Culture et éco-responsabilité (1)

Tentatives et paradoxes

d'Lëtzebuerger Land du 14.07.2023

Chaque été, juste avant que tout le monde file en vacances, on observe le même phénomène : une accumulation et concentration d’événements culturels et sportifs sur un très court laps de temps. Ces manifestations participent à la vitalité et à la convivialité du pays, mais elles s’avèrent particulièrement énergivores et peu regardantes sur la production de leurs déchets. La directive européenne de 2019 relative aux produits plastiques à usage unique a depuis changé la donne, obligeant le secteur associatif et culturel, comme d’autres, à rectifier certaines pratiques pour réduire au mieux son empreinte carbone. Pour favoriser cette mise en conformité, et répondre aux besoins croissants des organisateurs privés et publics, le ministère de l’Environnement, du Climat et du Développement durable a mis en place une plateforme de conseil et d’accompagnement. Sa réalisation a été confiée à l’asbl Oekozenter Pafendall conjointement à SuperDrecksKëscht (SDK), une coordination mixte assurée par l’association liée au Mouvement écologique et l’entreprise chargée de la gestion nationale des déchets toxiques.

Initié fin 2019 juste avant la pandémie, ce projet n’est pleinement actif que depuis 2022. Il donne à des événements luxembourgeois le label « Green Events », un standard éco-responsable au cahier des charges exigeant inspiré de modèles européens, depuis la norme ISO 20121 propre à l’événementiel en passant par Green Key ou un éco-label indépendant autrichien (Österreichisches Umweltzeichen). « L’octroi du label ne repose pas seulement sur la volonté de l’organisateur, car il nécessite des moyens humains, logistiques et matériels importants que beaucoup d’associations ne peuvent se permettre », prévient Isabelle Schummers, conseillère en environnement à Oekozenter Pafendall. Parmi les projets estampillés Green Events, les Francofolies d’Esch-sur-Alzette représentent une exception au sein du paysage culturel luxembourgeois, tant par leur envergure que par le fait d’avoir fourni durant toutes les festivités une vaisselle réutilisable : « Du jamais vu » s’enthousiasme, la jeune femme chargée également de la communication de Green Events. La démarche paraît pourtant simple et transparente sur le papier : les critères à satisfaire sont présentés sur le site internet en diverses rubriques, des supports de communication à la mobilité, du matériel de décoration à la gestion de l’eau et des déchets, en passant par la restauration et le recours à de la vaisselle réutilisable. Ce sont tous les aspects d’une manifestation qui sont considérés. Un entretien est organisé avec un conseiller de Oekozenter ou de SDK pour préciser les critères et procéder à leur vérification. Ces critères sont ensuite validés lorsque le porteur de projet fournit les pièces justificatives (factures, devis) qui leur correspondent. Après signature de la « charte d’octroi », l’organisateur reçoit en amont de l’événement le logo. Et peut prétendre, à ce titre, à une subvention (de 1 500 euros) du ministère de l’Environnement. Une soixantaine de projets ont été suivis en 2022, tandis que cette année 2023 la demande s’est fortement accrue : 110 projets ont fait l’objet d’un accompagnement individuel, dont 75 ont reçu le précieux logo « Green Events ». Parallèlement, un second logo, aux conditions moins élevées, a vu le jour afin d’encourager cette phase de transition : « Mir engagéieren eis ». Quatre associations l’ont obtenu depuis le début de l’année.

Cette façon de promouvoir l’éco-responsabilté peut sembler bien procédurière ou bureaucratique au royaume des festivités. On peut en tout cas douter qu’elle fasse rêver ou qu’elle suscite des vocations sous cette forme, tant la question de l’écologie y est désincarnée, réduite à la seule validation de critères, oubliant les valeurs et la façon de les mettre en œuvre à travers un engagement (un engagement qui plus est bénévole, et en pleine érosion générationnelle). Ces aspects pourraient être précisés et clarifiés par la rédaction d’une véritable charte par exemple (la malnommée « charte d’octroi » du logo Green Events n’est rien d’autre qu’un formulaire à parapher par l’organisateur). Le changement des matériaux doit s’accompagner d’un changement de notre façon de penser et d’habiter le monde. Quitte à revoir de fond en comble le secteur même de l’événementiel, jusqu’au choix même de la saison : l’été doit-il rester le temps des festivités, au détriment du reste de l’année ? Car avec la hausse des températures, les accidents risquent de se multiplier, les bénévoles risquent de plus en plus de ressembler à des merguez sur le grill… Avec le réchauffement climatique se pose la nécessité de conserver autant de manifestations si rapprochées entre elles, au lieu de les fédérer, ou en organiser moins et d’une façon plus sobre. Une fois de plus, nous voilà mis soudainement face aux contradictions propres à notre mode de vie.

Certains critères posent aussi question du peu de moyens alloués à la vérification in situ, le jour où se tient l’événement, afin de s’assurer que les recommandations soient réellement appliquées. Certains critères obligatoires se montrent en effet invérifiables si l’on ne prend pas la peine de se rendre sur les lieux. Il en va ainsi de la façon dont les équipes promeuvent en interne et en externe les actions éco-responsables durant la manifestation. D’autres critères échappent à une écriture comptable et ne peuvent donc être prouvés autrement que par des actes, comme le fait de ne pas utiliser de sachets de sucre et de sauces individuels, de dosettes de lait ou des bouteilles à usage unique sur les points de restauration (points 33, 34, 35 et 36 de la checklist Green Events). De même, comment s’assurer que le tri des déchets soit bien effectué (point 40) s’il n’y a aucune supervision sur le terrain ? Tout ce qui relève du geste, de la manière de faire, risque d’échapper au contrôle. Le label pourrait alors perdre de sa substance pour n’être qu’un outils de greenwashing… Autre fait surprenant, et non des moindres : aucun critère obligatoire ne concerne la gestion de l’eau et des sanitaires. Quand on sait qu’il s’agit de l’un des points faibles du Luxembourg, dont les nappes phréatiques sont quasiment vides, on se dit que les critères prennent insuffisamment en compte l’état actuel des ressources naturelles locales. Rien de contraignant, ni d’obligatoire, ne concerne non plus la partie relative à l’engagement environnemental où il est pourtant question de mettre en réseau les producteurs locaux et les consommateurs…

Le milieu culturel n’est sans doute pas le secteur le plus énergivore du Luxembourg, mais il doit lui aussi contribuer à l’effort collectif qui est exigé au regard de l’urgence climatique. Il peut cependant sembler contradictoire de s’attaquer à l’événementiel face à un problème qui est principalement structurel et systémique. « Accompagner cette vie associative très riche vers la durabilité », comme le souhaite Isabelle Schummers, peut sembler paradoxal voire contre-productif. Plutôt que de changer en profondeur nos habitudes, on préfère en modifier les ustensiles seulement. Les limites du recyclage comme solution miracle sont d’ailleurs trop peu pointées. On oublie que seule la fin de la production de nouveaux déchets plastiques, nous permettra de sortir des logiques court-termistes en matière d’écologie. Conscient de ces lacunes, un autre label vient tout juste de voir le jour afin d’élargir le spectre des activités éco-responsables au secteur commercial, le Green Business Events qui vise les événements des grandes entreprises, tels que les foires, conférences, salons, congrès, etc. Une clause relative à l’inclusion – accessibilité aux personnes porteuses de handicap, équité de genres...– a été notamment ajoutée.

Tout au long de l’été, à travers une série d’articles, nous verrons ce que les structures culturelles ont mis en place pour aborder l’écoresponsabilité et quelles sont les limites et les espoirs de leurs actions.

Loïc Millot
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