Kabi Abjibade

Le café du monde de tous les jours

d'Lëtzebuerger Land vom 23.09.2011

Se souvient-on du Books and Beans et du Chili con carne incomparable que l’on servait dans ce lieu des livres ? L’endroit a fermé depuis bientôt deux ans. Le Chili, on peut encore l’avoir : au World Café, petit espace cloisonné entre un magasin de produits alimentaires italiens et la galerie Hermès sur le boulevard d’Avranches en ville.

« Des fois, les gens passent sans vraiment remarquer le café. Mais une fois qu’ils nous connaissent, ils n’oublient pas. Ils reviennent », dit Kabi Adjibade. Il ne sait pas si c’est pour le Chili ou pour le Cappuccino succulent qu’il orne inlassablement de deux motifs, cœur ou palmier. Il lève la tête vers la rue et salue un passant. Il le fera de nombreuses fois durant l’heure qui suit, car Kabi connaît tout le monde dans le coin. « Peut-être pour l’ambiance simple et chaleureuse », dit-il. Sur la terrasse toute de bois et de buis, une tablée de working girls s’anime devant des apéros. Il est 19 heures. Normalement, Kabi ferme avant, mais ici, « on ne jette personne ».

Kabi, ex-gérant du Books and Beans, a ouvert son propre lieu en début 2009. Depuis, le coin anciennement un peu fadasse le long d’une des artères principales du quartier de la Gare s’est animé, suite à l’ouverture de l’hôtel Sofitel en 2008, la finition de nouveaux immeubles d’habitation ou l’inauguration du nouvel Alima rue Charles VI. Comme clients, il y a les gens des banques et des boîtes des environs. Et pas mal d’aficionados du Books and Beans qui sont revenus. En tout cas, la clientèle du World Café s’agrandit doucement mais sûrement et discrètement, à l’image du caractère de son patron.

« L’idée était de fonder un lieu sympa où les gens se sentent à l’aise et où on se souvient d’eux. Un endroit simple », dit Kabi avec son air toujours légèrement étonné dans un visage lisse, dont il est impossible de deviner l’âge. Il choisit soigneusement ses mots, souligne ses propos de mouvements de mains ornées de bagues en argent. « Je voulais un endroit où les gens viennent rehausser leur journée d’un petit plat ou d’une boisson préparée avec inventivité, mais sans chichi ». Côté cuisine, même recette : des plats rapides, une légère inspiration africaine, quelques épices latino. « Rien de spécifiquement béninois encore, mais ça viendra ! ». Le cappuccino italien est un des meilleurs de la ville, Kabi a appris à le faire auprès d’un ancien collègue ; les bonnes choses se transmettent. Son premier employeur était d’ailleurs la boucherie Kaiffer. « C’est là que j’ai appris à préparer et à gérer un restaurant ». C’était il y a de nombreuses années, en arrivant de Bruxelles et du Bénin, son pays natal.

Le succès du World Café s’ajuste sur le tempérament de Kabi : sans précipitation. Les choses changent quand elles sont mûres, au fil du temps, à un rythme naturel. Reculer d’une case peut faire partie du jeu. Jusqu’en juillet dernier, les gens venaient aussi acheter leurs journaux au World Café. Service aux clients qui est passé à la trappe depuis que la boîte de distribution s’est fait racheter par une entreprise suisse, dont le service est loin d’être le même. « Trop de tracasseries administratives, ce n’est plus la peine. Et je ne suis malheureusement pas le seul à avoir arrêté à vendre les journaux ». Dommage pour les clients, dommage pour la presse.

Mais Kabi n’est pas en rade de plans. Depuis peu, il propose des apéros prolongés le mercredi et le vendredi (jusqu’à 21 heures). Il prépare également l’accrochage d’expositions de peinture et de photos au café, sur le grand mur orange, la pièce maîtresse du petit lieu au plafond de cathédrale. « Tout ça prend un peu de temps, car j’aime que ce que je fais soit bien fait. J’ai déjà eu plusieurs propositions d’artistes et il ne me reste qu’à choisir la méthode d’accrochage ».

Kabi retire la cuillère de son café dans lequel il vient de vider un sachet de sucre de La Provençale. Venant lui-même d’un petit pays, il a adopté les symboles luxembourgeois de façon naturelle. Il parle la langue, sachant la valeur des signes d’appartenance. « Ce que j’aime ici, c’est qu’on acquiert rapidement une vue globale de ce qui se passe, quand on sait observer ». Lui, il sait. Grâce à ce sens, Kabi a cerné la population de la capitale, qui vient d’un peu partout. S’il a transposé la dynamique du mélange au World Café, c’est avec modestie et discrétion, sans en faire…un plat. C’est finalement cette aura-là qu’apprécient ses clients – la normalité cosmopolite.

World Café, 12-14, boulevard d’Avranches
Béatrice Dissi
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