Chronique Internet

Un appel à suspendre @realDonaldTrump

d'Lëtzebuerger Land du 03.02.2017

Donald Trump respecte-t-il les « règles Twitter » qui font partie des conditions d’utilisation du service de micro-blogging ? Des internautes sont convaincus du contraire et ont commencé à signaler à Jack Dorsey, le CEO de Twitter, qu’ils jugent certains de ses tweets incompatibles avec ces règles. Celles-ci sont assez claires. Un paragraphe intitulé « Conduite haineuse » précise : « Vous ne devez pas directement attaquer ni menacer d’autres personnes, ni inciter à la violence envers elles sur la base des critères suivants : race, origine ethnique, nationalité, orientation sexuelle, sexe, identité sexuelle, appartenance religieuse, âge, handicap ou maladie. Par ailleurs, nous n’autorisons pas les comptes dont le but principal est d’inciter à faire du mal aux autres sur la base de ces catégories ». La sanction pour qui contrevient à ces règles, regroupées dans le chapitre « Conduite inappropriée » : « Tout compte impliqué dans les activités mentionnées ci-dessous, ainsi que tout compte associé, pourra être temporairement bloqué ou risque d’encourir une suspension définitive ».

Cette préoccupation a pris la forme d’une pétition publiée sur change.org par « Do the Right Thing, Twitter » et soutenue par Bernie Sanders. « Vous n’êtes pas un gouvernement. Vous êtes une entreprise. En l’autorisant à utiliser votre service, vous l’aidez à votre profit […] Suspendez son compte comme vous le feriez pour tout autre personne incitant à la haine », dit le manifeste. Toutefois, en début de semaine, cette pétition avait recueilli moins de 200 signatures. En revanche, les tweets appelant à une telle suspension sont légion.

Personne ne doute que Twitter profite de l’utilisation ininterrompue de ses services par Donald Trump, motivée par sa profonde détestation des médias et sa volonté de les court-circuiter pour s’adresser directement à sa base (il a près de 19 millions de followers). Mais comme par ailleurs Jack Dorsey est, à l’instar des patrons de plusieurs grandes entreprises américaines de technologie, très remonté contre le décret

anti-immigration de Trump parce qu’il menace directement un vivier critique pour leur recrutement, on pourrait imaginer qu’il aurait malgré tout un a priori en faveur d’un blocage ou d’une suspension. Certains ont même spéculé naïvement qu’enamouré comme il l’est de son compte @realDonaldTrump, « 45 » pourrait réagir à une menace voilée de blocage en revenant sur sa politique d’immigration.

Une mesure de blocage ou de suspension de la part de Twitter reviendrait-elle à lui donner le prétexte dont il rêve pour soumettre les réseaux sociaux à un contrôle plus étroit ? Sous couvert de protéger la liberté d’expression garantie par le premier amendement, il pourrait se sentir en droit de les « réguler » et de purger les plateformes des contenus jugés indésirables, ont argumenté des internautes sceptiques. Sur Reddit, un contributeur a fait valoir que grâce à ce compte, on garde au moins un œil sur sa folie, un autre a dit craindre par-dessus tout, davantage encore que l’actuel, un Trump « secret, ne communiquant pas ».

Il y a aussi à cette discussion des aspects boursiers et sécuritaires. Des entreprises cotées en bourse ont mis en place une veille pour se prémunir contre les dégâts que pourraient causer ses tweets, souvent lâchés en pleine nuit pour fustiger à l’emporte-pièce des sociétés qui ont eu le malheur de lui déplaire. On sait par ailleurs que le compte @realDonaldTrump est la cible des hackers. S’ils parviennent à leurs fins (cela a été le cas en 2013), ils n’auraient sans doute pas trop de mal à simuler le style des pilules rageuses de son détenteur officiel pour, par exemple, semer la pagaille dans les relations internationales et pousser le monde au bord du précipice. Qu’on en soit à se poser ce genre de questions au sujet d’un président des États-Unis en exercice est délirant – au point d’être quelque peu distrayant –, mais il faut reconnaître que c’est tout aussi inquiétant.

Jean Lasar
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