Chroniques de l’urgence

Nationalisme à rebours

d'Lëtzebuerger Land du 30.09.2022

Autant la présidente des Fratelli d’Italia est intarissable et tonitruante sur l’immigration, autant chercher à préciser son positionnement sur la crise climatique revient à partir à la pêche, dans le programme du mouvement, de phrases lisses qui n’engagent à rien. Ce n’est évidemment pas un hasard. Celle qui est appelée à diriger la troisième économie de l’UE se contente sur cette question d’une savante triangulation politique. L’Italie est frappée par les sécheresses au point que les rendements agricoles de la vallée du Pô, son grenier à blé, s’effondrent. Tout comme s’est effondré début juillet un sérac de la Marmolada, emblématique glacier des Dolomites, tuant sept personnes. La botte n’est pas plus exempte des impacts climatiques que les autres pays. Le déni pur et simple qui caractérisait traditionnellement les partis d’extrême-droite n’est dès lors plus tenable. Pour autant, on est à mille lieux d’un engagement sincère.

Au nom de l’autosuffisance énergétique, chapitre qui précède dans son programme celui consacré à l’environnement, le parti de Giorgia Meloni prévoit explicitement un recours accru au gaz naturel d’origine italienne. Sauf que, fait valoir Stefano Cafiani, de l’organisation écologiste Legambiente, cité par Reporterre, « la mise en production mettrait des années et les réserves, estimées à 90 milliards de m³ dans les fonds marins, seraient consommées en seulement quinze mois ». Le programme prône aussi le recours au nucléaire « propre et sûr », alors que l’Italie a tourné le dos à cette énergie il y a trente ans.

Au-delà des approximations démagogiques et des fausses solutions, c’est au cœur du programme que le bât blesse. La xénophobie et le racisme qui sous-tendent les discours anti-immigration sont irréconciliables avec la lutte pour la préservation d’un climat viable. Les bouleversements climatiques jouent déjà un rôle significatif dans les mouvements migratoires et ce rôle est appelé à augmenter. Vouloir bloquer les ports italiens pour éviter la venue de réfugiés sans s’attaquer à ce qui les fait fuir de chez eux est incohérent – voire machiavélique si l’on admet qu’il s’agit en réalité de cyniquement ménager, grâce à un flux constant de réfugiés, son fonds de commerce politique.

À vrai dire, le caractère global du réchauffement devrait sonner le glas de tout nationalisme. Les partis qui jouent cette carte ne peuvent, par définition, qu’être en porte-à-faux sur le climat. Le repli sur soi et la haine que fomentent les nationalistes favorisent conflits et inaction climatique : ils attisent les crises.

Certes, l’Italie n’est pas seule à se perdre dans le mirage nationaliste. Du Brésil à l’Inde, de la Russie à la Chine, de nombreux pays, et pas des moindres, sont en proie à ces fantasmes chauvinistes, sans parler des États-Unis que des trumpistes impénitents entendent y faire replonger. Mais lorsque ce type de tromperie écocidaire prend pied en Europe occidentale, les perspectives de survie, déjà mises à mal, s’assombrissent singulièrement.

Jean Lasar
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