Dans l’incapacité de gagner leur vie depuis la crise sanitaire, la majorité des artistes belges meurt littéralement à petit feu. Grâce aux allocations de chômage sous (l’actuel) statut d’artiste, seule une minorité parvient à maintenir la tête hors de l’eau. Pour combien de temps encore ? À l’instar d’autres enjeux de société, le statut d’artiste « à la belge » était déjà problématique avant la Covid-19 ; il est depuis devenu catastrophique…
Estimant que l’actuel statut d’artiste n’est pas « un cadre approprié et respectueux des professionnels du secteur », Pierre-Yves Dermagne (PS), le ministre fédéral de l’Emploi et du Travail, a annoncé, en début de semaine, une réforme à hauteur de 75 millions d’euros. L’objectif est double : étendre la protection sociale « artistique » aux techniciens du spectacle (discriminés lors la dernière réforme en la matière datant d’une loi-programme de 2002) mais également en faciliter les conditions d’accès aux jeunes artistes (soit diminuer le nombre de prestations nécessaires avant de pouvoir bénéficier du fameux statut).
Une situation intenable
Que coûte aujourd’hui la couverture sociale des artistes deBelgique ? Selon les données fournies par l’Onem [Institution belge qui gère le système d’assurance-chômage] : 5 060 personnes avec
« statut d’artiste » ont bénéficié d’allocations pour un montant global de 54,6 millions d’euros, en 2020. Soit bien en-dessous des estimations souvent avancées et débattues avant la crise sanitaire…
Pour concocter le futur statut, le ministre Dermagne souhaite donc « partir des réalités des travailleurs du secteur culturel et en défendre aussi les techniciens et techniciennes. » Ainsi que rencontrer l’une des principales revendications du secteur : l’augmentation du plafond des allocations de chômage à 1 540 euros. Actuellement, lorsqu’un artiste n’a pas de contrat de travail, celui-ci peut obtenir une allocation variant entre 800 et 1 100 euros. À condition que l’artiste ait pu démontrer, contrats à l’appui, avoir presté 312 jours sur une période de 21 mois. Ou à condition de bénéficier de « la règle du cachet » (soit une rémunération divisée par un coefficient calculé au prorata d’un certain nombre de jours prestés).
Au micro de la RTBF, le célèbre comédien David Murgia résume la situation de façon plus accessible : « Nous, les artistes, sommes des travailleurs comme les autres, mais nous ne sommes pas reconnus comme tels. La situation était difficile avant la crise, aujourd’hui elle est intenable. Surtout pour les jeunes artistes qui sortent des écoles, pour lesquels elle est impossible ! Car notre travail n’est contractualisable que lorsque nous avons et engrangeons de la reconnaissance… ».
Le nouveau statut ne règlera pas tout
Membre du Syndicat des employés, techniciens et cadres (Setca), le comédien Alexandre Von Sivers juge positivement la réforme : « Alléger l’accès au statut d’artiste et l’élargir aux techniciens du spectacle est une très bonne chose. Ma seule réserve concerne l’idée de remettre en question le rôle de l’Onem. Je ne vois pas pourquoi il faudrait une autre instance. Il faudrait plutôt, au sein de l’Onem, des personnes plus qualifiées pour examiner la question du statut des artistes. »
Sur la même longueur d’ondes, Philippe Tasquin, musicien et membre du Setca, voit même « plusieurs écueils et dangers » à un éventuel remplacement de l’Onem par une nouvelle instance. « Cela sortirait le statut d’artiste du régime général des assurances sociales. En créant un régime particulier on ‘sort’ l’artiste de sa solidarité avec les autres travailleurs », précise le musicien. « Or, c’est en tant que travailleur comme les autres que l’artiste demande à être considéré, et non tel un précaire qui aurait droit à un statut privilégié. Le chômage est un pourcentage du salaire brut. Cela n’a rien d’honteux. Meilleurs seront les salaires, meilleures seront les cotisations à la sécurité sociale des travailleurs. ».
Pour autant, selon l’artiste syndiqué, la revalorisation statutaire annoncée n’est pas une fin en soi : « Pour la musique, mon secteur depuis presque quarante ans, un statut enfin accessible ne réglera pas tout. Le secteur musical est complètement sinistré ; et cela ne date pas du Covid… Il est devenu tout simplement impossible d’en vivre ! Je ne m’en suis sorti que parce que j’ai travaillé pour d’autres et me suis reconverti au doublage de films comme comédien. Les salles accessibles pour se produire se comptent sur les doigts de la main et sont incapables de garantir un salaire décent. Les radios publiques n’encouragent pas la diversité musicale. Nous sommes culturellement colonisés : nous importons 90 pour cent de nos films et de nos musiques. Les plateformes de streaming ont dépouillé les musiciens de leurs revenus. Ici aussi, l’idéologie néolibérale a fait des ravages, et plus que dans tout autre secteur artistique ».