Art contemporain / Photographie

Des Luxembourgeois à Paris

d'Lëtzebuerger Land vom 28.09.2018

Du côté de Saint-Germain, il est impossible de ne pas être pris par le souvenir du Luxembourgeois André Biren qui avait ouvert en 1972, et elle était restée ouverte jusqu’en 2000, année de sa mort, une galerie d’estampes. C’était au numéro 31 de la rue Jacob, et l’autre jour, traversant la rue Saint-Benoît, une vingtaine de mètres plus loin, ce fut comme laisser encore derrière soi un long passé. Une chance, cependant, qu’il reste des galeries de ce genre, alors que le quartier plie de plus en plus sous les fringues. Et le rapprochement s’impose d’autant plus que la galerie Eric Mouchet, au numéro 45, a autant partie liée avec le papier, avec le livre. D’où le nom de son exposition, Copies, qui à la fin du mois se terminera d’ailleurs par une édition monographique de 24 pages noir et blanc. Chose normale quand le commissariat en est assuré par Théophile’s Papers (Théophile Calot).

Le nom dit peut-être quelque chose à l’un ou l’autre lecteur. C’est l’étiquette sous laquelle Christian Aschman a publié en 2015 The space in between, et notre compatriote, on le retrouvait dans l’exposition, avec des photos dans la salle qui donne sur la rue Jacob, le livre dans la salle derrière. Car tel est le concept de l’événement : d’une part un espace d’exposition, pour des artistes sans doute très différents les uns des autres, chacun ou chacune avec un attrait particulier, une poésie dans le cas de Christian Aschman faite de composition rigoureuse et d’agencement surprenant ; d’autre part un espace des livres justement, autre sélection, de publications, des artistes invités, outre Christian Aschman, Félicia Atkinson, Valérian Goalec, Ronan Le Creurer et Caroline Reveillaud.

C’est à l’autre bout de Paris, en transversale à la Seine, non loin de la gare de l’Est, que David Brognon et Stéphanie Rollin ont leur premier solo-show parisien, comme on dit aujourd’hui, première exposition personnelle donc, à la galerie Untilthen, au 41 boulevard de Magenta. Des tableautins, ce qui n’a rien de péjoratif dans la dénomination ; il est vrai que c’est une surprise, et elle s’accentue quand on se rend compte qu’ils sont faits de marqueterie de paille, d’un travail de la plus grande finesse. Des chaises souvent, comme dans des salles d’attente, à moins qu’on ne préfère la référence à l’Américain Hopper (pour l’atmosphère), mais les personnages sont absents, un peu comme s’ils avaient laissé le temps s’écouler tout seul, lui bien sûr ne s’arrêtant pas. On ne sait quoi admirer le plus, la méticulosité du travail, ces univers en miniature, ou alors ce qu’il est révélé justement sur le sujet, cette obsession du temps toujours présente chez les deux artistes.

Ces assemblages de tiges de paille, on dit que jadis c’était l’affaire des bonnes sœurs et des prisonniers, comme les extrêmes se rejoignent, mais les deux n’avaient rien à perdre question horloge. On n’en est plus là, aujourd’hui, time is money, et c’est là-dessus que calculent les line sitters new yorkais, on en apprend des choses, qui ont donné son titre à l’exposition : Call (809) 610 – Wait. Il est des personnes qui n’ont pas de temps à perdre, leur temps est précieux, d’autres en ont et ne savent pas quoi en faire. Un certain Robert Samuel a de la sorte décidé en 2012 de faire la queue pour les premiers, s’ils veulent une place à un spectacle ou pour toute autre occasion de file d’attente. Il paraît que ça peut rapporter, pas gros, mais quand même jusqu’à 2 000 dollars pour quatre jours à attendre pour un iPhone.

Robert Samuel était à Paris, le week-end du vernissage, où les deux jours la galerie restait ouverte 24 heures sur 24. Il était installé au sous-sol, cette fois-ci à en croire ce qu’on a pu lire dans une attente autrement sérieuse, confrontée à une mort programmée. Bien sûr que le line sitter, lui, restait cloué sur place. Et comme on était au sous-sol, on voyait sur le trottoir du boulevard les jambes seules des piétons, une partie du corps était visible, et très vite on pouvait imaginer d’autres tableautins, d’autres marqueteries, question temps, disant là des gens pressés, pris dans le mouvement de la grande ville.

L’exposition Call (809) 610 – Wait de David Brognon & Stéphanie Rollin dure encore jusqu’au 6 octobre à la galerie Untilthen, boulevard Magenta, Paris 10e ; untilthen.fr. / L’exposition de Copies de Theophile’s Papers, avec e.a. des photos de Christian Aschman dure encore jusqu’à la fin du mois à la galerie Eric Mouchet, rue Jacob, Paris 6e ; ericmouchet.com.

Lucien Kayser
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