni sur le nom, ni sur la date de lancement, ni sur la grille des programmes. Et ceci pour deux raisons : d'une part, nous avons appris lors du lancement de Tele 2 que la concurrence pouvait facilement réagir et prendre les devants si elle sait à quoi s'attendre ; d'autre part, nous ne voulons pas encore avancer de date précise si nous ne sommes pas tout à fait sûrs de pouvoir nous y tenir. Nous voulons que tout soit prêt jusque dans le moindre détail. Ce que je peux dire, c'est qu'octobre me semble un peu tôt, novembre pourrait déjà être plus réaliste. Everyday.TV n'est probablement qu'un titre de travail.
Comment est-ce qu'on pourra vous recevoir ? La licence que vous avez ne vous permet qu'une transmission par câble, quelle est votre rayonnement ? Est-ce que vous allez être dans tous les réseaux du câble - ce qui, au Luxembourg, veut dire qu'il faut négocier avec une multitude de câblodistributeurs...
Les négociations sont en cours, mais j'imagine mal qu'un câblodistributeur nous dise non ; il y en a même qui nous ont appelé pour avoir une exclusivité. Le seul problème qui se pose sur différents réseaux est qu'ils sont arrivés à saturation et que le distributeur doit alors faire le choix d'un programme à supprimer pour pouvoir offrir Everyday.TV, ce qui n'est certainement pas toujours une tâche facile. Vous savez, nous aurions aussi commencé sur un seul réseau s'il avait fallu, car notre vrai métier n'est pas de faire de la télévision. Nous sommes avant tout un télé-opérateur, notre raison d'être est la transmission de données.
Or, en tant que groupe, nous misons sur l'interactivité avec nos clients et nous ne voulions pas rester l'élément passif entre la contenu et le client, nous recherchons à maîtriser aussi le contenu. Déjà aujourd'hui, nous avons fait des tests sur le réseau GPRS, qui permet de charger des images sur un terminal mobile - c'étaient des images fixes dans un premier temps, mais cela marchait ! À moyen terme, d'ici cinq ou sept ans, nous aurons notre propre réseau et nous n'aurons plus besoin du câble. Je crois que dans le futur, l'équipement, les médias et la transmission des données vont converger de plus en plus.
Vous misez sur un public jeune, entre quinze et 29 ans, gros consommateurs de télécoms mobiles et d'informatique. Pouvez-vous en dire plus sur votre public-cible ? Urbains ou ruraux ? Luxembourgeois ou Européens ?
Déjà aujourd'hui, le groupe Tele 2 AB possède six ou sept radios. Lancer une télévision au Luxembourg est pour nous un test, car le Luxembourg est très international. Ce qui marche ici peut aussi fonctionner en Suède ou au Paraguay. Donc, oui, nous visons un public jeune, mais pas uniquement la communauté luxembourgophone : nos programmes pourront aussi bien être en français, en allemand ou même en anglais. Avec notre radio Tango Sunshine, dont beaucoup de plages sont en anglais, nous avons constaté qu'il y a par exemple une très forte communauté anglophone au Luxembourg.
Vous dites vouloir surtout produire du contenu pour vos réseaux de mobiles, notamment en vue du lancement du réseau UMTS, et que l'interactivité y jouera un rôle majeur. Comment est-ce qu'on peut imaginer cela : que les gens vont regarder Everyday.TV sur l'écran de leur portable, dans la rue ?
Non, certainement pas, car même si la technique progresse rapidement, on ne va guère regarder un film sur le petit écran de son terminal. Mais déjà maintenant, on peut consulter des données autres que la voix sur les organizers de poche, des informations écrites, des images et même Internet. Imaginez par exemple qu'on voie la bande-annonce d'un film sur la télé : et bien, on pourra alors, dans un futur proche, acheter très simplement les tickets de cinéma avec son portable. La plate-forme Tango / Everyday.com est prête, la télévision n'est qu'un élément de plus dans le puzzle, nous voulons fermer la boucle. Je répète que nous ne faisons pas de la télévision pour le média en soi, mais pour maîtriser le circuit.
Pour nous, la télévision est un véhicule pour souder la communauté Tele 2 / Tango, elle s'adressera aussi avant tout aux clients Tango, même si tout le monde peut participer. Ainsi, avec le chat, qui passe également en version animée sur Everyday.radio, nous avons fait une petite enquête et nous constatons que les jeunes qui y participent sont en très grande majorité des clients Tango.
Le programme en journée continue sera constitué en grande partie d'éléments internationaux achetés par votre centrale ViaSat Broadcasting à Londres, notamment des clips musicaux. Est-ce qu'on peut s'attendre à une sorte de MTV ou Viva bis ?
ViaSat achète pour toutes nos télévisions des programmes qu'on ne voit pas encore en Europe, nous n'allons pas offrir les mêmes émissions que RTL II, Sat 1, Viva ou M6. Mais il est vrai qu'il y aura avant tout de la musique.
Dans le programme Everyday.TV, il y aura également une fenêtre luxembourgeoise ; vous avez engagé le Luxembourgeois Edy Geiben pour la produire. Quelles sont les ambitions de ces éléments locaux : des ambitions de généraliste ou de chaîne thématique ? Est-ce que vous allez par exemple faire des informations ?
Nous produisons des éléments locaux sur place, dans nos studios à Bertrange (les anciens studios RTL, ndlr.), afin d'être proche du public, afin d'offrir à nos téléspectateurs le moyen de s'identifier au programme. Ainsi, nos présentateurs et animateurs par exemple n'auront aucune « obligation de look », ils ne devront pas forcément être beaux et en costume pour passer à l'antenne. Nous voulons être proche des jeunes. Des informations ? Non, nous n'allons pas en faire, parce que notre cahier des charges ne nous y oblige pas, que c'est cher à produire et que RTL le fait déjà tellement mieux. Mais je ne veux vraiment pas en dire plus en ce moment.
Et qui seront les animateurs, présentateurs, cameramen qui vont produire ce programme ?
Nous prévoyons d'embaucher une vingtaine de personnes en tout ; sept ou huit personnes à temps complet sont déjà recrutées. Mais nous devrons bien sûr aussi avoir recours à des free-lance.
La loi de 1991 sur les médias électroniques ne vous permet pas d'avoir recours à la publicité, vous pouvez uniquement financer vos programmes par le biais du sponsoring (voir aussi d'Land 36/01). Vous prévoyez un budget de quelque cinquante millions de francs pour la chaîne de télévision, comment allez vous la rentabiliser ? À la Radio socioculturelle, vous déclariez la semaine dernière que votre groupe ne vous demandait pas le succès commercial immédiat d'Everyday.TV...
C'est vrai que dans l'immédiat, l'objectif d'Everyday.TV n'est pas de faire du profit, mais là encore, nous devons penser dans une logique de réseau. À moyen terme, les investissements lourds que nous opérons - et nous en avons fait pour l'UMTS, pour le GPRS et ainsi de suite - devront porter leurs fruits. Dans un premier temps, je n'ai aucun problème avec le fait que nous ne pouvons avoir recours qu'au sponsoring - on peut même s'imaginer que la formule de product-placement peut être plus attractive pour un petit magasin de roller-skates ou de streetwear pour jeunes, qui n'aura pas à produire de clip à grands frais -, mais il est clair que la loi de 1991 doit impérativement être révisée. D'ailleurs le gouvernement en est conscient.
Je ne crois pas que nous représentions un danger pour les grands médias traditionnels. L'expérience prouve que s'il y a une offre de qualité, la demande augmente aussi. Regardez la Poste : elle peut encore nous remercier aujourd'hui parce qu'elle n'a jamais eu autant de clients que depuis que nous sommes venus la concurrencer. C'est clair que nous visons une ouverture sur le marché publicitaire, mais je suis certain que personne n'y perdra vraiment.
Justement, parlons concurrence. RTL Tele Lëtzebuerg réagit avec une certaine irritation à l'arrivée d'Everyday.TV. La chaîne luxembourgeoise a annoncé hier, jeudi, l'extension et la réorientation de ses programmes, misant notamment sur un public plus jeune. Vous connaissez bien RTL pour avoir été directeur, au milieu des années 1990, de la régie publicitaire IP - où vous avez entre autres travaillé avec Alain Berwick. Aujourd'hui, Tele 2 sponsorise la météo chez RTL et passe beaucoup d'annonces pour Tango... Vous êtes donc à la fois annonceur et concurrent, comment voyez-vous ces relations ?
La réaction de RTL m'étonne. Nous ne voulons pas leur nuire et nous ne voulons pas forcément ronger leurs parts de marché publicitaire. Au contraire, je crois que nous pouvons stimuler la concurrence. Afin de prouver notre bonne volonté, nous avons même décidé de n'embaucher personne qui vienne de chez RTL, comme ça, ils ne pourront pas nous accuser de débaucher leur personnel. Mais nous n'avons pas peur de RTL non-plus.
Cela fait trois ans que nous sommes annonceurs chez eux en tant que Tele 2, et même si nous devrons faire un bilan et décider de l'orientation future de nos campagnes publicitaires, nous allons sans aucun doute le rester. Mais ces relations disons délicates sont certainement une des raisons de notre retenue actuelle en ce qui concerne toute communication sur notre projet.