Fait avec amour

d'Lëtzebuerger Land du 15.05.2020

Un château fort, 18 chevaliers en armure, un troupeau de dinosaures, un bateau de pirates, une cuisine, un établi, des camions de pompiers, des voitures télécommandées, des Lego de toutes les couleurs, des puzzles en bois, des cubes à empiler, à encastrer, à dégommer… Voilà l’inventaire de ce que contient, entre autres, les caisses à jouets de mon enfant de bientôt trois ans. Une sacrée quantité de choses, je m’en rends compte, qui ces dernières semaines ne l’auront finalement jamais autant intéressées que ce bout de bois en forme de trident, trouvaille de forêt, qui lui donne des supers pouvoirs de super héros mythologique. Ou que cette canne à pêche, avec son poisson né d’une boîte à œufs et d’un peu de peinture, qui l’occupe, Ô miracle, plus de dix minutes, au bord du cours d’eau derrière chez moi. Un cours d’eau sur lequel il a d’ailleurs désamarré pas mal de petits bateaux en papier origami, véritable enchantement dans ses yeux d’enfant. Le même type d’émerveillement que lorsqu’un de ses gâteaux, pour lequel il met volontiers la main à la pâte – et à la bouche – sort enfin du four ou que les graines, qu’il a semé avec soin, finissent par germer, enfin. Alors loin de moi l’idée de faire un inventaire des multiples activités imaginées chaque jour pour occuper mon mini partenaire de confinement. Quoique ça pourrait toujours vous servir, ne sait-on jamais, « une deuxième vague », tout ça, tout ça, mais n’y pensons pas ! Reste que rapidement un constat indéniable s’est apposé sous mes yeux : les jouets les plus attrayants ne sont pas ceux emballés et offerts avec amour, mais ceux qui racontent des moments d’amour. Des après-midis peinture, des balades dans les bois, des goûters les pieds dans l’eau, des combats imaginaires, des rigolades gorges déployées.

Évidemment, j’ai été prise par l’envie de les trier, ces caisses à jouets délaissées. Histoire de désencombrer. Si après tout ils ne servent pas, peut-être pourraient-ils faire le bonheur d’autres, ailleurs... Mais le sujet restant malgré tout un peu sensible, je me suis rabattue sur mon armoire à vêtements. Qui elle aussi, il faut le dire, est restée comme figée dans le temps, depuis la mi-mars. Jean, tee-shirt et sweat-shirt les jours de grisaille, short en jean, tee-shirt, les jours de beau temps, tee-shirt et bikini en dessous, les jours très estivaux. Pardon les fashionistas, mais cette sélection de pièces pour le moins minimaliste m’a suffi à traverser ces 55 jours et quelques à la maison. Ai-je alors vraiment besoin de onze pulls noirs ? De six slims bleu marine ? De tous ces chemisiers à motifs variés ? Et de ces jupes dont, pour certaines, j’avais même oublié l’existence ? Et puis, ne mettons-nous pas finalement toujours un peu la même chose ? Ne restons-nous pas toujours fidèles à ces vêtements non pas essayés et achetés à la hâte, mais à ceux qui nous ramènent à des souvenirs et nous racontent des histoires ?

Alors j’ai vidé, j’ai donné, mais j’ai pourtant gardé ce top argenté porté le soir de ma demande en mariage, j’ai conservé ce blazer qui m’a fait décrocher un premier job (aussi parce que je suis un peu fière de rentrer encore dedans douze ans après, je l’avoue), je ne jetterai jamais cette robe qui me rappelle un premier baiser, ce pantalon un peu large, au style douteux, acheté sur un marché à Bombay, ces énormes chaussettes en laine beaucoup trop grandes et qui piquent un peu, mais tricotées avec amour par une vieille dame dont je vois encore les mains ridées s’affairer. En dehors de mon armoire et parmi les objets qui m’entourent, j’ai cette sauterelle en feuilles de bambou, offerte par un enfant sur une route du Cambodge, un truc desséché qui ne ressemble plus à grand-chose mais dont je ne pourrais jamais me séparer. Un bracelet un peu kitsch et que je n’ai jamais mis, mais qui a été le premier cadeau que ma sœur m’a offert, à six ans et quelques. Quelques colombes en céramique, qui me rappellent ma meilleure amie. Et ce gaufrier, souvenir de mon enfance, prêt à rendre l’âme à chaque fournée, mais dont je refuse de me séparer. Autant de choses que peut-être, je pourrais, je devrais jeter. Voire remplacer. Actes que clairement, je ne ferai jamais.

Mais malgré tout, j’en ai fait de la place. J’ai certaines étagères nues et des tiroirs qui ne contiennent plus grand-chose. J’en tire même une grande satisfaction. Alors à l’heure où à en croire certains, un vent de libération souffle sur nos vies, autrement dit, à l’heure où il serait à nouveau possible de reremplir tout ce vide, à l’heure où on serait très tenté d’acheter, de se relooker, de redécorer, de réaménager, de consommer… Peut-être qu’il faudrait penser un peu différemment. Et privilégier uniquement les trucs faits avec amour, qui racontent de belles histoires et qu’on regardera, des mois plus tard, toujours avec un petit enchantement.

Salomé Jeko
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