Bash

Confessions du meurtre

d'Lëtzebuerger Land du 04.03.2004

Bash ou la confession du meurtre se déclinant en trois actes. Dans le premier, un homme, cadre moyen (Luc Feit) aspirant à devenir supérieur un jour, raconte la mort de sa fille. Comme témoin, il s'est choisi un homme au hasard, dans le hall de l'hôtel, où il est de passage. Peu à peu, le spectateur est amené à comprendre que ce n'était pas un accident. C'est l'homme lui-même qui a tué sa progéniture, pour cause d'ambition démesurée. Tel Iphigénie, qui donne le titre à l'acte, sacrifié pour son père Agamemnon. 

Changement d'acteurs pour le deuxième acte, un jeune couple de collégiens, raconte une nuit à New York. Tandis qu'elle (Nicole Max), savant mélange de Barbie et Britney Spears, somnolait en pensant à son prince charmant, le mâle rôdait dans Central Park, tuant au hasard de ses promenades un homosexuel, qui avait le malheur d'embrasser un autre homme au moment même où notre Américain moyen passe son chemin avec deux de ses potes. C'est la mort assurée. 

Troisième monologue, cette fois sous forme d'interrogatoire. Une jeune femme, Médée des temps modernes, tue son fils, fruit de l'amour partagé avec son professeur à l'âge de quatorze ans.

Trois histoires banales, en somme, où des éléments d'explication sont donnés à chaque «pourquoi» engendré par ces crimes, ambition, homophobie, amour déçu, ébauches d'explications ne suffisant pas à elles-mêmes. N'empêche que Neil LaBute, l'auteur, d'habitude plus connu pour ses oeuvres cinématographiques (In the Company of Men, Nurse Betty e.a.), se refuse à défendre ou à accuser les actes de ses personnages. 

On se situe sur cette balance qu'est l'Humanité, en permanence entre le Bien et le Mal, le Yin et le Yang. D'autant plus frappant ici que tous les personnages sont liés de près ou de loin, tout comme l'auteur, à la communauté religieuse des mormons. Même eux alors seraient capables de telles atrocités, thèse osée pour un Américain lui-même issu de cette communauté et qui a d'ailleurs connu quelques difficultés avec les siens à la sortie de la pièce.

Mais pour le spectateur, les démêlés de l'auteur avec sa communauté importent peu, son approche moralisante sans l'être fonctionne, en l'occurrence grâce aux acteurs. Il n'y a pratiquement pas d'action autre que les monologues, et pourtant tant d'émotions à faire passer, tant de couches différentes à déblayer. Surtout pour notre Agamemnon moderne, et heureusement il excelle à l'emploi. Dès l'entrée en scène, Luc Feit se joue du public comme il joue son personnage. Homme moyen, comme il se répète à le dire, il est parfait en crâneur bien habillé, assez beau gosse, qui pourtant ne reste que ce qu'il est, un cadre toujours... moyen avec une famille moyenne. Au fur et à mesure que l'aveu final approche, l'homme se mue, son assurance apparente se transforme en solitude et désarroi, aux vues du public. Au final, le témoin c'est nous, et on a hâte de laisser Luc Feit seul avec ses aveux, trop lourds à porter, même pour lui. 

Heureusement, on passe à des camarades plus joyeux et qui vont le rester tout au long, Léger changement de décor, le fond orange passe au rose, couleur de la dame aussi. Lui, en smoking, raconte sa version des faits, sa balade meurtrière, tandis qu'elle, en robe en taffetas, fait l'innocente à coups de battements de paupières  incessants. Nicole Max en tout cas excelle dans le rôle de la cruche adulant son homme. Happy end provisoire,  pour nos deux acteurs sortis tout droit d'une soap, ce sont les seuls qui ne semblent pas voir l'envergure de leur acte, trop récent peut-être.

Différent là encore pour la troisième histoire, Myriam Muller, en mère assassine, dans le décor froid (fonds bleu cette fois) et clinique de ce qui pourrait être une cellule d'interrogatoire. Un micro pend devant son nez, de manière saccagée et nerveuse elle se livre à l'aveu qui ici déjà est seulement récit, l'enquête semble bien avancée. Seuls véritables aveux, le meurtre de son fils de quatorze ans était planifié depuis très longtemps, et surtout, son histoire «n'a rien d'exceptionnel, à part qu'elle m'est arrivée à moi». La clé de la pièce. Tous ces gens n'ont rien d'exceptionnel. Juste un instant de leur vie, une occasion, une triste coïncidence ou un amour déçu, qui font que cette normalité bascule dans la folie du meurtre.

 

Bash de Neil La Bute, mise en scène: Johannes Zametzer, avec Luc Feit, Frédéric Frenay, Nicole Max et Myriam Muller. Dernière représentation au Théâtre des Capucins, demain, samedi 6 mars à 20 heures; téléphone pour réservations: 47 08 95-1.

 

 

 

 

 

 

Sam Tanson
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