Qu’est-ce qui définit l’art ? L’objet en lui-même, le discours autour ou le lieu d’exposition ? Christian (Claes Bang), conservateur d’un musée d’art contemporain en Suède, se trouve en face d’Anne (Elisabeth Moss), une journaliste américaine et a du mal à répondre. Ce n’est que le début du long calvaire que l’auteur-réalisateur Ruben Östlund fera subir à son protagoniste. La case de départ de l’intrigue est The Square, un carré lumineux encastré dans le pavé devant le musée, constituant la pièce centrale d’une nouvelle exposition à venir. Dans un discours faussement improvisé, Christian insiste sur le caractère participatif de l’œuvre devant les amis du musée : toute personne se trouvant à l’intérieur du carré aura droit à l’aide inconditionnelle des autres, quelle que soit sa demande. Mais il est encore loin de se douter à quel point son propre altruisme et son empathie seront mis à l’épreuve dans les jours à venir.
Victime d’un pickpocket, il arrive à localiser son portable volé dans une résidence de banlieue et se lance dans une quête de vengeance ridicule. Pendant ce temps, il néglige le travail sur la campagne de communication pour l’exposition et valide une vidéo publicitaire qui fait scandale. Anne, la journaliste, qui s’attend à un comportement moins flegmatique après une nuit passée ensemble et deux petites filles déçues d’une relation précédente complètent le tableau d’une vie en train de dérailler.
The Square dénonce de manière impitoyable et précise l’individualisme et l’indifférence générale à travers le prisme de la jet-set culturelle. Par des caricatures hilarantes du haut fonctionnaire blasé par un trop plein de confort, des créatifs ultra-branchés du marketing et des mécènes plus attirés par le buffet que par les œuvres du musée, Ruben Östlund montre que l’on préfère largement discuter des injustices et des problèmes dans le monde que de les affronter.
Comme dans Force majeure (2014), son précédent long-métrage, une minuscule fissure dans des rapports humains construits sur des faux sentiments font tout sauter. Lauréat de la Palme d’Or au Festival de Cannes 2017 et distribué par Bac Films, dont la branche de production est basée au Luxembourg, The Square s’attaque à la grande et à la petite hypocrisie par quelques séquences clés remarquables, comme cette performance d’un « homme-singe » (Terry Notary) confrontant les invités d’un banquet à leur propre lâcheté d’agir ou ce moment hilarant où Christian veut empêcher à tout prix Anne de mettre son préservatif usagé à la poubelle. Avec ses cadrages très réfléchis, son jeu impressionnant avec le hors champ et son excellent acteur principal, ce long-métrage ne cesse de surprendre. S’il reste difficile à comprendre pourquoi The Square, qui arrive à trouver sa propre voie à tant de moments, cède parfois aux stéréotypes de mise en scène pour montrer les personnages à l’autre bout de l’échelle sociale, le film reste audacieux et incontournable. Fränk Grotz