Ministère de l'Économie et du Commerce extérieur

Territorial pissing

d'Lëtzebuerger Land vom 05.08.2004

Ça commence par un échec : Jeannot Krecké (LSAP), le nouveau ministre de l’Économie, devra cohabiter avec un ministre des Classes moyennes, Fernand Boden (CSV). Le programme électoral du LSAP réclamait une fusion des deux ministères. Or, les chrétiens-sociaux semblent s’inquiéter sérieusement que le patronat luxembourgeois pourrait découvrir son cœur à gauche et commencer à voter socialiste. Le CSV se devait donc de garder une présence auprès des artisans et commerçants. Ceci d’autant plus que tant le DP, traditionnel parti des classes moyennes, que l’ADR, qui a fait beaucoup d’efforts à recueillir les voix des patrons d’entreprise, sortent affaiblis du dernier scrutin. Il reste, à se rappeler nombre de commentaires issus des lobbies du patronat luxembourgeois, qu’on est en droit de s’interroger sérieusement sur la cote de popularité de Fernand Boden dans ces milieux. Il dirige le ministère des Classes moyennes, entre-temps élargi au Logement et au Tourisme, depuis quinze ans déjà. Le manque de ressources humaines met le ministère cependant dans l’impossibilité de mener de véritables politiques horizontales. Les rumeurs d’une arrivée de Jeannot Krecké à l’Économie commençaient à faire le tour pratiquement dès le 13 juin au soir. Non pas tellement parce que le président du groupe socialiste à la Chambre au cours de la dernière législature aurait consacré sa vie aux seules questions économiques, mais plutôt parce que son véritable poste de rêve, le ministère des Finances, restera inaccessible. Jeannot Krecké, 54 ans, ancien international de football et professeur d’éducation physique, doit sa réputation politique en premier lieu à son expertise fiscale et budgétaire, même s’il a présidé dès son entrée au parlement en 1989 et pendant dix ans la commission parlementaire de l’économie. Membre de l’opposition, il dirigeait ces cinq dernières années les travaux de la nouvelle commission du contrôle de l’exécution budgétaire. Socialiste de Luxembourg-ville, il est dépourvu d’expérience exécutive, que ce soit  au niveau national ou communal. Parmi ses atouts au gouvernement compteront cependant les excellentes relations qu’il entretient depuis des années avec le Premier ministre chrétien-social, Jean-Claude Juncker. Reconnu pour être un bosseur et un homme de dossiers, le nouveau ministre de l’Économie n’a rien d’un inconnu pour les milieux concernés, qui risquent toutefois de reprocher à l’ancien fonctionnaire de ne jamais avoir vécu la vie d’entreprise de l’intérieur. Krecké n’a pas de liens aussi naturels avec le patronat que l’ancien secrétaire général de la Confédération du commerce et chef d’entreprise qu’était son prédécesseur, Henri Grethen (DP). Mais comme celui-ci, Krecké ne sera pas du genre à laisser passer une provocation, provienne-t-elle de ses nouveaux administrés, les patrons d’entreprises. Avec Jeannot Krecké, c’est néanmoins un nouveau style qui fait son entrée au ministère de l’Économie, récemment déménagé d’une centaine de mètres au boulevard Royal, dans l’ancien siège du Statec. La gestion du ministère se révélera sans doute plus « hands on » que sous Henri Grethen, qui admettait volontiers sa préférence pour la délégation. En attendant, c’étaient lundi les métaphores sportives qui dominaient la passation de pouvoirs. Jeannot Krecké y parlait de l’esprit d’équipe qu’il a appris sur le terrain de football. Mais aussi du sentiment de petitesse qu’un joueur luxembourgeois peut avoir au niveau international. La force de conviction du LSAP n’a  donc pas suffi pour augmenter la cohérence de l’action gouvernementale en intégrant le département des Classes moyennes dans le ministère de l’Économie. Le CSV semble s’être montré beaucoup plus ouvert quand il s’agissait de couper dans les compétences d’un ministère socialiste, en l’occurrence les Affaires étrangères. Alors que dans les pays voisins, les départements de l’Économie se voient absorbés par ceux des Finances, au Luxembourg le ministère continue à être renforcé. Après l’intégration, en 1999, des compétences sur l’énergie et l’Entreprise des P[&]T, c’est en 2004 au tour du commerce extérieur, traditionnellement logé à l’hôtel Saint Maximin. Une nouvelle qui ne fait pas que des heureux. L’idée de coordonner davantage la promotion et la prospection économique du Luxembourg fait l’unanimité. Jusqu’à présent, les Affaires étrangères étaient responsables du démarchage pour trouver de nouveaux marchés pour les entreprises luxembourgeoises alors que l’Économie était en charge d’attirer de nouveaux investisseurs au Grand-Duché. En septembre prochain, il est ainsi prévu d’organiser deux missions économiques séparées aux États-Unis endéans un mois – un non-sens auquel sera mis fin avec le nouvel organigramme. Défini au sens strict, le transfert du « commerce extérieur » de Saint Maximin au boulevard Royal impliquera un changement de ministère pour un ou deux fonctionnaires. Or, l’appétit de Jeannot Krecké va au-delà. Défini au sens large, le commerce extérieur englobe dans ses yeux aussi les relations du Luxembourg avec l’OMC (Organisation mondiale du commerce) voire les relations économiques avec tous les pays hors de l’Union européenne. À l’hôtel Saint Maximin, cela impliquerait l’éclatement de l’actuelle Direction des relations économiques internationales, une des plus importantes du ministère des Affaires étrangères. Or, les diplomates, qui rêvent de postes dans les quelques ambassades lointaines, ne se réjouissent guère à l’idée de se retrouver fonctionnaires « ordinaires » au ministère de l’Économie. S’y ajoute qu’il faut s’interroger à quoi le couple ministériel aux Affaires étrangères, Jean Asselborn et Nicolas Schmit, occupera son temps une fois la présidence luxembourgeoise de l’Union européenne passée. Comparé au duo Lydie Polfer et Charles Goerens, il perdra à la fois la Défense, la Coopération et le Commerce extérieur. La réunion du nouveau conseil de gouvernement demain samedi risque donc de  donner lieu à de sérieuses scènes de ménage quand il s’agira de répartir les compétences entre les différents ministères et ministres. Le ministère des Affaires étrangères y plaidera sans doute pour le maintien du statu quo. Parmi les arguments déployés, on devrait trouver celui du réseau d’ambassades indispensable à la politique commerciale. Nicolas Schmit, le ministre délégué aux Affaires européennes, rappellera sans doute aussi que la politique commerciale, et notamment l’OMC, sont au niveau européen du ressort du Conseil « Affaires générales » auquel lui participera, mais pas Jeannot Krecké. Ce dernier siégera par contre à l’« Écofin », ensemble avec le ministre des Finances Jean-Claude Juncker, et au Conseil « Compétitivité », en charge du marché intérieur, de l’industrie et de la recherche (volet désormais couvert par François Biltgen). Sous cet angle, il serait possible que Jeannot Krecké s’arroge les compétences liées au marché intérieur plutôt que la politique commerciale avec le reste du monde. Un dossier qui reviendra à coup sûr au nouveau ministre de l’Économie est la coordination du fameux processus de Lisbonne, qui ambitionne de faire de l’Europe la zone économique la plus dynamique du monde en 2010. L’accord de coalition attribue cette compétence explicitement à Krecké, mais seulement au niveau national. Pour le volet européen, la déclaration gouvernementale reste particulièrement vague et ouvre ainsi la voie à une belle passe d’armes entre ministère d’État et ministère des Affaires étrangères sur la prééminence dans la politique européenne du Grand-Duché. Dans ses premières déclarations depuis son entrée en fonction, Jeannot Krecké n’a rien annoncé de bien révolutionnaire quant à la politique qu’il prévoit mener : œuvrer en faveur de la diversification économique, veiller à la compétitivité et promouvoir le Luxembourg de manière cohérente vers l’extérieur. Il devient aussi très vite évident que la politique économique déborde largement les compétences spécifiques du ministère officiellement en charge. « Nous avons perdu les avantages liés aux chemins administratifs courts et peu compliqués, » constate le nouveau ministre. Il s’intéressera donc en premier lieu aux travaux de ce « commissaire à la simplification administrative » qui sera nommé. Krecké veut concentrer ses efforts en particulier sur les PME afin de diversifier non seulement les secteurs d’activités de l’économie nationale, mais aussi réduire la dépendance de quelques grands acteurs. La différenciation avec le ministère des Classes moyennes n’en devient que plus floue encore. Finalement, il devra trouver un modus vivendi avec les ministres responsables pour la place financière, qui s’est engagée dans ses propres efforts de promotion au niveau international. Il faudra sans doute attendre le mois d’octobre pour la première définition publique des lignes directrices du mandat du nouveau responsable du ministère de l’Économie et du Commerce extérieur, dans lequel Jean-Claude Juncker voit un « grand ministère de la réforme économique ». Le 16 octobre, Jeannot Krecké est attendu au Kirchberg pour son premier discours inaugural de la Foire d’automne. Il se montrera alors si le socialiste Jeannot Krecké partage l’avis de son prédécesseur libéral Henri Grethen que « le ministère de l’Économie n’a rien d’un ministère politique ». À la lecture de l’accord de coalition, force est en tout cas de constater que le nouveau gouvernement semble enfin considérer la protection des consommateurs comme faisant partie intégrante de la politique économique.

Jean-Lou Siweck
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