Modération salariale

Compétitivité par cellules grises

d'Lëtzebuerger Land vom 22.08.2002

Printemps après printemps, Lausanne devient depuis 1989, grâce à l'école de commerce IMD, le centre mondial de la compétitivité. Cette année, le Luxembourg s'en sort plutôt bien dans le World Competitiveness Yearkbook. Après s'être vu recalé à la sixième place il y a deux ans, le Grand-Duché a retrouvé en 2002 la troisième position qu'il occupait déjà à la fin des années 90. Devant le Luxembourg, on ne trouve plus que la Finlande et les inévitables États-Unis, selon l'IMD la définition même de la compétitivité.

« Cela nous fait une belle jambe », en concluent sans doute d'aucuns. S'il y a probablement de pires publicités pour un pays, il est vrai que ce n'est pas la publication d'une école privée suisse qui changera fondamentalement la donne macro-économique au Grand-Duché. La notion de compétitivité n'est pas pour autant un pur tigre de papier.

Au Luxembourg, la source officielle en la matière est le Statec, l'office statistique du ministère de l'Économie. Depuis plusieurs années maintenant, ses économistes et mathématiciens s'efforcent d'analyser d'un point de vue théorique les performances économiques du Grand-Duché. Des travaux collectifs réalisés avec le Centre universitaire (Cunlux) ainsi que la Cellule de recherche en économie appliquée (CREA) du CRP Gabriel Lippmann. 

À travers leurs travaux, Patrice Pieretti, Guy Schuller, Carine Krecké ou encore Arnaud Bourgain adaptent des instruments utilisés traditionnellement pour évaluer une économie nationale à la situation spécifique du Luxembourg, c'est-à-dire une petite économie très ouverte. Ils ont ainsi développé des indicateurs synthétiques de la compétitivité du Luxembourg par rapport aux autres économies avec lesquelles le pays est en concurrence.

L'évolution de la compétitivité luxembourgeoise ne donne cependant pas lieu à grande euphorie depuis quelques années. Prenant « 1 » comme base en 1990, l'indicateur était presque monté de dix pour cent jusqu'en 1997. Retombé à 1,05, il ne montre depuis trois ans plus de grandes ambitions à repartir à la hausse. Les derniers chiffres disponibles sont ceux de 2000. Ce ne sont d'ailleurs pas les services financiers qui constituent la locomotive de la compétitivité luxembourgeoise, au contraire. Alors que l'industrie affiche de belles progressions depuis 1995 (à l'exception de 1998), les services marchands sont entre-temps même retombés en dessous du niveau de 1990. Il est vrai que ces chiffres datent d'avant les mesures de « contrôle des coûts » que subissent les banques de la place depuis plus d'un an et que « compétitivité » n'est pas nécessairement à identifier avec « rentabilité ».

L'évolution réelle de l'économie ne donnait en tous les cas pas lieu à inquiétude fin des années 90. La compétitivité, telle que définie par le Statec, ne serait-elle dès lors qu'une notion théorique sans implications réelles ? « Non », répondaient les concernés déjà en 2000 et ils l'ont répété dans la dernière livrée du rapport annuel sur la compétitivité de l'économie luxembourgeoise.1 

Une amélioration de la compétitivité a ainsi des retombées concrètes aussi bien en termes d'activité économique que d'emploi. Dans la définition du Statec, la compétitivité est le résultat d'une comparaison des coûts des facteurs de production (capital et travail) au Luxembourg avec les prix pratiqués à l'étranger le tout en prenant en compte le taux de change. Pour chaque point que la compétitivité gagne, les exportations grimpent ainsi de 0,52 pour cent alors que l'emploi progresse de 0,32 pour cent. C'est loin d'être négligeable, note le Statec. Sur les 30 615 emplois créés au Luxembourg entre 1990 et 1998, « près d'un sur quatre » serait ainsi dû à l'amélioration de la compétitivité. Ceci serait surtout vrai pour les sociétés qui grâce aux spécificités de leurs produits peuvent imposer leurs prix. L'emploi chez un price-taker comme la sidérurgie est par contre moins influencé. Ici, c'est la marge bénéficiaire qui bénéficie... et souffre des aléas conjoncturels. 

Qui dit que la compétitivité influence l'emploi, confirme en même temps que la « modération salariale » donne les effets escomptés. À l'intérieur d'une économie on peut en effet influencer le coût du facteur travail, alors que ce n'est guère possible pour le capital. « Pour une période récente, note le Statec, la croissance de l'emploi apparaît parallèle à une certaine 'modération salariale'. » Au delà des salaires bruts il faut y inclure les charges sociales, un domaine dans lequel le Grand-Duché offre de sérieux avantages. Sur les 25 dernières années, le constat du Statec ne se vérifie cependant pas à tout moment. Certaines conditions doivent donc être remplies pour que la « modération salariale » puisse avoir un effet positif sur l'emploi.

Comme pour tous les pays fortement exportateurs, le bonheur économique du Luxembourg dépend bien sûr avant tout de la conjoncture internationale. Mais il y a aussi d'autres éléments qui influent sur la création d'emplois et sur lesquels la politique salariale n'a guère de prise. Il s'agit notamment du coût du capital, en concurrence avec le travail comme facteur de production. 

Dans leur rapport 2001, Statec, CREA et Cunlux se sont penchés sur les autres critères possibles dans l'augmentation de la compétitivité, en particulier en ce qui concerne les exportations. Ils ont notamment le rôle du progrès technique dans la « productivité globale des facteurs » (PGF) en ligne de mire. La PGF peut être influencée, par exemple, à travers l'organisation du travail, la qualité des facteurs de productions, le savoir-faire lié au processus de production ou encore l'efficacité de l'allocation des ressources. Liée ainsi à des éléments comme le niveau de formation des salariés ou encore la recherche-développement (R[&]D), l'examen de la PGF permet aussi d'évaluer les politiques structurelles menées par un pays dans ces domaines. 

Parmi les éléments favorables à une amélioration de la PGF, et donc la compétitivité, on trouve sans surprise le capital humain et la R[&]D domestique. Mais le Statec identifie aussi des critères plus surprenants, au moins pour ceux qui regardent les théories économiques libérales d'un œil sceptique. 

Le degré d'ouverture internationale d'un pays, c'est-à-dire le rapport entre exportations et PIB (produit intérieur brut) renforce ainsi la compétitivité. Elle permet une spécialisation accrue du pays et une allocation des ressources plus efficace. La diffusion et l'adoption rapide de nouvelles technologies est de même favorisée. 

L'attrait d'investissements directs étrangers (IDE), un domaine dans lequel le Luxembourg compte parmi les champions du monde, permet des résultats similaires. Certaines conditions préalables existent toutefois : les IDE ne doivent pas évincer les investissements domestiques et le pays hôte doit disposer d'un stock de capital humain suffisant pour les faire fructifier. Dans l'idéal, les IDE peuvent ainsi provoquer un multiple de leur montant en  investissements domestiques.

L'élément le plus étonnant par ses effets positifs sur la compétitivité nationale est sans doute la R[&]D étrangère. En effet, grâce à l'ouverture de l'économie, menant à l'adoption de nouveaux processus de production ou l'importation de biens intermédiaires incorporant une technologie avancée, la R[&]D des principaux partenaires commerciaux a aussi un impact positif dans des pays tiers. Un nouveaux procédé développé par DuPont à Wilmington ou Siemens en Allemagne profite aussi à DuPont ou aux P[&]T à Luxembourg. Des études ont ainsi montré qu'une augmentation d'un pour cent du stock de R[&]D des États-Unis élève la PGF de leurs partenaires commerciaux de quatre pour mille. Ce qui explique certains aspects du développement économique au Luxembourg, alors que le pays ne faisait encore guère d'efforts en matière de recherche.

Les différents résultats des derniers travaux du Statec indiquent que le concept de « modération salariale » peut avoir les effets escomptés sur l'emploi. Or, parmi les conditions préalables ont retrouve toujours et encore le capital humain. Pour faire avancer l'économie nationale et le niveau de vie des Luxembourgeois, l'investissement dans les hommes et femmes par la formation initiale et continue semble donc peser au moins autant que les salaires.

 

Jean-Lou Siweck
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