Lützerath est un hameau situé en bordure de la mine de lignite exploitée par RWE dans la région d’Aix-la-Chapelle, devenu ces dernières années un enjeu à la fois bien réel et hautement symbolique de la lutte pour le climat. L’énergéticien, fort de l’accord dit « Kohleausstieg », entré en vigueur en 2020, qui ne prévoit la fin du charbon en Allemagne qu’en 2038, et de décisions de justice qui l’y autorisent, entend lâcher ses bulldozers sur le village.
En face, les militants estiment insensé d’ouvrir en 2022 de nouveaux lieux d’extraction de lignite, un des pires hydrocarbures qui soit tant pour ce qui est des émissions de gaz à effet de serre que de la pollution locale qu’occasionne son utilisation.
Cette semaine, le gouvernement allemand a sacrifié Lützerath en échange d’un amendement au Kohleausstieg consistant à prolonger jusqu’en 2024 l’exploitation de mines qui étaient censées fermer cette année et à avancer la sortie définitive du charbon à l’année 2030 pour la Rhénanie. Le ministre vert de l’Économie, Robert Habeck, flanqué de sa collègue de parti, la ministre de l’économie de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, Mona Neubaur, et de Markus Krebber, directeur de RWE, a annoncé lors d’une conférence de presse qu’un accord en ce sens avait été conclu avec RWE.
Entre le fracas de la guerre en Ukraine, les menaces nucléaires proférées par le Kremlin, la déstabilisation des approvisionnements énergétiques et l’inquiétude des populations européennes en situation de précarité avant les rigueurs de l’hiver, cet arrangement déchaîne les passions outre-Rhin.
Ceux qui le défendent au nom du pragmatisme mettent en avant les quelque 280 millions de tonnes de CO2 qu’il permettra de ne pas émettre, sur les 570 que contient encore le gisement. C’est ce qui compte, insistent-ils : une réduction aussi massive des émissions vaut bien de faire une croix sur Lützerath.
Ses détracteurs s’offusquent que RWE ait encore une place à la table de négociation, considérant que le groupe doit s’adapter aux décisions gouvernementales plutôt que de dicter ses conditions. Ils craignent qu’à moins d’être inscrit dans la loi, ce marchandage soit foulé aux pieds par les futurs gouvernements fédéraux ou rhénans. Ce compromis offre en définitive une victoire facile aux intérêts fossiles, résument-ils : démolir Lützerath, c’est renoncer à l’objectif de limiter le réchauffement à 1,5 degré Celsius.
Jusqu’ici, les Verts allemands avaient en partie réussi à préserver le capital de crédibilité dont ils jouissaient auprès des militants pour le climat. À présent, ceux-ci, fédérés dans le mouvement « Alle Dörfer bleiben », qui a à son actif la défense victorieuse du Hambacher Forst, à 30 km au sud, commencent à trouver la pilule amère. Pour beaucoup d’entre eux, pas question de lâcher le morceau. Ils seront là, le moment venu, lorsque les engins de RWE, épaulés par la police, seront lâchés sur Lützerath, pour exprimer leur indignation et s’opposer à l’évacuation du hameau, dont l’organisation Ende Gelände promet de faire un « désastre ».