La banlieue résidentielle américaine, fantasme de scénariste. Ses petites rues perpendiculaires, ses porches, ses voisines toujours bien coiffées qui se saluent sur des pelouses tondues au millimètre après l’exode quotidien des maris vers la ville. Le cinéma, les téléfilms et les séries s’emparent régulièrement de cette bulle de l’american way of life pour en extraire le pire. Le modèle de perfection vantée par les promoteurs de Suburbicon, à la fin des années cinquante, a lui aussi du plomb dans l’aile. La carte postale semble s’assombrir le jour où le facteur s’aperçoit qu’une famille de Noirs vient de s’installer dans le quartier. Stupeur des habitants, pétitions, érection de clôtures, émeute. La diversion est parfaite. Car dans une de ces maisons se joue un drame bien plus pernicieux. Chez les Lodge, le jeune Nicky (Noah Jupe) voit le mensonge de son père (Matt Damon) enfler jusqu’à l’outrance : sa tante (Julianne Moore) et lui n’auraient-ils pas fait assassiner sa mère (la même Julianne Moore) lors d’un simulacre d’agression collective à domicile ? La tragédie déborde de mauvais revers pour Gardner, le père de famille, la faute à l’argent, toujours. Alors que dehors, la ville entière s’en prend aux nouveaux voisins, à l’intérieur, Nicky est le témoin de l’absurdité des adultes.
De quoi Suburbicon est-il le nom ? D’abord de ce rêve blanc bientôt rouge sang. D’un scénario jamais réalisé par la fratrie Coen. Du nouveau film de Georges Clooney. Il est surtout ici synonyme d’un ratage à tous les niveaux. L’intrigue ne sera pas sans rappeler Fargo, l’œuvre majeure des frères cinéastes : les ambitions égoïstes, les conséquences oubliées, les décisions forcément mauvaises. Ici, le scénario, remanié par Clooney et son collaborateur Grant Heslov, glisse sans ruptures, sans surprises. Les personnages subissent les évènements perturbateurs sans sourciller, qu’il s’agisse de personnages, comme les malfrats ou l’expert en fraude de l’assurance, ou, en dernier recours, d’un camion lancé à pleine vitesse. La trame est lisible dès les premières minutes, désœuvrant le spectateur. Une transparence doublée d’une naïveté affligeante et d’un laïus dangereusement superficiel sur la ségrégation. Les voilà, ces gros bourrins de l’Amérique, portraits miroir des contemporains trumpistes, oh, les vilains racistes, oh, les vilaines émeutes, voilà, c’est déjà tout. Dans la maison d’à côté, on caricature aussi davantage qu’on ne raconte. Les personnages n’existent jamais, ils ne sont que les figures décaties d’un modèle sociologique déjà tant – et mieux – exploré. Les acteurs ne peuvent alors que surjouer, désincarnant totalement cette histoire. La mise en scène de Georges Clooney ne dit pas autre chose et reste sage, bien lisible. S’il installe parfois sa narration à hauteur de l’enfant, coupant les têtes des figures de l’autorité ou d’en faire ressortir toute la monstruosité à l’aide de plans en contre-plongée, il abandonne son dispositif au bout de deux plans pour revenir à un langage cinématographique très lisse, s’écartant définitivement du style des Coen pour n’en donner qu’une copie presque parodique.
Suburbicon a tout du film de cinéphile doté de gros moyens, attentif aux détails, mais sans réel discours. En guise de comédie noire, Georges Clooney ne sert qu’une dénonciation bien ordonnée, politiquement correcte et terriblement ennuyante.