Qui va gagner le gros lot ? Un appel à candidatures publié dans la presse grand-ducale vient de donner le coup d’envoi à la course aux postes de juges au Tribunal européen. Les deux juges actuels, Marc Jaeger et Dean Spielmann, seront en fin de mandat dans un an et le gouvernement luxembourgeois prépare déjà l’étape suivante. Les postes sont d’usage très convoités partout en Europe. Ils sont un peu moins bien payés que celui de juge à la Cour de justice, moins prestigieux certes, et pour nombre de ceux qui les occupent, une véritable sinécure car il n’y a pas assez de travail pour tous. Mais ils sont très convoités.
Le but de l’appel d’offre du gouvernement luxembourgeois est de présenter deux candidats à la Conférence des représentants des États membres de l’UE qui les nommera officiellement juges au Tribunal pour la période allant du mois de septembre 2022 à septembre 2028. À noter que ce n’est pas le Conseil de l’UE qui nomme les juges mais la Conférence, une formation informelle échappant au droit de l’Union que le Conseil de l’UE utilise pour les sujets politiques sensibles sur lesquels les États membres veulent garder le contrôle. Il lui suffit de changer de casquette, de s’appeler « Conférence » le moment voulu (comme sur l’accord avec la Turquie concernant les réfugiés, d’Land, 15.01.2021).
Les candidat(e)s luxembourgeois(e)s ont jusqu’au 9 octobre prochain pour se faire connaître et envoyer CV et lettre de motivation. Entre le 11 octobre et le 5 novembre, ils seront convoqués pour un entretien avec les membres du comité de sélection consultatif national, un comité créé en novembre 2020 pour présider à l’évaluation des candidats au poste de François Biltgen à la Cour de justice (lequel s’étant lui aussi présenté et a vu son mandat renouvelé pour six ans à partir du 6 octobre 2021). Dans ce comité figuraient Jean-Claude Wiwinius, ancien président de la Cour supérieure de justice qui a pris sa retraite cet été, Francis Delaporte, président de la Cour administrative, Martine Solovieff, Procureure générale, Valérie Dupong, et Jean-Louis Unsen, respectivement bâtonnière et bâtonnier de l’ordre des avocats au Barreau de Luxembourg et de Diekirch, Katalin Ligeti, doyenne de la faculté de droit et d’économie de l’Université de Luxembourg et Georges Friden, ambassadeur du Luxembourg auprès de l’UE.
À la question de savoir si les mêmes personnalités auditionneront les candidats, le ministère de la Justice répond « qu’un arrêté ministériel de composition doit d’abord être formalisé. Ce dernier stipulera les membres qui seront rendus publics par la suite (avec) publication au Mémorial ». Pourquoi la liste ne devrait-elle pas être la même ? À voir. Le comité de sélection national examinera les qualifications des candidats, leur expérience, leurs compétences juridiques… Leur identité sera un secret bien gardé. Les deux candidats retenus seront présentés officiellement par le gouvernement luxembourgeois pour passer ensuite devant les membres du comité européen dit 255 – d’après l’article du Traité de l’UE qui l’a créé – lequel sera chargé de vérifier « leur adéquation à l’exercice des fonctions de juges au Tribunal ». Une formule fourre-tout qui a ouvert la voie à bien des surprises.
Mais au fait, y aurait-il de la place pour deux candidats ou pour un seul ? Tout dépend de ce que veulent faire les deux juges en place. Interrogés par le Land, les deux ne veulent pas s’exprimer. Le service de presse s’en sort par une pirouette en disant que la fin des mandats de Marc Jaeger et de Dean Spielmann, « ce n’est que pour 2022 ». S’ils se représentent pour un nouveau mandat, les chances de leurs concurrents sont faibles. On l’a vu avec le juge Biltgen qui, en se présentant à nouveau, a rendu dérisoires les prétentions des autres candidats à prendre sa place. On peut toutefois présumer que Marc Jaeger juge au tribunal en 1996, président de sa juridiction entre 2007 à 2019, date à laquelle il est passé en vitesse de croisière en redevenant simple juge, a fait le tour de la fonction. Mais Dean Spielmann n’est là que depuis 2016. C’est le second juge auquel le Luxembourg avait droit au terme de la réforme de 2015. Ancien président de la Cour européenne des droits de l’homme, beaucoup pensent qu’il ne se contenterait pas de ce poste de « petit juge » au Tribunal, mais qu’il pourrait se représenter et attendre patiemment que le poste de juge à la Cour de justice se libère. Dans cette hypothèse, certains lui prédisent déjà un avenir, de président – élu par ses pairs comme au tribunal – en raison du prestige que lui vaut sa carrière à Strasbourg. Beaucoup d’interrogations donc à ce stade, y compris celle de savoir si une femme sera privilégiée à égalité de « conditions et de procédures » comme l’avaient suggéré le Conseil de l’UE et le Parlement européen. Devant les critiques virulentes que soulevait leur réforme consistant à doubler le nombre de juges passant de 27 à 54, pour une même charge de travail, cette suggestion avait été rajoutée à la dernière minute.