Intelligence artficielle

Google gagne au go en sous-main

d'Lëtzebuerger Land du 13.01.2017

L’année a commencé en fanfare pour l’intelligence artificielle. Après le tournoi qui avait opposé en mars 2016 le programme d’intelligence artificiel AlphaGo au quatrième joueur mondial, Lee Sedol, et s’était achevé sur la victoire du premier, on a appris ces derniers jours qu’une version améliorée du même programme s’était mesurée de manière anonyme aux meilleurs joueurs du moment. Les battant tous, y compris le premier d’entre eux, Ke Jie, lors d’une cinquantaine de parties jouées en ligne sur deux plateformes, Tygem et FoxGo.

Demis Hassabis, le directeur de DeepMind, une société basée à Londres qui appartient à Google depuis 2014, a reconnu le 4 janvier que « MasterP », ce champion venu de nulle part qui massacrait allégrement l’élite mondiale, était une version évoluée d’AlphaGo et qu’il s’était mesuré aux champions de manière dissimulée. « Nous avons beaucoup travaillé pour améliorer AlphaGo, et au cours des derniers jours nous avons joué quelques parties inofficielles rapides en ligne avec notre nouvelle version prototype ».

Après le tournoi très médiatisé de l’an dernier, la plupart des grands joueurs étaient d’accord pour estimer que ce n’était qu’une question de temps avant que les programmes d’intelligence artificielle dédiés au jeu de go ne s’améliorent suffisamment pour systématiquement dominer ses grands maîtres. La vérification en a donc été faite de manière clandestine. Ceux qui ont affronté « MasterP »

suspectaient quelque chose, pas seulement parce qu’ils trouvaient surprenant qu’un joueur inconnu parvienne à les battre de but en blanc, mais aussi à cause de sa façon de jouer atypique, déjà remarquée lors du tournoi du mois de mars.

La manière de procéder de DeepMind n’a pas particulièrement choqué les milieux du jeu de go, ce qui vaut la peine d’être relevé. L’entreprise a assuré qu’elle s’en tenait à son engagement de faire s’affronter courant 2017 les meilleurs joueurs et la nouvelle version de son poulain numérique lors de tournois en bonne et due forme, lors de parties de durée normale. Ceci a apparemment suffi pour rassurer ceux-ci : les règles sont plus strictes pour de telles parties, ce qui peut pénaliser l’intelligence artificielle et assure en principe des résultats plus fiables. Ceci dit, personne ne s’attend vraiment à ce qu’AlphaGo perde la moindre partie lors d’un tel tournoi. On aurait pu s’attendre à ce que les professionnels reprochent à DeepMind de se comporter de manière sournoise, de ne pas être fair-play. Au-delà du jeu de go, n’est-il pas légitime pour tout un chacun de s’attendre à être informé que son interlocuteur ou son adversaire est une machine et se sert de ses capacités d’apprentissage sophistiquées pour parvenir à ses fins ?

En réalité, l’affaire a plutôt suscité des commentaires désabusés. « AlphaGo a complètement subverti le contrôle et le jugement de nous autres joueurs de Go », a ainsi écrit Gu Li, un grand maître battu par le programme, ajoutant : « Quant vous constatez que votre conscience, votre cognition et vos choix étaient jusqu’ici tous faux, allez-vous continuer suivant le même chemin erroné ou allez-vous vous renier vous-même ? » « Les humains ont évolué en matière de jeux pendant des millénaires – mais les ordinateurs nous disent maintenant que nous les humains avons tout faux. Je pense que personne ne connaît ne serait-ce que les fondamentaux du go », a pour sa part asséné Ke Jie. D’autres cherchaient à voir le bon côté des choses, s’enthousiasmant notamment à la perspective pour les joueurs d’apprendre de nouveaux aspects du jeu en étudiant la façon de jouer d’AlphaGo, ou encore à envisager les bénéfices pour d’autres domaines des progrès ainsi enregistrés par l’intelligence artificielle. Dans un entretien à l’agence de presse coréenne Yonhap, Lee Sedol a ainsi déclaré : « Il n’y a aucun autre jeu que Go qui ait un plus grand nombre possible de configurations. Nous avons vu l’intelligence artificielle avancée réussir des choses dans ce domaine qui je pense pourront être utiles dans d’autres. »

Jean Lasar
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