On fait généralement remonter la dénomination d’art déco aux années 1960, époque donc où il appartenait déjà au passé. Cela à cause du livre de l’historien Bevis Hillier, situant lui-même le style aux années vingt et trente. En fait, le nom fut là d’emblée, au plus tard avec l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes qui se tint à Paris en 1925. Titre qui donne aussi une (double) grille pour le gros livre qui vient prolonger deux à trois ans après, étoffer à sa manière l’exposition Art déco au Luxembourg, au MNHA, en 2018. Double grille, d’une part l’esthétique même, pour faire court présence toujours accentuée du décor, mais comme dompté par la géométrie après les extravagances de l’art nouveau ; d’autre part l’accentuation d’une production industrialisable, s’élargissant à la vie dans tous les domaines, et s’adressant à une clientèle de masse.
L’art déco, si on laisse de côté les signes avant-coureurs tels que « der kühle Wiener Jugendstil » et les « Wiener Werkstätte », se développe et s’épanouit dans la paix revenue, s’appuie sur une économie qui repart (ce qui n’empêche pas les crises). En toute logique, le livre s’ouvre sur le portrait d’une époque que Régis Moes qualifie de contrastée, à tous points de vue, politique, économique, social. Pour les propos qui suivent, en vingt chapitres, l’essor quand même est essentiel, de ce qu’on a appelé les années folles, sombrant dans une tout autre folie, avec le nazisme et la seconde guerre mondiale. Ainsi, l’art déco se trouva emporté dans les soubresauts de l’Histoire, puis oublié, et dut attendre les années 70 pour être redécouvert, voire repopularisé.
Vingt chapitres pour faire le tour de l’art déco au Luxembourg, une pléthore d’exemples décrits et illustrés, avec des fois comme un début d’interrogation sur l’existence d’une originalité ou non. En gros, au bout de pareille exploration combien utile et enrichissante (du patrimoine), dira-t-on que, comme c’est le cas si souvent, l’art déco a aussi fui les extrêmes ; pour l’art nouveau déjà on s’était situé entre Guimard et Hoffmann, pour l’art déco, on ira rarement jusqu’à la rigueur fonctionnelle du Bauhaus. La rue de Nassau et la maternité existent bien, il faut déplorer ce qu’il en est advenu, moins de considération pour le béton que pour les vieilles pierres.
Impossible de dire dans un article avec ses limites combien le lecteur au fur et à mesure des chapitres se trouve submergé (dans le meilleur sens du terme) d’informations, l’avantage considérable qu’il peut en tirer, notamment pour une autre perception de son environnement. En matière d’architecture en premier, avec tout ce qu’il apprend sur tels bâtiments privés ou publics, hôtels, cinémas, grands magasins, églises, et j’en passe. Impossible aussi de dire comme il le faudrait les mérites des auteurs, dans une recherche qu’on soupçonne difficile et des fois délicate.
Après l’entrée politique, un texte d’Ulrike Degen, cheville ouvrière de l’entreprise, est fort logiquement consacré à l’habitation, « einen Wohnraum als Ganzes gestalten ». Après l’art nouveau, l’art déco fut la dernière ambition d’un Gesamtkunstwerk, avec quelles exigences : « Je mehr der Aufwand für die Wohnung beträgt, desto höher gestaltet sich die sittliche, kulturelle und politische Einstellung. » Cette constatation faite dans l’Obermosel-Zeitung dit vrai en partie, en partie seulement, à considérer les effets de démocratisation (par l’industrialisation).
D’où dans le cortège des chapitres, le passage en revue du mobilier, de la céramique, de la ferronnerie, de la verrerie, de l’orfèvrerie et de la bijouterie, jusque dans les tabernacles, de la mode bien sûr. Et le lecteur de s’arrêter, quelque peu amusé, à telle photographie, page 374, document officiel du mariage des ducs de Brabant en 1926. Pour un peu, le rapprochement pourrait se faire, quelques pages plus loin, avec les toilettes d’un concours de beauté, le luxe et les uniformes militaires en moins, tellement la haute couture et le prêt à porter féminins s’étaient mis à se ressembler. Avec une toute nouvelle image de la femme.
Quelques rares chapitres sont consacrés à des individualités, Léon Nosbusch, Auguste Trémont (on peut regretter, eh oui, le rejet de son projet d’un monument pour Michel Rodange, il avait plus d’allure que celui dont la modestie a été particulièrement relevée, de Jean Curot, lui-même plus « moderniste » pour sa propre maison, avec l’architecte Nicolas Schmit-Noesen) à Luxembourg-Cents), Raymon Mehlen (pour le graphisme). Et puis il est des noms, à chacun son propre choix, qui apparaissent une fois, plusieurs fois, celui d’Antoine Hirsch, directeur de l’École des Arts et Métiers, celui du pharmacien eschois Pauly (pour son aménagement intérieur), où il appartient alors au lecteur d’amorcer sa propre enquête. Elle s’avérera plus compliquée dans le cas d’Ernest Winkel, ébéniste (même s’il a travaillé des bois indigènes, moins précieux) à Burmerange : une note en bas de page nous apprend que son rêve, non réalisé, avait été d’entrer à l’École Boulle, à Paris, que la guerre l’a pour des raisons de simple survie forcé à faire du banal travail de menuiserie, pour revenir à autre chose, dans les années 60. Une vie de la sorte prise dans les tribulations de ces lointaines décennies, comme celle de Dom Louis Gay, de l’abbaye de Clervaux, que les nazis pensèrent un espion. D’autres facettes, moins resplendissantes que celles de l’art déco.