Chroniques de la Cour

Le retour de Vassilios Skouris

d'Lëtzebuerger Land du 10.12.2021

Vassilios Skouris est de retour ! L’ancien président de la Cour de justice européenne a été nommé par son successeur, Koen Lenaerts, membre du comité de sélection des juges européens. Un poste clé. Une provocation, disent certains. Président de la chambre de jugement du comité éthique de la FIFA après son départ de la Cour en 2015, son retour dans les affaires européennes surprend. L’homme, qui a ses entrées partout, a surtout été très critiqué pour les méthodes autoritaires et peu orthodoxes avec lesquelles il a changé l’architecture judiciaire de la cour provoquant dégâts et perte de confiance dans l’institution.

Crée par le Traité de Lisbonne, le « comité 255 », qui doit son nom à l’article dudit traité qui en prévoit la création, vise à vérifier « l’adéquation » des candidats au poste de juge européen. Ses sept membres sont nommés pour quatre ans. Le comité a un pouvoir de vie ou de mort sur les candidats puisque ses avis ont jusqu’ici toujours été suivis. Ses membres débattent à huis clos. Leurs avis ne sont pas publics sauf pour les États membres qui en reçoivent un résumé succinct, suscitant quelques fois l’incompréhension. Le refus de cinq candidats successifs envoyés par la Slovaquie au poste de juge au Tribunal, est généralement considéré comme un « dérapage ».

Le mandat des membres actuels se termine en mars 2022 et la nouvelle équipe est prête. Son président sera toujours le Finlandais Allan Rosas (né en 1948) qui avait remplacé le Néerlandais Timmermans démissionnaire. Ce poste a été considéré par certains comme étant un lot de consolation pour ce juge qui, en 2012, avait été à deux doigts d’être élu président de la Cour mais dont Skouris avait ruiné les chances en menant campagne en tandem avec Koen Lenaerts (d’Land du 24 avril 2020 ). Skouris retrouvera aussi une ancienne juge au Tribunal, Maria Eugénia Martins de Nazaré Ribeiro (1956), un pur produit de la Cour au sein de laquelle elle a fait toute sa carrière. Elle y est arrivée en tant que jeune référendaire dans le cabinet d’un juge portugais puis « hébergée » dans celui du président danois du Tribunal en attendant d’être nommée juge par son gouvernement.. On lui prête un rôle prépondérant dans les avis donnés par le comité 255. Elle devra donc forcément composer avec Vassilios Skouris, qui est une forte personnalité. Reste aussi dans l’équipe Frank Clarke, Chief Justice of Ireland jusqu’en octobre dernier. Selon le Irish Time, il s’est inscrit à nouveau au Barreau, n’exclut pas d’aller plaider devant la cour de justice européenne et se concentrera sur des travaux d’arbitrage et de médiation. Reste aussi Julia Laffranque (1974) qui remplace le politicien Simon Busuttil, démissionnaire. Julia Laffranque est juge à la Cour suprême estonienne après avoir été juge à la Cour des Droit de l’Homme à Strasbourg (2011-2020). Elle occupe le seul poste sur les sept qui est confié à l’initiative du Parlement européen et non pas à celle du président de la cour.

Exit en revanche l’ancien juge polonais à la Cour constitutionnelle ancienne formule, Mirosław Wyrzykowski (1950). Les opposants au régime polonais actuel voyait dans ce démocrate un expert avisé et un rempart contre l’arrivée à la cour de juges qui ne respecteraient pas les règles de l’État de droit. À la mi-mars ne seront également plus là Andreas Voßkuhle (1963), vice-président de la Cour constitutionnelle allemande jusqu’en 2020, ainsi que Carlos Lesmes Serrano (1958), l’actuel président de la Cour suprême espagnole. Deux femmes les remplacent : Barbara Porízkova (1968), vice-présidente de la Cour administrative suprême de la République tchèque, et Silvana Sciarra (1948), juge à la Cour constitutionnelle italienne.

Le comité, dans sa formation actuelle, a récemment donné des avis favorables à six juges, nouveaux ou en fin de mandat au Tribunal européen. En revanche, une juriste grecque, Eugenie Prevedourou, grande spécialiste en droit administratif, pourtant le cœur de métier du Tribunal, n’a pas eu l’heur de lui plaire, sans que l’on en connaisse les raisons. Mais les observateurs ne prédisent aucun obstacle à la candidature grecque du Directeur de la communication de la cour, William Valasidis, proposé par son gouvernement à la fin novembre pour occuper un des deux postes de juge au Tribunal qui reviennent à la Grèce. Une candidature diversement appréciée. Ancien référendaire de Skouris, il lui doit son poste de directeur au terme d’une longue lutte intestine qui a alimenté la chronique de la Cour en son temps. Un autre dossier attend le comité, qu’il statue dans sa forme actuelle ou dans celle qui sera la sienne en mars prochain. Le gouvernement polonais a proposé une candidature au poste de juge à la cour en remplacement de Marek Safjan lequel n’est plus en odeur de sainteté dans les sphères gouvernementales de son pays. Le gouvernement a proposé à sa place un juge à la Cour constitutionnelle, Rafał Wojciechowski, lequel le 7 octobre dernier, a voté en faveur du fameux arrêt sur la non-conformité des dispositions du traités de l’UE avec la Constitution polonaise alors qu’il avait la possibilité, comme l’ont fait deux autres juges, d’émettre au moins une opinion dissidente. À suivre.

Dominique Seytre
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