L'ambassade

Ex oriente lux...

d'Lëtzebuerger Land vom 23.03.2000

Quelle peut être la porte de sortie quand la situation est pourrie, que vous ne croyez plus en rien sur la terre comme au ciel, que votre femme Amélie (Marie-Pierre Mouillard, pulpeuse mais tremblante en chemise de nuit) est sur le point de vous quitter et que vous ne vous aimez pas non plus, dans votre rôle de représentation ? C'est pourtant peut-être la seule chose que vous sachiez faire : jouer au stratège ès mensonges. Avec votre larbin Othello (Jean-François Wolff, roublard à souhait) pour commencer, qui vous le rend bien ou qui fait semblant sur le mode du soumis.

Vous êtes l'ambassadeur (Norbert Rutili, costume stricte à rayures et fausse autorité), vous connaissez sur le bout de la langue la dialectique des faux-semblants et des faux-fuyants. Votre adversaire (Jacques Paquer, parfait dans son rôle de traître onctueux), représente le gouvernement du pays où vous êtes en poste. Il vous donne le change, il est même peut-être votre ami. Il n'est pas votre allié mais votre meilleur ennemi. Vous êtes tous les deux parfaitement rôdés au petit jeu du"je te tiens, tu me tiens par la barbichette". La situation est sinistre mais idéale. Cela vous convient, puisqu'il ne peut rien arriver, croyez vous, qui puisse venir gripper les rouages de cette petite machinerie parfaitement au point. Vous pouvez donc, jusqu'à la fin de votre mandat tout du moins, continuer à jouer à la guéguerre qui, dans l'épisode à l'ordre du jour prend la forme d'un bouton de manchette égaré.

C'est là que va débuter votre remise en question. Le cadeau empoisonné, c'est un ouvrier (Hervé Sogne, tout en candeur) caché dans la mappemonde-pochette surprise que vient vous offrir votre ami-ennemi. Pour l'heure, il vous permet encore de gloser sur un monde finalement  bien ordonné, celui que font semblant de se disputer votre gouvernement et le sien. Mais vous voilà avec un réfugié politique sur les bras et qui compte sur vous pour réaliser son rêve d'évasion. Il vous pose des questions existentielles et pires encore : sur la réalité de Dieu. Tout s'emballe. L'enjeu, désormais, c'est la vie de cet homme qui ne sait pas, ce naïf dérangeant, ce que vous savez : il vous oblige à déplacer votre stratégie d'apparence sur le terrain de sa vie ou de sa mort. Dans votre bureau, transformé en huis clos. 

Cela finira mal, parce que l'homme est une bête pour l'homme. Ainsi va L'Ambassade de Slawomir Mrocek, mise en scène par Fabienne Zimmer au TOL (couleurs gris sur gris) dont les spectateurs ne sauront pas ou feindront de ne pas savoir l'issue jusqu'à la fin : qui tuera qui pour sauver sa peau ? La Pologne, où Slawomir Mrozek est né an 1930, a été si malmenée tout au long de l'Histoire, puis quasi assassinée sous le nazisme et par le communisme que s'ensuivit une envie de rédemption (au sujet de Kieslowski cf. d'Land n°11/00) qui, pour ne citer que ces auteurs, installés en France au début de l'ère mitterrandienne, les poussa à la charge vengeresse et cynique. Le ton semble bien pontifiant aujourd'hui. Mais il ne pouvait pas deviner, Slawomir Mrozek, au début des années 80 quand il écrivit L'Ambassade, le spectacle qu'allait encore nous offrir l'Europe de l'Est. Un réservoir d'horreurs qui semble inépuisable.

 

L'Ambassade de Slawomir Mrocek, TOL, 143 route de Thionville, Luxembourg-Bonnevoie, les 25, 28 et 31 mars, 1er, 2, 8, 11, 12, 14 et 15 avril prochains à 20h30. Réservations par téléphone au 49 31 66

Marianne Brausch
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