C’est l’un des cas les plus emblématiques de la gestion chaotique de la crise du coronavirus par le pouvoir en France, de la confusion et des divisions en cours au sommet de l’État. Pourtant il n’en manque pas, avec en premier lieu les pénuries de tests et de masques qui ont empêché de suffisamment protéger les Français, ou encore les récents revirements sur l’usine de Plaintel, en Bretagne, qui produisait des masques pour l’État avant sa fermeture fin 2018 par le groupe américain Honeywell1.
Mais la question de la réouverture des établissements scolaires, osons et assumons le jeu de mot, est en passe de devenir un cas d’école des cafouillages du macronisme : alors qu’elle est prévue à partir du 11 mai, deux tiers des parents du pays la désapprouvent, par crainte pour leurs enfants, pour eux-mêmes et de contribuer à relancer ainsi l’épidémie.
Lors de son troisième discours télévisé solennel depuis le début de la crise, le 13 avril, à nouveau sans contradicteur alors que les principaux dirigeants européens tiennent eux des visio-conférences de presse, le président de la République annonce cette date du 11 mai à la surprise générale des commentateurs, de la communauté enseignante et même de son gouvernement. Il évoque certes une réouverture « progressive », pour aider les élèves « perdus de vue » pendant le confinement, mais aussitôt un doute s’installe. Emmanuel Macron n’a-t-il pas cédé aux intérêts économiques : renvoyer les enfants à l’école, pour que les parents n’aient plus à les garder à la maison et puissent reprendre le travail ?
Une semaine plus tard, le ministre Jean-Michel Blanquer esquisse des modalités de retour par niveaux passablement compliquées, en insistant sur un maximum de quinze élèves par classe sans toujours dire comment cela serait possible : les « grandes sections » de maternelle, les CP et CM2 le 11 mai, les 6e et 3e des collèges le 18 mai, puis l’ensemble des classes à compter du 25 mai. De quoi alimenter la critique selon laquelle il s’agit plus de redémarrer l’économie que de contenir les inégalités scolaires. D’autant plus que la question du baccalauréat avait déjà été tranchée : depuis début avril, lycéens et parents savent que le diplôme 2020 sera attribué en contrôle continu, une première en deux siècles.
Les divisions au sein du pouvoir sont alors tangibles. Le ministre de l’Éducation nationale aurait rendu publiques de simples pistes de travail, le Premier ministre Édouard Philippe est pris de court… Son directeur de cabinet inflige une soufflante paraît-il mémorable à celui du ministre, et deux jours plus tard l’Élysée annonce dans un simple communiqué que la rentrée se fera sur la base du « volontariat ». Un comble dans le pays des lois historiques de Jules Ferry instaurant « l’école gratuite, laïque et obligatoire » (1881-1882), des mots passés dans le langage commun.
Dans un contexte où certains membres du gouvernement pourraient avoir à répondre en justice à l’avenir de leur gestion de la crise, une des principales raisons de ces désaccords exacerbés est dévoilée peu après : le Conseil scientifique, dont les avis guident depuis des semaines les décisions du pouvoir, prônait en fait une rentrée en septembre.
Après de délicates tractations, son avis est rendu public samedi soir, le 25 avril, opportunément accompagné d’un second avis dans lequel il entérine la « décision politique » du 11 mai tout en dressant une liste de précautions à prendre : port du masque obligatoire dans les collèges et lycées (mais « impossible » en maternelle), suggestion aux parents de prendre la température de leur enfant avant de l’envoyer en cours, ou encore repas dans les classes, pour éviter que les élèves ne se croisent à la cantine…
Le même week-end, le chef du gouvernement italien Giuseppe Conte annonce que les écoles de son pays ne rouvriront qu’en septembre. En Norvège, les écoliers font eux leur retour en classes lundi 27 avril, mais dans un pays qui connaît 193 décès, alors que la France se rapproche comme l’Italie des 25 000 morts.
« Rentrée impossible ?» se demande donc en une Le Parisien, en évoquant « le gros doute » des familles, « Périlleuse rentrée » titre pour sa part La Croix… Deux quotidiens qui ne sont pas parmi les plus critiques envers le pouvoir. Il faut dire que 67 pour cent des parents interrogés désapprouvent la réouverture des écoles à partir du 11 mai, selon un sondage Odoxa pour Franceinfo et Le Figaro. Et ils sont aussi 55 pour cent à douter de la possibilité de faire appliquer les gestes barrières à l’école, 81 pour cent des parents approuvant le fait de ne pas être obligés de renvoyer leurs enfants en classe.
Mardi 28 avril devant l’Assemblée, le Premier ministre Édouard Philippe finit par détailler sa stratégie globale de déconfinement, dont un retour très progressif en classe « sur la base du volontariat ». Les plus petits seront les premiers, tandis que la décision concernant les lycéens, qui eux peuvent rester seuls à la maison, est repoussée à fin mai. De quoi entretenir le doute sur les raisons réelles de ces choix, d’autant qu’avec des classes dédoublées, il y aura peu d’heures de cours jusqu’à début juillet. Une vraie fausse rentrée donc. Mais avec un véritable avantage, selon certains chefs d’établissements: pouvoir tester avant l’été des organisations à reconduire si besoin dès début septembre.