Si vous êtes allergiques aux marchés de Noël, cette année, la file d’attente pour faire valider son CovidCheck vous offre une bonne excuse pour ne pas participer aux orgies de vin chaud, churros et chansons périmées de stars des années 80 qui auront touché plus de royalties avec un seul titre contenant le mot Christmas qu’avec tout le reste de leur œuvre.
Alors qu’il devrait être clair pour tout le monde qu’il vaut mieux remplacer un vin brûlant servi dans une botte en porcelaine, bu debout dans le froid, par la même boisson consommée dans une ambiance cosy, confortablement installé dans un bar, ces longues files d’attente laissent, encore une fois, planer un doute sur notre intelligence collective. Qu’est-on prêt à endurer pour se convaincre qu’il reste un soupçon de magie dans nos tristes vies d’adultes soumises aux contributions directes et aux augmentations des tarifs du gaz ?
On le sait, le Père Noël n’est pas un gros barbu en manteau rouge. Il ne passe pas par la cheminée le soir du 24 décembre, mais sonne à la porte les jours de semaine de novembre à décembre, à 10 h du matin, quand les parents sont en télétravail et les enfants sont à l’école. Il ne voyage pas avec nos cadeaux dans le ciel sur un traîneau tiré par des rennes, mais avec ses bénéfices dans une grosse fusée ridicule en forme de phallus. Il est mince, chauve et porte un costume Armani. C’est Jeff Bezos. Alors, oui, pour oublier cette réalité peu réjouissante, on veut bien attendre un quart d’heure au bord du boulevard Roosevelt. Après tout, quand on a déjà fait la queue devant la librairie Ernster pour obtenir une dédicace de Stéphane Bern et de la Grande-Duchesse, pour un test antigénique certifié, ou pour acheter une nouvelle télévision à un tarif Black Friday, on dispose d’un certain entraînement.
Quiconque a pratiqué les parcs d’attractions a pu mesurer le degré d’acceptation des files d’attente. Vingt minutes, 45 minutes, une heure ne suffisent pas à faire renoncer l’amateur de sensations fortes et de selfies plus ou moins acrobatiques. Faire la queue pour le Space Mountain, passe encore. Mais ça commence avec le ticket de parking et ça continue du petit déjeuner aux toilettes (spoiler: Mickey Mouse n’est pas toujours de la partie pour faire passer le temps). Tous ces gens, têtes baissées sur leur smartphone, ressemblent à des pénitents, figés en une procession extrêmement lente, qui attendent d’expier leurs péchés dans un manège qui va leur retourner tête et boyaux dans un supplice que Dante aurait pu décrire s’il avait visité Europa Park. Enfin, dans les parcs d’attractions, attendre, c’est uniquement pour les masses prolétaires. Des formules spéciales permettent à ceux qui trouvent trop bon marché le tarif d’entrée de payer le double en échange d’un accès direct à un nombre d’attractions proportionnel au prix de la formule « gold », « diamond » ou « ultimate platinum ».
Ces nouveaux systèmes de castes, où il suffit de payer plus pour devenir prioritaire, se généralisent progressivement. Dans certains concerts, déjà, le fan peut payer plus cher son ticket, afin d’entrer avant les autres et se garantir, ainsi, une place au plus près de son idole. On pourrait avoir des marchés de Noël avec plusieurs entrées, en fonction de ce que vous prévoyez de consommer. Des péages autoroutiers avec différents tarifs, où la plèbe se presserait naturellement sur les files où le ticket est le moins cher alors que les plus fortunés passeraient sans encombre. C’est un peu triste : la file d’attente était peut-être l’un des derniers bastions de l’égalité entre êtres humains. Plus démocratique, pour 2022, on pourrait rêver à une application qui gérerait les files d’attentes sur nos téléphones. Il suffirait de scanner un QR Code devant un lieu dans lequel on souhaite entrer, afin de savoir combien de personnes vont passer avant nous, connaître le temps d’attente prévisionnel, et recevoir une alerte cinq minutes avant que son tour n’arrive.
Est-ce que cela serait vraiment mieux ? La vie sans attendre c’est comme le pain de mie sans croûte ou le raisin sans pépin… en ne voulant garder que le meilleur, ça n’a plus le même goût.