CLT-Ufa

La famille d'abord

d'Lëtzebuerger Land vom 27.05.1999

C'est une situation curieuse, expliquait Helmut Thoma en 1996, mais ces chaînes qui ont le même nom n'ont souvent rien à voir entre elles. En Allemagne, RTL II n'est pas du tout la petite soeur de RTL Television que, de l'extérieur, on imagine qu'elle peut être.» Le scénario décrit par l'ancien dirigeant de RTL Television a, trois ans et une fusion plus tard, connu des modifications profondes. À son départ de RTL, Thoma estimait ainsi que son successeur ne serait guère plus qu'un «chef de département» d'une multinationale plutôt qu'un véritable patron de chaîne.

Lors de la présentation du bilan de 1998 - une dernière année de transition avec une perte de 600 millions de francs avant une année 1999 annoncée dès maintenant comme la meilleure de l'histoire de la CLT - Rolf Schmidt-Holz s'est ainsi félicité de la conclusion d'accords d'approvisionnement en programmes entre RTL Television d'une part et RTL II et Super RTL d'autre part. Les journaux télévisés de RTL II seront dorénavant produits chez RTL à Cologne, qui fournissent aussi les programmes de prime time de Super RTL et les films de RTL II. La coopération entre ces derniers et RTL n'est cependant toujours pas suffisante au goût du directeur général responsable pour les activités allemandes de CLT-Ufa.

Le centralisme absolu n'est pas pour autant à l'ordre du jour. «CLT-Ufa n'a pas de recette magique valable partout», explique Schmidt-Holz. «Nous devons toujours nous adapter aux différentes cultures locales.» Il n'en est pas moins que la recherche de synergies a pris une place sans précédent au Kirchberg. Parmi les éléments moteurs compte aussi le nouveau patron de Bertelsmann - société dans laquelle l'indépendance des filiales a pourtant une longue tradition. Parmi les effets pervers de celle-ci, Thomas Middelhoff aime toutefois citer l'exemple d'un CD-Rom de la Deutsche Telekom offert aux lecteurs du magazine Stern (qui fait partie de l'empire Bertelsmann) alors que le groupe de Gütersloh compte parmi ses filiales avec AOL le principal concurrent de T-online. Une situation inadmissible aux yeux de Middelhoff.

Ce type de situation est pourtant courant dans le royaume CLT-Ufa. En France, il n'est ainsi pas rare de voir des affiches pour des concerts soutenus par RTL Radio et TF1 ou encore par M6 et Europe1. La logique des synergies ne s'est cependant pas arrêtée aux seules activités allemandes de CLT-Ufa. En France, où les activités de CLT-UFAtombent sous la responsabilité de l'autre directeur général, Rémy Sautter, les trois stations radio du groupe - RTL, RTL2 et Fun - ont ainsi été regroupées au siège légendaire des «grandes ondes» de la rue Bayard à Paris. 

Les collaborations internationales des différentes composantes du groupe restent cependant encore plus timides. CLT-Ufa organise ainsi un «supermarché» interne des productions des différentes chaînes du groupe avant de les offrir sur le marché international. Les premiers résultats de productions de RTL Television diffusées sur M6, par exemple, seraient encourageants. L'indépendance de la maison mère est en même temps une liberté jalousement défendue par les différents patrons de chaîne. «Ce n'était pas une chose facile», décrit Rolf Schmidt-Holz ainsi par euphémisme les négociations avec RTL II. 

Les raisons de ce développement vers un rôle plus important de la maison mère ne sont pas seulement à chercher du côté d'un changement de direction chez Bertelsmann. Elles s'inscrivent aussi dans une logique de management des années 90 et témoignent surtout d'un mûrissement du secteur audiovisuel. Le nouveau patron de RTL Television Gerhard Zeiler, s'il rejette les déclarations de son prédécesseur Helmut Thoma, reconnaît cependant que les temps où le secteur progressait de trente à 40 pour cent par an sont révolus. «La suite logique en est qu'on recourt à des méthodes de gestion plus traditionnelles», estime-t-il.

Ce coming of age du secteur se traduit aussi dans d'autres stratégies de CLT-Ufa. Les participations minoritaires ne sont ainsi plus du goût du groupe. «Nous n'avons aucune vocation à être un actionnaire passif», explique-t-on au Kirchberg. Dans M6, la participation est montée de 25 pour cent à sa création à 39,9 pour cent aujourd'hui. RTL Television est détenu depuis la fusion CLT-Ufa à 89 pour cent. En 1998, la compagnie a renforcé son poids dans HMG, le société faîtière des stations radio et télé du groupe aux Pays-Bas de 25,5 pour cent pour atteindre 65 pour cent. 

Les ambitions de CLT-Ufa ne s'arrêtent cependant pas là. Le trésor de guerre de 32 milliards de francs résultant de la vente de 45 pour cent du capital de Premiere à Kirch devrait ainsi être utilisé pour renforcer encore la position du groupe. L'ambition de devenir majoritaire aussi bien dans RTL II (aujourd'hui 34,5 pour cent) que dans Super RTL (50 pour cent) est clairement affichée. Les 29 pour cent détenus dans Channel 5 (Royaume-Uni) ne devraient à moyen terme pas non plus satisfaire CLT-Ufa. D'autant plus que la société d'investissement Warburg Pincus n'a jamais caché son intention de revendre tôt ou tard ses 18 pour cent. 

La consolidation de sa position dans les chaînes existantes est d'autant plus importante pour CLT-Ufa que le lancement de nouvelles chaînes n'est plus à l'ordre du jour, au moins dans l'Union européenne. Channel 5 était une des dernières licences offertes sur le marché. Or, l'expérience décevante en Pologne, avec RTL7, et encourageante en Hongrie, avec RTL Klub, a démontré une fois de plus qu'il n'est guère possible de lancer une chaîne généraliste selon le modèle habituel de RTL par les seuls câble et satellite sans disposer d'un réseau hertzien. De nouvelles chaînes devraient donc surtout être lancées en Europe centrale et occidentale. CLT-Ufa gardera cependant un oeil sur d'éventuelles privatisations au sein de l'Union européenne. Surtout la péninsule ibérique et la Scandinavie manquent encore sur la carte du groupe luxembourgeois.

Les plans d'expansion de CLT-Ufa ne sont toutefois pas limités au rayon géographique et au capital des chaînes existantes. Un rôle important reviendra dans les prochaines années à l'intégration verticale du groupe. Plutôt que de se limiter à diffuser les programmes, le groupe luxembourgeois veut être présent à tous les niveaux de la création de valeur dans les métiers de l'audiovisuel. 

Gaston Thorn, le président du conseil d'administration, a ainsi prédit à moyen terme une augmentation des productions propres pour atteindre 40 pour cent des programmes diffusés par les chaînes RTL. L'intégration des régies publicitaires IP dans les différentes chaînes s'inscrit dans la même logique. Un autre domaine est la commercialisation de droits audiovisuels, surtout de fictions et d'évènements sportifs. CLT-Ufa prévoit de mettre à profit sa dimension européenne et sa présence à tous les niveaux de l'exploitation d'une oeuvre audiovisuelle. 

Les « Luxembourgeois » ont ainsi renforcé leur présence dans la distribution de films dans les cinémas aussi bien qu'en vidéo. Grâce aux cinq pour cent toujours détenus dans Premiere, le groupe peut continuer à vendre des productions dont il détient les droits à la chaîne à péage. La gamme est complétée par les familles de chaînes commerciales gratuites du groupe aussi bien pour la première diffusion que pour les rediffusions. L'activité de production et de droits, qui ne représentait que cinq pour cent du chiffre d'affaires de l'ancienne CLT, est ainsi passée, grâce surtout à Ufa, à seize pour cent en 1998, une croissance qui devrait se poursuivre. 

Si les milliards de la vente de Premiere sont les bienvenus dans cette expansion, il reste que l'opération «télévision à péage» constitue un énorme gâchis d'abord pour la CLT, puis pour CLT-Ufa. Les chiffres financiers indiquent certes encore un profit de quatorze milliards de francs. Ils restent cependant silencieux quant à l'énergie et au temps perdus dans la bataille. D'autant plus que, même si l'analyse de Thomas Middelhoff que la télévision à péage sera rapidement remplacée par Internet se confirme, au sein du groupe Bertelsmann, CLT-Ufa ne compte pas Internet parmi ses prérogatives.

 

Jean-Lou Siweck
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