Deux corps inertes gisent sur scène. Un homme se penche sur l'un d'eux, pose des questions naïves comme un enfant, une femme fouille dans un sachet rempli de feuilles mortes et un homme agenouillé derrière ce qui semble être de la marchandise ou un jeu, tente d'attirer l'attention du public en criant «hello! hello!» Ce sont ces situations un peu absurdes, ces tableaux que nous dessine Jean-Guillaume Weis de cette vie si bizarre que nous menons qui font de Noise, son dernier spectacle, actuellement au Théâtre d'Esch, un petit bijou. Il faut dire qu'il a su s'entourer de gens inventifs, aussi bien du côté de la danse (Andy Deneys, Maria Garzon Garcia, Sugata Hironori, Katia Noir et Marc Planceon, le narrateur) que pour la production: sa soeur Trixi a fait des décors d'un minimalisme zen époustouflant que Lutz Deppe interprète selon l'ambiance avec quelques lumières.
Puis il y a surtout la musique, ou bande sonore: Noise, les bruits dont les Guillaume Weis Dance People nous parlent, ce sont les bruits intérieurs, les bruits de notre corps, les bruits de la rue... Mais Noise, c'est aussi «le brouhaha qui demeure en chacun de nous dans les moments de silence,» comme le définit le chorégraphe dans le programme (voir aussi notre entretien ci-dessous). La bande sonore d'Emre Sevindik est dense et variée à la fois, mêlant des bruitages - les impressionnantes basses, comme de petits tremblements de terre qui vous happent au début du spectacle -, des sons électroniques minimalistes, des sons de la nature, à quelques notes de violon... Ou des percussions jouées en live à mains nues contre un mur par Jérôme Goldschmidt. La musique devient ainsi un partenaire à part entière du spectacle, filant parfois les motifs et les idées développés autrement par les danseurs.
Depuis plusieurs années, les recherches chorégraphiques de Jean-Guillaume Weis sont des quêtes intimes du sens de la vie, des limites de l'amour, des possibilités de la danse. Dans Noise, il est comme le grand ordonnateur d'un huis clos dans lequel quatre danseurs se cherchent, se trouvent, se perdent, s'aiment et se détestent. Le chorégraphe est détenteur d'un des micros - plusieurs autres sont accrochés verticalement sur tout l'espace de la scène, comme pour mieux capter tous les bruits de ces corps. Il entre, juge, manipule, observe derrière son bureau. Il est dieu, parfois. Et d'autres fois, il est un danseur comme les autres, qui prend parti et s'investit. Jean-Guillaume Weis nous dit si bien le monde en dansant qu'on ne peut s'empêcher de regretter toujours autant qu'il ait besoin d'expliciter ces choses senties et montrées avec des mots: «une tristesse incommensurable m'envahit / que faire pour qu'elle ne se transforme en colère?».
Au fait, l'utilisation du verbe marche le mieux lorsqu'il se détache du premier degré, du démonstratif, pour devenir évocateur, poétique - comme ces énumérations par le narrateur des choses qu'il possède, qu'il aime, qu'il déteste. Comme des inventaires du quotidien, de notre banalité. Jean-Guillaume Weis veut nous parler de l'étendue de notre univers intérieur. Et y réussit le mieux quand il en montre les situations incongrues, poétiques. Ses danseurs sont parfois en accord, dans des échappées dynamiques et synchrones. Ou ils sont seuls, atomisés sur une scène sur laquelle chacun ne semble penser qu'à soi-même. Ils ont parfois une pêche d'enfer et dansent le rock - «My name is... / and I feel like this» - ou sont très mélancoliques et le dansent également.
Leurs corps, nos corps, sont des vecteurs, des instruments aussi. Qui ont des besoins, des limites, des possibilités - et font des bruits. Jean-Guillaume Weis les capte, au premier degré - en frottant le micro contre son corps lorsqu'il danse -, mais aussi au deuxième, en en faisant une chorégraphie souvent puissante ou dure, parfois triste, toujours très sincère.
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d'Land: Noise, le spectacle que tu viens de monter à Esch, associe à quatre danseurs (Andy Deneys, Mariana Garzon Garcia, Sugata Hironori et Katia Noir) un acteur, Marc Planceon. Où situes-tu la danse contemporaine aujourd'hui, et ton travail en particulier, dans ce mélange des genres artistiques? Penses-tu pouvoir arriver à un art «complet»?
Jean-Guillaume Weis: Je ne pense pas en ces termes. Je pense qu'un art complet ne l'est que s'il est réussi. Je ne souhaite pas me limiter dans mon rayon d'action. Je trouve qu'il est important de prendre soin de ne pas utiliser les multiples possibilités, surtout techniques et technologiques, de manière gratuite.
Comme son nom l'indique, Noise est un travail où la parole et la musique jouent un rôle essentiel. Ne crains-tu pas de dépasser la danse comme moyen d'expression en choisissant un thème qui en appelle par définition au bruit?
Je prends la liberté de dire les choses comme je les pense. En même temps je les contredis. Je suis subversif. Un homme censé peut-il ne pas l'être? La critique, la contestation ne sont pas synonyme de noirceur. Bien au contraire. Je parle aussi de l'espoir. À travers le bruit, je ne fais que susciter la pensée et l'amour avec les moyens que j'ai choisis. Celui du corps, celui du langage et celui de la musique.
L'on ne peut qu'inventer une nouvelle façon d'assembler les choses qui existent. L'on ne peut que tenter de révéler la tragédie et la beauté de l'humanité à travers la danse comme à travers la parole. Il n'y a point de nécessité de dissocier les moyens. Je fais ce que j'aime et ce qui me semble le plus juste pour exprimer ce que j'ai à dire.
Il y le bruit qui est associé à une image négative que je souhaite subjectiviser. La musique est née de sons qui, isolés, peuvent être dérangeant de prime abord certes, mais elle se compose également des silences entre les notes.
Il y a le bruit à l'intérieur et à l'extérieur de nous que nous ignorons. Noise nous parle de cela. Noise est un monde issu de nous qui nous paraît étrange. Il est comme un rêve. Il est un fleuve, un droit de cité. Selon l'usage, le bruit des sons devient beauté.
La danse fait du bruit. Comme nous même elle émet des sons et des ondes qui provoquent l'imagination et la pensée, une réaction ou une émotion. La danse comme la parole nous parlent et nous touchent.
Penses-tu que mêler ces autres formes d'art (musique mixée, dramaturgie...) à la création dansée contemporaine puisse en faciliter l'accès à un public luxembourgeois encore frileux dans ce domaine?
Je poursuis mon chemin dans la création de mon art. Je ne crée pas l'art spécifiquement pour Luxembourg.
Depuis la fondation de ta propre compagnie Guillaume Weis Dance People en 1998 et la création de nombreux spectacles (entre autres:
Synergies, Short Stories, et plus récemment IL), as-tu constaté une évolution des mentalités au Luxembourg en ce qui concerne la danse contemporaine?
Trop souvent la danse est associée à quelque chose d'ennuyeux comme la télévision par exemple. Le public se réveille doucement. Debout tout le monde!
Noise ou L'Étreinte du bruit des Guillaume Weis Dance People, avec Jean-Guillaume Weis (danse et chorégraphie), Andy Deneys, Maria Garzon Garcia, Sugata Hironori, Katia Noir (danse) et Marc Planceon (danse et narration); costumes: Trixi Weis, assistée de Natalie Bitter; lumières: Lutz Deppe; musique: Emre Sevindik et Jérôme Goldschmidt; une coproduction des Guillaume Weis Dance People, de TDM (Théâtre Danse et Mouvement) et du Théâtre d'Esch ; dernière représentation mercredi prochain, 14 janvier, à 20 heures au Théâtre d'Esch; téléphone pour réservations
: 547383-502