Dura Lex

Quand le off devient in

d'Lëtzebuerger Land du 27.10.2005

Dura Lex, coproduction pariso-luxembourgeoise (TNL et Centaure) a raflé la mise du off avignonnais cette année. Non seulement elle a été plus que médiatisée parmi un choix inépuisable de productions internationales, mais – cerise sur le gâteau – elle a en plus, ou grâce à cette couverture, été primée par le prix Prix Adami-Jeanne Laurent, récompensant avec pas moins de 60000 euros une des 39 pièces du off que l'Adami (l'association des artistes-interprètes) a aidé en vue d'une production au Festival Off. La traduction du titre en dit déjà long. Jesus Hopped the 'A' Train, c'est sous cette appellation que la pièce écrite par l'auteur-acteur Stephen Adly Guirgis a été montée pour la première fois en anglais, dans le off-Broadway, par l'acteur de cinéma américain Philip Seymour Hoffmann, acolyte de Guirgis dans le laboratoire à idées à théâtre LAByrinth. En français, ça donne Dura Lex, en référence aussi bien à l'expression bien connue «dura lex sed lex» (la loi est dure mais c'est la loi) qu'au fabricant de verre «ultra-résistant» du même nom. Renvoi à la croyance dans le premier, à la justice dans le second, la pièce a beaucoup des deux titres, mais plus encore (l'injustice sociale, les exécrables conditions de vie en prison). Foisonnement d'idées qui va de pair avec le style cinématographique ou télévisuel de la chose, style qui prend son origine certes dans la mise en scène dynamique de la metteuse en scène Marianne Groves, mais qui est surtout inhérent au texte, rapide, vivant, qui colle dans la bouche des acteurs. Mais, et s'il n'y a qu'une critique à émettre, ce serait celle-là : par moments on se demande où l'auteur veut en venir. S'interroge-t-il sur la notion de justice, celle de croyance ou le lien entre les deux… Et, si oui, quelle est sa position dans tout ça ? Au départ c'est l'histoire d'Angel, jeune homme excellemment interprété par Dimitri Storoge, qui s'est fait arrêter pour avoir tiré dans les fesses du Révérend Kim, chef d'une secte à cause de laquelle son meilleur ami a disparu. Le début de la pièce le montre en pleine confrontation avec l'avocate commise d'office et à laquelle il dit « mais je lui ai juste tiré dans le cul », avant de l'insulter et de la virer. C'est cette affirmation qui fait revenir, après réflexion, la jeune femme, jouée par la tout aussi forte Beata Nilska, puisqu'elle soulève la question du point de départ de la culpabilité, de la possibilité de s'exonérer d'un crime, parce que dans l'absolu, en-dehors de tout texte de loi, ce crime peut paraître justifié.  L'amorce philosophique que l'auteur soulève là est intéressante, mais ne sera pas approfondie parce qu'elle se mêle par la suite à trop de choses. La croyance avant tout et la justice divine, avec le co-détenu d'Angel, Lucius, black paralysé, entre délire religieux absolu (il s'adresse directement à Dieu), sagesse (il profère des conseils à tout le monde qui semblent réussir à quelques-uns), et délire tout court (il a quand même tué au moins huit personnes). Lucius entraîne Angel dans une logique opposée à celle de son avocate, où il serait de toute façon coupable, puisqu'il y a eu mort d'homme. Pas de circonstance exonératoire. C'est entre ces deux dialectiques que la pièce est tiraillée, tiraillement qui ne pose pas un problème en son principe, mais l'auteur reste en défaut de conclure au final et c'est avec ce seul bémol de frustration que j'ai quitté les Ateliers du TNL. Pour le reste, c'est tout bon et c'est même tellement bon, que le manque d'aboutissement dans le questionnement philosophique et social est largement compensé. Par le jeu d'acteur tout d'abord, qui tous sans exceptions – les habitués des planches luxembourgeoises Franck Sasonoff et Jules Werner n'étant pas en reste -, éclosent dans ce texte qui ne demande qu'à être dit. Mention spéciale pour Edouard Montoute, qui joue Lucius, et réussit pleinement le pari de pousser même le spectateur à un agacement absolu contre sa personne, tout en faisant rire le moment d'après, exercice pour lequel il s'est fait la main entre autres dans la trilogie Taxi et un Astérix. Par la mise en scène de Marianne Groves ensuite, qui est très contemporaine sans saturer. Elle utilise habilement le son et les lumières pour dynamiser encore plus une pièce qui se trouve constamment au bord de l'explosion et substitue ces deux éléments au décor minimaliste. Par conséquent, si dans les dédales actuels de la production théâtrale il y a une pièce à voir, c'est bien celle-là.

Dura Lex de Stephen Adly Guirgis; traduit de l'américain et mis en scène par Marianne Groves ; avec : Edouard Montoute, Dimitri Storoge, Beata Nilska, Franck Sasonoff et Jules Werner, ainsi que les voix de John Berrebi, Christian Bobet, Nicolas Bridet et Michael Troude ; scénographie: Gilles Touyard; lumières : Orazio Trotta, conception sonore: Madame Miniature; costumes: Danik Hernandez ; dernière représentation dimanche 30 octobre à 16 heures aux Ateliers du TNL ; réservations par téléphone 47 08 95 1 ; site Internet : www.tnl.lu ou www.theatrecentaure.lu.

 

 

Sam Tanson
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