La vendeuse est si hautaine, complètement overdressed en tailleur bicolore, fraîchement coiffée chez Namur, et regarde la cliente potentielle du haut de ses talons aiguilles (Marianne Pettinger, toujours excellente quand elle joue les bourgeoises arrogantes). La cliente n'est pas très futée, un peu naïve, à la recherche d'un nouvel agenda pour l'année 2004, pas trop grand pour qu'il entre dans son sac, pas trop voyant, pas trop original, quelque chose de passe-partout quoi. La cliente, c'est Lydie Polfer (interprétée avec brio par Monique Melsen), avec son éternelle coiffure Nana Mouskouri, sa broche en forme de dauphin et son sac porté ballant au bras. Tout est si juste et le public, accouru en nombre mardi au Centre des arts pluriels d'Ettelbruck, rit aux larmes.
Le sketch Agenda 2004 de Roland Gelhausen est un des meilleurs de la vingtaine de numéros qui constituent le programme 2003-2004, Maach d'Kräiz... an alles bleift besser, de la troupe du Cabarenert, actuellement en tournée à travers le pays. Le sketch est réussi parce qu'il y a une idée originale derrière: la présidente du parti libéral et vice-Premier ministre veut acheter un nouvel agenda et se rend compte que l'avenir est tout tracé, que les dates de l'année sont déjà toutes marquées... Avec, fatalement, à la clé, beaucoup de temps libre après le 13 juin 2004. Le modèle bleu s'appelait «interim»...
Un nouveau gouvernement, vite! est le message que nous font passer les Cabarenert dans les textes écrits par Roland Gelhausen et Jay Schiltz (Josy Braun ayant quitté l'équipe). Pour le pays, mais aussi pour eux, pour les auteurs, qui semblent un peu à court d'idées cette fois-ci. Après avoir tellement parodié et commenté les Juncker, Frieden, Wolter, Polfer et Hennicot, ils semblent parfois tourner en rond, ne pas vraiment avoir de nouveaux tics et travers à démasquer.
«Juncker est simplement bon,» disent dans le premier sketch, joué en off, les deux compères au bistrot, et l'ironie ne fonctionne pas vraiment. D'autres fois, les accusations, par exemple contre la politique d'immigration, d'asile et d'expulsions du gouvernement CSV/DP, restent trop premier degré, trop moralisatrices et didactiques. Ce n'est que lorsqu'ils prennent de la hauteur ou deviennent carrément bêtes et méchants - «la seule chose qu'on puisse vraiment reprocher à Luc Frieden, c'est que les demandeurs d'asile expulsés doivent prendre un vol Luxair!» ou «au moins, avec la récession de l'économie, le problème du trafic professionnel se résout tout seul...» - que les textes sont vraiment excellents.
Et le spectacle est le plus réussi lorsque les cinq acteurs et actrices jouent vraiment, qu'ils ne sont pas obligés de réciter un texte, mais qu'ils incarnent de véritables personnages. Comme Conny Scheel - merci à Cabarenert de l'avoir enfin rendu aux planches! - en une sorte de Jacques Séguéla de province, qui vend des campagnes électorales au mètre et regarde son client ignorant du haut d'une tour de logos d'entreprises. Ou Pascal Granicz en ministre de l'Intérieur qui veut remplacer les maires par des garde-forestiers, et surtout Roland Gelhausen et Monique Melsen en couple grand-ducal parlant un luxembourgeois à l'accent français, où la femme domine, Maria-Teresa ayant décidé de devenir maire de la capitale afin de libérer la ville «de ce tyran de Helminger».
Le titre du spectacle des Cabarenert dit pertinemment le paradoxe qui décrit si bien l'âme luxembourgeoise: «tout reste mieux», le désir de changement et de stabilité y sont unis. Le fonctionnaire repu qui veut s'acheter sa deuxième BMW et déteste les étrangers, jalouse le voisin et croit au mythe de l'État corrompu entretenu dans le Pefferkär en est un bel exemplaire. Les Cabarenert lancent un appel citoyen: votez, et soyez responsables en votant, ne faites pas n'importe quoi! Les premiers qui ont besoin d'un nouveau gouvernement, ce sont eux.
La troupe du Cabarenert, à savoir Rol Gelhausen, Pascal Granicz, Monique Melsen, Marianne Pettinger et Conny Scheel, Francis Stoffel pour la musique, sont en tournée avec leur programme 2003-2004 Maach d'Kräiz... an alles bleift besser jusqu'à fin mai; pour les lieux et dates, le plus simple est de consulter le site www.cabarenert.lu. Les réservations de places peuvent aussi se faire par téléphone au 091820991 entre 10 heures et midi et entre 15 et 17 heures. Le programme est en vente sur cassette vidéo (20 euros) et sur double DVD (23 euros), produit par la Billerfabrik.