Sur nos planches, le temps est aux monologues pour le texte et aux caméras dv pour la mise en scène. Deux procédés qui servent à pallier là un manque d'acteurs, ici un défaut de moyens ou encore d'imagination. Deux procédés aussi, qui peuvent s'avérer contre-productif. Un monologue mal interprété ou une caméra sur-utilisée rendent indigeste le plus beau des textes. La mise en scène (Frédéric Frenay) d'Exécuteur 14, actuellement au programme du Théâtre de la ville d'Esch, souffre quelque peu de ces deux maux en même temps, surtout qu'à la base déjà, la pièce ne convainc pas. L'auteur Adel Hakim, dans son texte vieux d'une dizaine d'année et truffé de clichés, laisse un narrateur (Daniel Plier) raconter sa traversée de l'enfer, version guerre civile. Ou comment un brave garçon se mute en guerrier, en meurtrier, en barbare. Le cadre : sans indication de lieu ni de temps. Le narrateur, dernier survivant du massacre, passe en revue les évènements. Depuis son enfance - plutôt tranquille, même si déjà marquée par les tensions entre deux communautés fictives, les Adamites et les Zélites - jusqu'à sa fin, seul sur les ruines de son existence. Entre ces deux instants, un moment clef, l'assassinat brutal, sous ses yeux, de sa fiancée par la tribu adverse. La pièce joue à la fin de ses pérégrinations, il passe ses derniers instants à s'interroger sur sa propre culpabilité. Frontière floue en temps de guerre, que celle entre le bourreau et sa victime. Malheureusement ces interrogations ainsi qu'une partie du texte passent à la trappe d'une acoustique imparfaite, d'une diction étouffée et d'une mise en scène étouffante. Car si le texte éveille un soupçon de faiblesse, la mise en scène pèche par sa surabondance. La première scène donne le ton, ce soir spectacle s'écrira avec un S majuscule. Images qui défilent à toute allure sur grand écran, musique hard à fond la caisse, look «army» pour Daniel Plier, qui fait son entrée muni de l'éternelle caméra, tel une kalachnikov. Arme fatale donc du théâtre contemporain, même s'il faut accorder à Frédéric Frenay le bénéfice de l'utilisation intelligente. La caméra ne sert pas qu'à filmer ce qu'on voit déjà, mais devient part entière du décor, elle fait le décor. Notamment lorsque, posée sur une maquette de rues et de maisons suspendue au milieu de la scène, elle projette en grand les images sur l'écran, ce qui produit des effets bizarres, entre film et réalité. Une tentative, vaine, d'entraîner le spectateur dans ce monde de guerre et surtout de le captiver par le tiraillement intime du protagoniste. Car malgré - ou à cause de - ces artifices, on décroche du jeu de Plier, qui semble dépassé par ce rôle à la fois physique et émotionnel. À l'inverse du personnage qu'il interprète, lui ne réussit pas sa mutation monstrueuse. Ni le sang rouge vif étalé sur tout son corps, ni la musique de headbanger ou les grosses bottes ne le rendent crédible en guerrier féroce. Au contraire, cet overkill de stéréotypes, le font plus ressembler à l'animateur d'une émission de télé-réalité du genre Koh Lanta, qui «joue» le méchant, qu'à un homme qui se retrouve déboussolé après avoir vu mourir les siens et tué ceux d'en face. On a connu Frédéric Frenay plus audacieux dans ses choix, cette troisième mise en scène n'est certainement pas la plus convaincante. Néanmoins pour ceux qui ne veulent pas rater la dernière partie de sa trilogie eschoise autour de la normalité et de la différence, il soit dit que ce coup-ci, ça ne dure que 70 minutes. Avis aux amateurs donc.
Exécuteur 14 d'Adel Hakim, dans une mise en scène de Frédéric Frenay, assisté par Valérie Bodson, avec Daniel Plier ; décor : Do Demuth, lumières: Karim Saoudi, sera encore joué ce soir, demain, samedi 9, lundi 11 et mardi 12 octobre à 20 heures au Théâtre municipal d'Esch-sur-Alzette. Réservation : 54 03 87 ou 54 09 16.