Neutralité du Net

Débroussailleuse contre la neutralité du Net ?

d'Lëtzebuerger Land du 27.01.2017

Le nouveau président de la FCC, la Federal Communications Commission, le Républicain Ajit Pai, veut-il vraiment, comme l’affirme une bonne partie de la presse américaine, en finir avec la neutralité du Net institutionnalisée par son prédécesseur Tom Wheeler en 2015 ? Pai, un juriste spécialiste qui se consacre depuis de longues années à la réglementation des technologies de l’information, était déjà l’un des membres de la FCC, ce qui lui évite de devoir passer devant le Sénat pour se faire confirmer. Par rapport à la plupart des autres nominations du nouveau président, c’est une différence notable : lui au moins connaît le secteur qu’il est appelé à administrer. Apparemment, emportés par l’habitude de se gausser de l’incompétence notoire des responsables nommés ces dernières semaines et de leur attribuer les desseins les plus noirs, les journalistes n’ont pas résisté à la tentation d’appliquer le même traitement à Pai. Ce qui aura sans doute facilité ce parti pris est que, fidèle à la ligne de son parti, Ajit Pai a effectivement multiplié les déclarations incendiaires révélant son hostilité de principe aux réglementations, évoquant par exemple la nécessité de « démarrer la débroussailleuse et supprimer ces règles qui inhibent l’investissement, l’innovation et la création d’emplois ».

Pour autant, son positionnement sur la neutralité du Net ne semble pas nécessairement s’inscrire dans cette ligne. Un des rares à ne pas avoir crié au loup à ce sujet, le magazine Forbes s’est attaché à reprendre en détail les prises de positions passées du nouveau patron de la FCC sur le sujet, démontrant que si cette neutralité est remise en question

au cours des années à venir, ce ne sera pas du fait positionnement idéologique de Pai. Lorsque, sous l’égide de son prédécesseur Tom Wheeler qui a annoncé sa démission en décembre dernier, la FCC avait entériné le principe de neutralité, Ajit Pai évoquait l’existence d’un « consensus bipartisan en faveur d’un Internet libre et ouvert ». Et d’ajouter : « De fait, ce consensus remonte à au moins une décennie. En 2004, le président de l’époque de la FCC Michael Powell décrivait quatre libertés de base qui doivent être reconnues aux internautes : le droit d’accéder aux contenus légaux, le droit d’utiliser des applications, le droit de connecter des appareils personnels au Net, et le droit d’obtenir des renseignements sur les modalités de son abonnement ».

Il est vrai que les divergences n’ont pas manqué, lors de l’adoption du statut de neutralité en 2015, mais elles ont surtout porté sur le chemin choisi par l’agence gouvernementale pour l’imposer : la FCC avait fait de l’accès à Internet une prestation de type « public utility ». Un statut qui date de la généralisation de la téléphonie dans les années 1930 et impose une série de contraintes en matière de prix et de types d’abonnement, qui ont longtemps constitué des obstacles à l’entrée de nouveaux concurrents. Face à des opérateurs et FAI vent debout contre les tentatives de la FCC d’ancrer la neutralité du Net dans la législation américaine, ce chemin avait été le seul trouvé par la FCC pour passer outre leur intense lobbying. C’est sur ce point que Pai se démarque de son prédécesseur.

Difficile donc à ce stade, en l’absence d’une audition devant les sénateurs, de prédire ce que fera la FCC sous la férule de Pai. Son refus de principe des réglementations peut certes augurer d’une période de laissez-faire tous azimuts. Et il n’est pas dit non plus que la FCC parvienne à maintenir une neutralité du Net digne de ce nom si celui-ci ne s’appuie plus sur la notion de service public qui lui a fourni jusqu’ici un ancrage juridique. Même si les autorités américaines n’interviennent pas sur les pratiques des fournisseurs d’accès à Internet de ce côté de l’Atlantique, mieux vaut suivre ce dossier de près : leurs choix finissent toujours par impacter ce qui se passe dans le reste du monde.

Jean Lasar
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