Le Mudam collectionneur de mode. Où fusionnent la haute-couture et la rue, le chic et l’avant-garde, l’art et la politique

Vestiaire

d'Lëtzebuerger Land du 12.11.2021

On descend le grand escalier en spirale et c’est une plongée dans une des multiples facettes, la mode, qui attend le visiteur avec mirror mirror : cultural reflections in fashion. À commencer avec la cagoule-visage de Walter van Beirendonck (1957, Brecht), Terror Mask, acquise par le musée en 2005.

Dis-moi, miroir, miroir… Au début des années 2000, Marie-Claude Beaud, avec le culot du détournement dont on se souvient, avait allègrement franchi le pas du mélange des disciplines artistiques et le musée a acquis à cette époque des créations de stylistes. Deux décennies plus tard, le couple Sarah Zigrand, consultante de mode et Georges Zigrand, designer, ont été chargés de dessiner la manière de présenter neuf créateurs, dont les pièces appartiennent au Mudam.

Leur scénographie d’accompagnement est complémentaire et subtile. Au centre, voici le mélange urbain chic et sport de Helmut Lang (1956, Vienne). Ses Collection Homme, Séance de travail #Eté, Collection Femme, Séance de travail #Hiver 02/03 et #ÉEté 03, dont il a fait don au Mudam en 2009, c’est comme un vestiaire back-stage, où chaque tenue est accrochée à des cintres, prête à être enfilée pour arpenter le podium, chaussures au pied de chaque silhouette incluses. Si le style Helmut Lang fait) un peu daté, c’est que la rue s’est emparée des superpositions de t-shirts à bretelles plus ou moins larges, des pantalons slim, des bretelles tombantes. Restent l’art du grand couturier : l’incrustation de tissus raffinés. Organza et crêpe de chine, motif de kilt imprimé sur soie et découpes savantes.

Autre génération, autre style, pour Bernard Wilhelm, son compatriote (1972, Ulm). Sarah et Georges Zigrand font se croiser ses silhouettes, têtes de mannequins comprises, bouche ouverte et langue percée d’un pearcing-bague et le podium de Helmut Lang, comme pour mieux montrer la distance qui les sépare. I didn’t go to Fashion Week est imprimé en grandes lettres sur un sac cabas accroché au bras d’une des tenues de la Collection Automne Hiver 2015-2016. À la provocation (c’est le don le plus récent au Mudam, 2016), on avoue préférer la silhouette unique du belge Martin Margiela (1957, Louvain), vêtue d’un demi-manteau/demi-veste en laine lilas au surfilage apparent, Sans titre de 2004, porte bien son nom, comme le créateur, jamais identifié mais universellement reconnu pour ses créations minimalistes et intemporelles.

Contre-point à cette pièce structurée, l’enroulé fluide couleur mousse d’une robe châle en feutrine du Japonais Junya Watanabe (1961, Fukushima), est la plus ancienne des pièces présentées – elle date de 1998. Cette pièce de tissu unique montée sur une tige métallique en spirale, fait le grand écart entre le morceau de bravoure par excellence de la haute-couture, le travail du biais, avec la collection Clothes-20 pieces T-A-P-E Eté 2003 acquise par le Mudam en 2004. T-shirts, jupes, robes et autres pantalons aux découpés scotchées de Grit (1966, Halle) et Jerszy Seymour (1968, Berlin), semblent tout envoyer en l’air. Internet et le copié-collé sont passés par là.

Si on reconnaît le plissé d’Issey Miyake qui fut son maître dans les vingt et un livres-vêtements du Japonais Hiroaki Ohya (1970, Kumamoto), le lien est aussi fort sinon plus avec la tradition japonaise du papier plié. On peut appeler copié-collée l’idée de Sarah et Georges Zigrand d’avoir installé ici un coin de lecture. Face à la poésie et à l’esthétique des livres-vêtements Wizard of Jeanz (2001) et Folk (2003-2004), acquis par le Mudam l’année de leur création, Hussein Chalayan (1970, Nicosie), né au croisement des cultures méditerranéenne et anglo-saxonne, a créé au moment de la guerre du Kosovo un manifeste de l’urgence, avec ses robes-fauteuils-housses amovibles, les chaises-valises et la jupe table-basse d’Afterwords. La mode engagée se passe de mots.

L’exposition mirror mirror: cultural reflections in fashion, est à voir au Mudam jusqu’au 18 avril 2022

Marianne Brausch
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