CULTURE ET ÉCO-RESPONSABILITÉ (5)

Le tournant vert de la Cité musicale-Metz

d'Lëtzebuerger Land du 11.08.2023

Rencontre à l’Arsenal, l’un des quatre équipements que comprend la Cité musicale-Metz (avec la BAM, les Trinitaires et l’Orchestre national de Metz), avec Florence Alibert, la directrice générale de l’établissement pour comprendre, côté français, où l’on en est avec l’écologie dans le secteur culturel.

Recrutée en 2017, la jeune femme vient tout juste de rentrer d’une tournée en Turquie avec l’Orchestre national de Metz afin de recueillir des dons pour la population victime du séisme. Elle a pris l’avion, tout comme les autres musiciens qu’elle accompagnait pour ce projet caritatif. Avec les membres de l’orchestre, elle s’est également rendue l’année dernière en Corée du Sud pour y faire entendre le répertoire de Hector Berlioz et de Camille Saint-Saëns sous la baguette de son directeur musical David Reiland. Deux destinations lointaines qui ne permettaient pas de prendre le bus, moyen de transport habituellement privilégié pour les déplacements de l’orchestre aux niveaux régional et transfrontalier, voire au-delà. Parfaitement consciente des enjeux climatiques, Florence Alibert se dit volontiers favorable à une « évolution des pratiques ». Même parmi les musiciens, confie-t-elle, on s’interroge sur la pertinence de certains trajets au long cours. Mais il ne suffit pas de le décréter pour acter d’un réel changement de paradigme. La directrice générale de la Cité musicale-Metz doit faire face à une « injonction contradictoire », entre la mission de rayonnement international qui incombe à cet orchestre et d’autre part l’implication collective que requiert la transition écologique.

Florence Alibert se définit comme une pragmatique. Elle distingue d’abord la mission principale de l’établissement – la production et la diffusion de spectacles – de ce qui relève de l’engagement sociétal : « Il y a aujourd’hui un consensus dans le secteur culturel sur le fait qu’on est face à une situation d’urgence indéniable et que l’on doit intégrer l’écologie dans la façon dont on met en œuvre nos projets artistiques. On a une responsabilité, comme n’importe quel autre secteur économique ». Depuis trois ans, un groupe de travail dédié au développement durable a été mis en place. Il réunit neuf salariés issus des principaux services (administratif, technique, artistique). Une initiative qui a permis de faire des propositions, d’identifier des ambassadeurs au sein de l’équipe, moteurs envers les autres salariés pour faire en sorte que chacun s’approprie cette phase de transition. Un poste à mi-temps de chargé de mission en développement durable a été créé, puis intégré à la direction technique pour coordonner les actions. Ainsi, une importante subvention de la région Grand Est va permettre de compléter le parc en ampoules LED. L’écologie s’est également imposée dans le cahier des charges des prestataires de la Cité musicale-Metz : « Dans toutes les décisions que l’on prend au quotidien, on essaie de faire en sorte que le développement durable devienne un critère au même titre que la qualité d’une prestation ou que le critère financier. Ce qui peut nous conduire parfois à prendre un prestataire un peu plus cher, parce que celui-ci a une meilleure note sur cet aspect », admet Florence Alibert. C’est le cas dans le choix de recourir à un imprimeur proposant du papier recyclé ou d’opter, depuis 2020, pour de l’énergie verte concernant le fournisseur d’électricité. De même pour le prestataire de nettoyage, qui a dû intégrer le tri sélectif et la réduction des produits plastiques, ainsi que pour le prestataire chargé des transports auquel a été demandé de faire des propositions pour réduire l’empreinte carbone des déplacements de l’orchestre.

Un paradoxe persiste au sein de l’institution messine, qui peut être vu comme le reflet d’un temps aujourd’hui révolu : les soirs de concert le parking de l’Arsenal n’est facturé qu’un euro… Une disposition contre-productive à laquelle Florence Alibert préfèrerait le modèle initié de Nantes ; la gratuité des transports publics pour les spectateurs. Elle en a fait la demande au Conseil général, ajoutant le besoin de plus d’espaces pour les vélos et plus de bornes de recharge électriques. En attendant que les choses évoluent côté public, il est possible d’agir durablement et efficacement en interne. L’année 2023-24 sera donc dédiée à la sensibilisation des cadres, assure la directrice. Elle a suivi avec son directeur technique une formation pour engager cette transition avec méthode. Elle espère ainsi pouvoir « lever les freins et les préjugés qui subsistent en interne, au sujet de la nourriture végane par exemple ». Elle souhaiterait généraliser cette alimentation pour l’équipe et pour les artistes accueillis par la Cité musicale-Metz.

La transition écologique va de pair avec un incontournable travail en réseau, au côté de l’association Grabuge qui dispense des formations pour les professionnels de la culture ou d’Arviva (Arts vivants, arts durables), autre émulateur de bonnes pratiques. L’AFO (association française des orchestres), de Reditec (pour les directeurs techniques) et d’autres structures de la région telles que l’Opéra-théâtre de Metz, le Théâtre national de Strasbourg ou la Filature de Mulhouse sont mobilisés pour mettre en place un inventaire des équipements et concevoir des stratégies de programmation collective. À ce propos, la directrice regrette les clauses d’exclusivité territoriale imposées par certains organisateurs. N’oublions pas enfin le pouvoir de transformation que possède le sensible ; une programmation plus orientée vers le vivant contribue à déplacer les représentations. Il en va du cycle « Bestiaire musical » prévu en janvier 2024 et centré sur les liens avec la nature. « On peut, en tant que structure culturelle, rendre plus désirable un avenir plus sobre. En laissant notamment davantage de place à des propositions artistiques qui sensibilisent le public et en construisant des actions d’éducation artistique qui font lien entre le travail de l’artiste et le vivant. C’est ainsi que nous pourrons produire de nouveaux imaginaires, l’une des grandes forces du travail artistique. », rappelle la Florence Alibert.

Loïc Millot
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