Recovering au Parc Dräi Eechelen

Réconciliations

d'Lëtzebuerger Land vom 05.08.2011

Recover : récupérer ou se remettre. L’ambition des responsables du projet Recovering – Soundscapes [&] Views est de récupérer l’espace de la place de l’Europe et du parc Dräi Eechelen et de le faire redécouvrir aux flâneurs et promeneurs. Ce site qui offre une magnifique vue sur la capitale et qui fut très visité avant les travaux de réaménagement du quartier a vu le nombre de ses amateurs s’affaiblir fortement au cours des dernières années. Steve Kaspar, artiste luxembourgeois connu notamment pour ses compositions musicales et ses œuvres transdisciplinaires, est l’initiateur du projet. Ses quatre installations sonores implantées dans le parc des Trois Glands attirent l’attention du visiteur et l’invitent à parcourir le site archéologique des fortifications.

Afin d’attirer plus de spectateurs, Steve Kaspar et le curateur du projet, Hans Fellner, sous l’intendance du Mudam et de la Philharmonie, proposent chaque deuxième samedi un programme varié de concerts, de performances et d’interventions artistiques sur le site des Trois Glands. Sont à mentionner entre autres une interprétation de pièces de Iannis Xenakis par le groupe United Instruments of Lucilin (le 13 août de 16 à 17 heures), l’intervention de Guy Frisch qui se servira de la façade de l’Hôtel Meliá afin de jouer de la percussion (le 27 août de 18 à 19 heures), une soirée de concerts de jazz-rock (Tom Heck Trio), de Krautrock (Fracture) et d’un DJ Set original (Kuston Beater, le 10 septembre de 19 à 20 heures), ainsi qu’une projection du court métrage Toward the event horizon de Gast Bouschet et de Nadine Hilbert sur la façade du Mudam (à l’occasion de la Nuit des musées, le 8 octobre à partir de 18 heures).

Mais revenons sur le site de la place de l’Europe et des Trois Glands. En 1688, l’ingénieur militaire Sébastien Le Prestre de Vauban construit sous l’occupation française sur ce lieu une tour d’observation, dénommée Redoute Hauteur du Parc. Complété en 1732 et transformé en Fort Thüngen, ce site faisait partie de la troisième ceinture de fortification du système défensif autour de la ville de Luxembourg. Ses ruines rappellent aujourd’hui encore les occupations successives du Luxembourg par des puissances étrangères.

Le passé militaire du site amène Steve Kaspar à qualifier le terrain de « pas évident » et de « chargé historiquement », une qualification dont il a tenu compte dans ses œuvres. La chorégraphe luxembourgeoise Sylvia Camarda s’est intéressée à son tour au côté tragique du site lors de son intervention, samedi passé, pour l’ouverture du programme Recovering – Soundscapes [&] Views. Dans son parcours chorégraphique s’étendant de la place de l’Europe au fort Ober[-]grünewald, elle a évoqué le cycle de la naissance à la mort en se recouvrant successivement de différents matériaux : huile, farine, glaise et sang, ce dernier renvoyant aux soldats morts sur le champ de bataille.

Les responsables du projet, notamment Hans Fellner et Enrico Lunghi, directeur du Mudam, soulignent le côté « abandonné » et « disparu de la mémoire collective » du site. En effet, on ne peut pas comparer les quelques touristes et les promeneurs du dimanche à la masse de visiteurs qui s’assemblaient déjà vers 1900 – donc très peu de temps après le démantèlement des fortifications de la capitale en 1867 – autour de l’ancien café-chalet, disparu aujourd’hui. Ceci est d’autant plus étonnant que le site est de nos jours défini par les silhouettes de la Philharmonie et du Mudam, érigées sous la main de Christian de Portzamparc respectivement d’Ieoh Ming Pei, dont le défi fut de faire accorder le passé et le présent. Les concerts organisés dans la Philharmonie attirent à eux seuls quelque 150 000 visiteurs par année. De même, les institutions européennes et les nombreuses banques implantées au Kirchberg ainsi que les restaurants situés dans la Phil[-]harmonie et dans l’Hôtel Meliá assurent eux aussi un important flux de gens dans le quartier du Kirchberg. Peut-on donc vraiment qualifier le site d’« abandonné » ?

Si le site s’est transformé de façon marquante au cours de ces dernières décennies, l’exploitation culturelle et économique du site des Trois Glands a changé elle aussi. La nature sauvage envahissant les anciens forts démantelés, le café et les places de parking gratuites les week-ends ont cédé la place à un parc aménagé par le paysagiste français Michel Desvigne, à une place bien structurée et à un système de parkings payants bien organisé. Les installations de Steve Kaspar font irruption dans ce site et suscitent la curiosité des visiteurs, une curiosité bien accueillie face à la banalité du quotidien. Plus qu’à la lubrification du système culturel et à la repopulation du site apparemment délaissé, le programme de Recovering vise à une réconciliation avec le passé historique. On ne peut qu’espérer que la suite du programme soit à la hauteur de l’ambition de Kaspar et de la remarquable performance inaugurale de Sylvia Camarda.

Les installations sonores de Steve Kaspar sont à visiter jusqu’au 8 octobre de 10 à 20 heures. Le programme complet du projet Recovering – Soundscapes & Views peut être consulté sur le site du Mudam : www.mudam.lu ou sur le blog du projet : http://recover
Florence Thurmes
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