Maux dits d’Yvan

Quand l’erreur se fait faute

d'Lëtzebuerger Land vom 14.06.2024

Yvan qui abhorre les « imbéciles heureux qui sont nés quelque part » n’est pas peu fier, cependant, d’être un enfant d’Esch, capitale de cette terre de minette qui servait de laboratoire aux idées de gauche et qui constituait, bien avant le reste du pays, un véritable melting-pot de nationalités, voyant cohabiter en une saine émulation le Fola et la Jeunesse, les bourgeois et les prolétaires, les ouvriers et les notables.

Aujourd’hui, il aurait presqu’envie de renier cette ville dont le premier échevin n’est pas hanté par la honte. C’est donc votre serviteur qui a honte pour lui, qui a honte aussi pour Sehovic, le vert dont le parti est plus sévère avec les siens qu’avec les autres, qui a honte enfin pour le maire Weis qui blanchit son second et nous ramène à cette sombre période, qu’on croyait révolue, où Ady Jung payait 5 000 francs par mois à Josy Mischo, père de qui vous savez, pour qu’il renonce à son poste d’échevin. Combien faut-il payer à Knaff aujourd’hui pour qu’il fasse de même?

Toute cette triste histoire montre qu’au Parti démocratique, il vaut mieux être un vieil homme blanc qu’une jeune femme noire. Selon que vous êtes l’un ou l’autre, c’est « J’y suis, j’y reste » ou « Fuis, p’tite peste ! » L’une a encore du mal à connaître les codes quand l’autre les casse allègrement. Accessoirement, il casse aussi beaucoup de porcelaine. « Une erreur, Pim ? Non, une faute ! » aurait dû répondre le conseil échevinal à son collègue, car l’erreur dont se prévaut le condamné s’est très vite muée en faute. Il est vrai que la langue luxembourgeoise ne connaît que le seul mot de « Fehler » pour une action fautive, qu’elle relève d’une erreur (innocente ?) de comptabilité ou d’une intention malveillante fortement connotée du côté de la morale. Et l’absence de morale, c’est justement ce que de plus en plus de citoyens reprochent à la politique pour justifier leur vote en faveur des populistes d’extrême-droite.

Mais peut-être que le DP s’identifie-t-il par trop à Hamlet, le héros de Shakespeare, qui hésitait tant à venger son père. Le prince danois tardait en effet à éliminer l’assassin de son géniteur pour la simple raison que celui-ci ne faisait qu’accomplir le désir inconscient du fils. Freud a pris cet exemple pour illustrer le fameux complexe d’Œdipe. De la même manière, le DP hésiterait-il à se défaire du déshonorable échevin qui, en volant littéralement l’État, n’a fait que réaliser le désir pas si inconscient de son parti, celui d’œuvrer pour un État faible, un « schlanke Stat » ? Car priver l’État de ressources « pour dégraisser le mammouth », c’est le rêve de tout économiste libéral. N’empêche que l’erreur de Knaff, l’avocat, devenue faute de Pim, l’échevin, s’est muée en délit aggravé de Pierre-Marc, le citoyen. La justice a tranché et a fini par appeler un fraudeur un voleur. En ne le privant pas de ses droits civiques, elle fait du condamné un élu certes légal, mais sûrement pas légitime. Et c’est cette hypocrisie-là que l’électrice a sanctionné dimanche, en écoutant plus que de raison l’ADR Bernard Schmit, qui commentait ainsi la décision de la majorité de garder en son sein le malfaiteur : « An da wonneren se sech, wa mer ëmmer méi Stëmme kréien ». En gâtant aussi le CSV, parti et patrie de Léon Gloden et du law and order, l’électeur a prouvé par la même occasion qu’au Luxembourg, décidément, on n’aime ni les truands, ni les mendiants.

Yvan
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