Alors que la campagne électorale bat son plein, visite d’une réunion électorale choisie au hasard : avec le CSV à Mersch

L’anti-Facebook

d'Lëtzebuerger Land vom 04.10.2013

Avec une poignée de main ferme et résolue, Nico Pundel salue les arrivants dans la salle. L’ingénieur au service des eaux de la capitale et échevin de la commune de Strassen veut offrir un accueil chaleureux à tous ceux qui sont venus lundi soir à la salle des fêtes de l’école Nic Welter de Mersch pour la réunion électorale du CSV Centre. La plupart des gens sont venus en voiture, qu’ils ont garée place de l’église, en contrebas du château avoisinant le complexe scolaire, puis sont montés à pied, souvent tant bien que mal, sur le petit chemin pavé interdit à la circulation.

Soudain, le chauffeur d’une mini interpelle une passante : « Je peux me garer où, là ? » À 31 ans, Serge Wilmes, historien et député depuis octobre 2011, président des jeunes du CSV, le CSJ, est un homme stressé, car c’est aussi son avenir professionnel qui se joue le 20 octobre. Pour être un peu plus visible, il vient de présenter son livre C wéi Crémant. D’Chamber vun A bis Z. En 2009, il avait fortement contribué à la campagne en tant que président du CSJ et n’a jamais caché ses ambitions de carrière. Il trouve finalement à se garer.

Dans le préau de l’école, devant un grand mosaïque à l’esthétique vaguement champêtre, des verres à crémant et des verres à eau méticuleusement alignés en deux rangées attendent le vin d’honneur de la fin, régalé après la réunion par la section locale. De jeunes militants et employés du parti facilement reconnaissables à leurs polos oranges flanqués du logo rajeuni du CSV surveillent d’un œil de lynx le déroulement de l’entrée des artistes – et du public. Sur le parquet qui a vécu, entre les murs en briques de verre d’un côté et ceux sur lesquels sont fixés des espaliers de l’autre, les chaises empilables multifonctionnelles ont été soigneusement disposées en demi-rangées, avec un couloir central. À gauche, derrière une table avec un ordinateur portable – recouvert d’orange – un collaborateur prépare la présentation power-point et les vidéos de l’introduction. Une vingtaine de chaises en demi-cercle sous l’écran laisse présager la présence massive des candidats de la circonscription. Les deux blocs se remplissent assez rapidement, les candidats arrivent à l’heure, se saluent brièvement, alors que dans la salle, le public cherche sa place.

Ils seront une bonne centaine vers 20 heures. Ils auront tous enlevé de leur chaise l’invitation polycopiée au OldieParty du LCGB, le 5 octobre à Beringen – « Entrée fräi ! – Danzen wei fréier ! – Mam DJ ROM ass Stëmmung garantéiert ! » – certains l’ont pliée en quatre, d’autres l’ont mise sur une autre chaise, mais personne ne l’a jetée par terre. La moyenne d’âge est élevée, les gens sont venus en couple souvent, parfois avec un copain, ce sont avant tout des militants. Ils viennent des champs ou d’un bureau, sont étudiants, éducateurs ou fonctionnaires à la retraite, mais ils ont en commun de préférer le contact humain aux réseaux sociaux dématérialisés. Une réunion électorale de la vieille école en somme, c’est l’anti-Facebook. Ici, aucun communicant ne peut conseiller aux candidats quoi répondre, la confrontation est directe (bien que bienveillante). Chaque question demande une réponse et le temps de parole est libre, contrairement aux rondes des « éléphants » François Bausch (Déi Gréng), Xavier Bettel (DP), Jean-Claude Juncker (CSV) et Étienne Schneider (LSAP) qui s’enchaînent à un rythme quasi quotidien en parallèle à ces réunions locales où les candidats vont au charbon.

La présentation est rôdée. Film promotionnel du CSV et de son slogan, quelques brefs clips de talking heads connus – Françoise Hetto, Marco Schank, Luc Frieden. L’intéressé, tête de liste dans la circonscription Centre, vient d’arriver « avec trois minutes de retard, parce que j’étais encore à l’inauguration des nouveaux bureaux de Paypal, qui embauchent dix personnes supplémentaires au Luxembourg ».

Ça commence. Honneur aux dames : Diane Adehm, présidente du CSV Centre, prend le micro, perchée sur des talons de douze qui la font marcher très prudemment. Munie d’une télécommande, elle présente les 21 candidats, au grand complet, bien sagement assis dans leur demi-cercle. Elle énonce l’âge, la profession, les mandats et / ou fonctions de chacun – sept femmes et quatorze hommes – en les tutoyant. Le concerné se lève, fait un pas (ou non), un petit geste de la main, un sourire. Quand Claude Wiseler, dernier de la liste par ordre alphabétique, se lève, son voisin Luc Frieden lui fait une tape amicale dans le dos – tout un symbole alors que même la presse internationale spécule désormais que Claude Wiseler aurait volé le rôle de dauphin à Luc Frieden.

Nonobstant ces spéculations de coulisses, c’est à Luc Frieden que revient le rôle d’orateur principal de la soirée : il est la tête de liste du Centre. Selon le dernier Politmonitor TNS-Ilres–RTL–Luxemburger Wort de septembre, les gens le trouvent largement plus compétent (67 pour cent) que sympathique (45 pour cent) – et pourtant, il se donne tout le mal du monde pour concilier les deux, prendre une dégaine décontractée en parlant avec une main dans la poche et en tentant l’une ou l’autre blague évasive. « Mais combien d’entre vous ont de la corne aux mains par la travail ? Comment voulez-vous comprendre nos soucis ? » l’interpellera un agriculteur plus tard. Perplexité dans le regard des candidats.

Le discours de Luc Frieden est un aperçu rapide du programme du CSV. Le ministre des Finances s’attachera avant tout aux finances publiques, aux réponses possibles au déficit accumulé et aux pistes de son parti pour combler le manque à gagner qu’occasionnera la perte des recettes du commerce électronique en 2015 – « qui avoisinent plutôt les 700 millions d’euros annuels que les 500 millions qu’on cite toujours » : garder un contexte fiscal compétitif pour pouvoir augmenter les recettes en attirant de nouvelles entreprises, opter pour une légère hausse de la TVA (« qui restera néanmoins la plus basse d’Europe ») plutôt que pour une augmentation des impôts. Les autres grands défis d’avenir – logement, mobilité, système social plus sélectif – ne seront qu’abordées au grand galop. Avant de conclure : « Les derniers mois n’ont pas été de bons mois pour notre pays. Nous nous sommes beaucoup querellés sur des sujets somme toute mineurs, qui concernent tous de vieilles affaires. C’est pourquoi nous sommes persuadés que ces élections anticipées étaient une bonne chose et tout à fait nécessaires. Le Luxembourg a besoin de gens compétents qui ont de l’expérience. Notre pays est membre de nombreuses organisations internationales, c’est là que joue la musique. Le 20 octobre, il s’agira aussi de décider qui y représentera le mieux nos intérêts. Nous avons beaucoup de gens de grand talent et avec des compétences très diversifiées sur notre liste [deux ministres, un président du Parlement et huit députés, ndlr.]. Nous n’avons pas toutes les réponses, mais nous en avons beaucoup. Nous comptons sur vous. » Quinze minutes chrono en main, applaudissements polis.

Durant tout ce temps, les candidats restent stoïques, sages, comme en mode économie d’énergie. L’une ou l’autre a du mal à lutter contre le sommeil dans une salle dans laquelle l’oxygène devient de plus en plus rare, mais tous semblent avoir été briefés qu’il était interdit de consulter son téléphone portable, d’envoyer des SMS ou d’actualiser son profil Facebook durant la réunion. Si on veut être proche du peuple, il faut rester à l’écoute, disponible à cent pour cent.

L’heure est aux questions, Claude Wiseler reprend le micro et demande au public d’intervenir. Loin de l’attention médiatique pour la star nationale du parti et sans le grand cirque politique des congrès nationaux, ici, dans l’intimité d’une réunion de parti, ils le font assez facilement, osent se lancer. Au niveau local, la démocratie est directe et les soucis quotidiens. Les militants CSV essaient aussi de scruter les candidats et leurs engagements respectifs avant d’en faire des mandataires. Le plus flagrant est que les deux groupes qui se rencontrent en face-à-face – les candidats et les électeurs – ne parlent pas la même langue, ont du mal à communiquer. « Quelles garanties nous donnez-vous que les intérêts de notre canton de Mersch seront bien défendus ? » s’enquerra d’ailleurs un membre du public. La liste du CSV Centre comporte deux élus communaux de Mersch, mais qui prétend qu’un élu de Steinsel, de Niederanven, voire de Belair ne pourrait pas être sensible aux mêmes thématiques ?

Pour les électeurs réunis à Mersch lundi, le CSV est trop progressiste, s’éloigne trop de sa base : « Que pensez-vous du droit de vote pour les étrangers aux législatives ? » Laurent Mosar, le président du Parlement, se veut rassurant : « Nous sommes quasiment le seul parti à être contre ! » Une autre question, d’un édile communal : « Est-ce que je prévois encore des salles pour les cours de religion dans l’école que nous envisageons de construire » (rires dans la salle). C’est au tour de Claude Wiseler de répondre : au fondamental, rien ne changera, dans l’enseignement secondaire, les enseignants de religion et de morale laïque verront ensemble s’ils ne peuvent pas développer un programme commun.

Comment comptez-vous rétablir l’équilibre budgétaire et garantir des finances saines ? Pourquoi dépensez-vous autant en frais d’études, est-ce qu’on ne pourrait pas faire des économies sur ce poste-là ? Quand est-ce que vous allez enfin construire ce nouveau bâtiment pour le Lycée agricole qui est si urgent ? Quid de la simplification administrative ? Comment défendrez-vous les intérêts du monde agricole alors qu’un seul de vos candidats s’y connaît un tant soit peu, en agriculture [c’est Raymond Weydert, ingénieur agricole de formation et député-maire de Niederanven, ndlr.] ? Que faites-vous pour abolir les inégalités salariales entre hommes et femmes ? Ne faudrait-il pas davantage soutenir les familles dont un des parents choisit de rester à la maison pour élever les enfants ? Que ferez-vous de l’index ? Ou comment comptez-vous réagir à la pénurie de logements abordables ?

Les questions furent nombreuses, les réponses parfois compétentes et parfois plus évasives ou laborieuses. Onze des 21 candidats se seront exprimés et promirent de rester un peu pour boire une coupe de crémant et manger des bretzels salés servis dans leur emballage en plastique. Le nom de Jean-Claude Juncker n’est pas tombé une seule fois. Vers 21h30, les électeurs redescendaient à pied le petit chemin pavé. Tant bien que mal.

josée hansen
© 2024 d’Lëtzebuerger Land