Quelques mots échangés entre des personnages masculins suffisent à pénétrer brusquement dans l’environnement du Pornographe (1966), le long-métrage de Shôhei Imamura mis cette semaine à l’honneur à la Cinémathèque de Luxembourg. Extrait : « Lui, on l’a pris parce qu’il en a une grosse.. Et elle, c’est une pute qui bosse pour nous... ». Ainsi parle-t-on du couple d’acteurs tout juste recruté qui arrive sur le tournage sauvage d’un film porno. Cette réplique a le mérite de rappeler qu’au Japon, l’industrie du sexe est traditionnellement aux mains de la mafia.
Comme souvent chez le cinéaste nippon, une enquête documentaire est à l’origine de la fiction. Souhaitant percer les arcanes de cet opaque business du X, Imamura intègre anonymement l’une de ces productions clandestines. Ne parvenant pas à dissimuler son expertise professionnelle, il dispense ses conseils techniques auprès d’un réalisateur alors débutant. Et le résultat semble plutôt convaincant, puisque le film porno sur lequel il devait enquêter connaît un certain succès commercial à sa sortie. Si bien que lorsqu’ils découvrent l’identité d’Imamura, les yakuzas n’hésitent pas à se rendre à son hôtel pour le remercier de son aide...
Ce n’est pas un hasard si Imamura s’est fréquemment qualifié de cinéaste «vulgaire ». Cet adjectif, qui fut longtemps stigmatisant en raison de sa référence populaire, prend ici un sens positif. Et, bien sûr, provocateur. La plupart de ses œuvres mettent en lumière des anti-héros de l’histoire japonaise (généralement interprétés par des acteurs non-professionnels), tels que celles et ceux qu’il a connus dans le quartier de Shinjuku (Tokyo) au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Le cinéaste a voulu rompre également avec l’imagerie traditionnelle du Japon. Au lieu des femmes en kimonos qui pleurent, résignées, sur leur sort, le metteur en scène fait l’éloge des forces naturelles, primitives, à l’œuvre chez des femmes toujours battantes, comme l’héroïne de La Femme Insecte, et cela quel que soit le degré de moralité de ses activités interlopes. Les femmes, chez lui, ne s’apitoient pas sur les multiples affronts qu’elles subissent, et s’adonnent bien volontiers aux plaisirs charnels. Contre le culte de la composition équilibrée, il élabore des images qui semblent hasardeuses, voire bâclées. Et s’attaque, avec Le Pornographe, au tabou du désir et des besoins sexuels au sein d’une société frustrée et pudibonde. En cela, la pornographie amateure, telle qu’elle est pratiquée par Monsieur Ogata parallèlement à son activité de coiffeur, constitue un service public. D’où le sous-titre, plus sérieux, qu’il accole au titre principal : Le Pornographe : introduction à l’anthropologie.
Explosion de la cellule familiale, impétueux désir d’Ogata pour sa belle-fille adolescente, orgie et persistance dangereuse du thème incestueux (déjà abordé dans La Femme Insecte), obsessionnelle confection d’une Love Doll, Le Pornographe traite aussi, en filigrane, de la difficile cohabitation entre tradition (symbolisée avec humour par une carpe censée être la réincarnation du défunt mari d’Haru, la compagne d’Ogata) et modernité. Un Japon schizophrénique, tel qu’il se présente à nous aujourd’hui encore.