Chroniques de la Cour 

Pour l’exemple

d'Lëtzebuerger Land du 22.10.2021

La Cour de justice a frappé au portefeuille dans un arrêt du 30 septembre dernier. Karel Pinxten, homme politique flamand, membre de la Cour des comptes de l’UE de 2006 à 2018, a été déchu des deux tiers de ses droits à pension. Une pension généreuse, octroyée à tous les titulaires de hautes charges dans l’UE tels que les commissaires ou les juges européens. Avec seulement douze ans de service, il touchait près de 12 000 euros mensuels brut de retraite. La raison de cette sanction : une série de « tripotages » pour reprendre l’expression de Franklin Dehousse, ancien juge à la Cour de justice, qui vient de lui consacrer une chronique assassine sur le site de l’hebdomadaire belge Le Vif. Longues missions bidons et voyages extravagants à Cuba, Crans-Montana, partie de chasse à Chambord, recours à des chauffeurs sans raisons professionnelles, usage illégal de cartes de carburant détaxé (d’Land, 26.02.21). Tripotages qui ont coûté cher aux contribuables européens puisque l’Olaf  l’Office antifraudes de l’UE les chiffrait à environ 470 000 euros. Une affaire qui embarrasse la Cour des comptes, passablement secouée, la Cour de justice ne l’ayant pas totalement exonérée de toute responsabilité. La Cour des comptes, qui craint toujours un emballement médiatique, voudrait tourner la page, mais cela ne dépend pas d’elle. 

En juin 2018, l’Olaf envoie son rapport à la Cour des comptes et parallèlement aux autorités judiciaires luxembourgeoises. Il recommande à la première de recouvrer les sommes indûment versées à Pinxten et aux secondes de le poursuivre au pénal. En novembre 2018, La Cour des comptes lui intente donc un procès devant la Cour de justice européenne. Un article du Traité de l’UE vise les membres de la Cour des comptes qui ne « satisfont plus aux obligations de leur charge » avec pour sanction la déchéance de tout ou partie de leur droit à pension. La Cour de justice s’en tiendra strictement à cet aspect, ne produira aucun chiffre, évacuant ainsi l’aspect financier présenté par la Cour des comptes. Karel Pinxten s’est offert les services d’une des gloires du barreau de Bruxelles, Maître Laure Levi. L’avocate demande à la Cour de contraindre sa voisine du Kirchberg à produire un rapport d’audit interne (2012-2018) concernant les frais de mission et l’utilisation des véhicules officiels par tous les membres de la Cour des comptes. Me Levi veut aussi produire devant la Cour un document interne prouvant que d’autres membres de la Cour des comptes auraient bénéficié d’un traitement plus favorable à irrégularités comparables. Les deux demandes ont été rejetées mais ces accusations font tache. La Cour des comptes voudrait bien voir l’affaire Pinxten derrière elle. Mais n’est rien moins sûr.
Ce qui l’inquiète, c’est de voir le Belge et son avocate étrangement silencieux. Aucune déclaration de leur part depuis le 30 septembre. Il y a une autre affaire Pinxten. Lorsqu’en avril 2019, la Cour des comptes veut récupérer un peu plus de 150 000 euros indûment versés, Me Levi prend soin   d’attaquer cette décision devant le Tribunal européen. Cette affaire, anonymisée à sa demande (il s’agit de l’affaire CQ contre Cour des comptes) est pendante. La Cour des comptes aimerait bien que Pinxten se désiste car, pour elle, sa condamnation du 30 septembre est suffisante pour qu’il jette l’éponge. « Mais pour ne pas avoir à payer, Pinxten serait capable de continuer à leur pourrir la vie » , explique un politicien belge qui le connaît. Une occasion aussi pour lui de contre-attaquer, de peaufiner certains arguments et qui sait, d’alerter la presse en temps voulu. La Cour des comptes n’aime pas cette perspective. D’autant plus qu’il y a aussi le volet pénal qui risque de faire des vagues. Le parquet luxembourgeois poursuit son enquête. La Cour des comptes a listé l’ensemble des charges retenues par l’Olaf : détournement d’argent public, corruption, faux et usage de faux en écriture publique, trafic d’influence, prise illégale d’intérêt, évasion fiscale. Rien ne dit que le Procureur les retiendra toutes mais les retombées médiatiques seront normalement là.

Pour certains, ces retombées ont été limitées jusqu’à présent parce que le 30 septembre dernier, jour du prononcé de l’arrêt, la Cour de justice n’a fait aucune communication – communiqué de presse, ou publication du jugement - en langue anglaise. Étaient disponibles seulement une version française parce que la procédure était menée en français et une version en néerlandais la langue maternelle de Pinxten. En hommage à la belgitude du dossier, ironise Franklin Dehousse. Les vingt autres langues de l’UE ont été aussi absentes. Cette affaire méritait mieux, estiment nombre d’observateurs, y compris à la Cour de justice même. Mais à qui profite le crime ? À la Cour des comptes, qui proteste parce que, dit-elle, elle a intérêt à ce que Pinxten soit cloué au pilori ? ou à la Cour de justice qui n’a pas été toujours très claire avec les missions de ses membres, l’utilisation des chauffeurs et comme le dit aussi Dehousse, avec le principe de transparence ?

Dominique Seytre
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