Comprendre la médiation culturelle

Entre planche de salut et cerise sur le gâteau

d'Lëtzebuerger Land du 08.10.2021

Une notion « polyvalente » Depuis les années 1960, le terme « médiation » a envahi tous les domaines de la société (juridique, social…). Dans un sens commun, il désigne une interface entre deux univers étrangers et le travail à faire pour résoudre un conflit dans un contexte où la relation directe est empêchée. Dans le milieu culturel, les œuvres ou les savoirs ne sont souvent pas accessibles directement, ou du moins, certaines de leurs dimensions ne le sont pas. La médiation est donc nécessaire. Un autre écart, entre le public et l’institution culturelle (parfois impressionnante, avec ses codes spécifiques) doit aussi être comblé. Le terme « médiation culturelle » apparaît pourtant assez tard (dans les années 1980/1990 en France), même si l’idée d’une action éducative, elle, date du 18e siècle en Europe et aux États-Unis.

Aujourd’hui, le terme médiation est inflationniste, on en fait de plus en plus et des médiateur∙trice∙s ou encore des chargé∙e∙s ou responsables de médiation apparaissent un peu partout. Pourtant, même si la pratique progresse, on a du mal à la définir, ou parfois, on ne la définit pas, ce qui conduit à nourrir des attentes soit très faibles, soit irréalistes à l’égard des médiateur∙trice∙s. On entend souvent que le terme est polysémique, mais en fait il est plutôt polyvalent : il n’a qu’un sens mais qui prend des orientations différentes en fonction du contexte. Voyons ici quels sens il peut prendre dans le contexte culturel, institutionnel ou académique.

Un grand écart L’enjeu premier de la médiation culturelle est de donner le goût de la culture aux publics, d’apporter du bien-être, de rendre le public autonome et capable de s’approprier les contenus patrimoniaux ou artistiques seul et librement. Elle est aussi censée élargir le public en termes socioculturels en créant du lien entre l’institution culturelle et le∙a visiteur∙euse / spectateur∙trice qui en est potentiellement éloigné. Elle contribue donc à la démocratisation culturelle. Elle est ainsi une pratique politique, voire militante : elle a pour ambition guérir le social. D’ailleurs, re-médier, c’est aussi soigner. L’idée que la médiation culturelle pourrait pallier la fracture sociale peut même mener à considérer que ce processus est plus important que la médiation à la culture / à l’art (Daniel Jacobi parle alors de médiation « orthopédique » ou « compassionnelle »).

La médiation culturelle serait aussi une réponse à des crises, comme la crise environnementale, puisqu’aujourd’hui, on pense la culture et sa médiation comme des piliers du développement durable. De même, lors du confinement de 2020, les institutions culturelles ont été coupées de leurs publics. Elles ont alors spontanément proposé des dispositifs de médiation en ligne : des captations de concerts ou de spectacles, des expositions, l’ouverture de fonds numérisés… Certains réseaux sociaux (qui sont souvent utilisés comme des outils de communication, pour transmettre des informations) sont devenus de véritables outils de médiation au service de la construction ou du maintien d’une relation avec les publics. (Malheureusement, il semble que, dès le déconfinement, cet usage des réseaux sociaux se soit plus ou moins perdu, pour nombre d’institutions.)

La médiation culturelle nourrit donc de grandes ambitions. On lit même qu’elle « est un outil dont le but est de mener ses acteurs et ses bénéficiaires vers quelque chose qui la dépasse, comme la construction de relations humaines, le fait de faire société, ou encore de mener chaque personne à une possibilité de choix et de délibération » (Chaumier et Mairesse 2013). On mesure dès lors l’enjeu prépondérant de cette activité.

Cerise sur le gâteau Et pourtant, la médiation est souvent réduite à autre chose. Pendant longtemps, et parfois encore maintenant, la médiation culturelle désigne la manière dont on transmet des informations ou des connaissances, le plus souvent en face à face (c’est-à-dire par une personne), souvent dans un musée, et plus généralement, à des enfants (pour les adultes, on parle plutôt de visite guidée ou de conférence). Parfois encore, la médiation est confondue avec la communication, la pédagogie, le marketing, la publicité, le service au public, l’accueil, voire la sécurité… Par ailleurs, elle est souvent une mission parmi d’autres, des services communication ou pédagogie.

Ainsi, dans la pratique, la médiation est confiée à des personnes peu (voire pas) formées, peu (voire pas) payées, peu (voire pas) considérées et elle est même de plus en plus souvent externalisée. La∙e médiateur∙rice est alors appelé∙e après le travail de mise en exposition ou de création, pour traduire ou simplifier le propos, un peu comme « une cerise sur le gâteau ».

On observe donc un grand écart entre la médiation « planche de salut » (visant la démocratisation, le lien social, la résorption des crises) et la médiation « cerise sur le gâteau » souvent mise en place, dans les faits. On peut l’expliquer par de nombreuses causes historiques – conflit de légitimité au sein des institutions, contexte économique ou simplement manque de réflexion en profondeur. Mais alors, que pourrait-on raisonnablement en attendre et comment ?

Du point de vue théorique, la médiation est une relation spécifique entre deux pôles, caractérisée par la présence d’un tiers qui facilite l’échange et par la prise en compte de l’action du public dans la communication (le public n’est pas passif). Elle diffère de l’animation socioculturelle, qui accorde une part importante à la dimension d’expression de soi et est un moyen pour mieux comprendre le processus créatif ou innovant, ce qui n’est pas un objectif central de la médiation.

Ensuite, la médiation n’est pas qu’un passage et encore moins une simplification, ancrée uniquement dans une problématique d’apprentissage. On sait en effet, grâce à la didactique et aux études de publics, que le modèle de la transmission ne fonctionne pas : le public n’est pas une page blanche à remplir. On peut alors distinguer la vulgarisation, qui assure la compréhension et l’assimilation des contenus, de la médiation qui est plutôt de l’ordre de la relation aux contenus. La médiation n’apprend pas forcément quelque chose mais elle donne envie d’apprendre ou de comprendre.

Elle se distingue aussi d’une interaction car elle joue un rôle dans le façonnage de l’identité du public et permet une altération progressive du sujet : en d’autres termes, on n’est plus tout à fait le même après avoir pris part à une action de médiation. La médiation produit quelque chose : un état plus satisfaisant, une sensibilité plus grande ou une prise de conscience.

Elle n’est pas non plus le marketing. S’ils ont souvent les mêmes outils d’évaluation, la médiation travaille pour le citoyen : elle fait exister un « nous », une relation aux autres et à la société, un lien social. Par exemple, des espaces sont matérialisés au sol de certains musées pour permettre aux visiteurs de se rencontrer et d’échanger sur les œuvres : la relation recherchée est autant celle avec l’œuvre que celle avec les autres visiteurs. La médiation, c’est ainsi « la production et la matérialisation de relations sociales qui rendent possible l’échange » (Davallon 2004). De ce fait, elle n’est pas qu’un procédé technique, elle est aussi symbolique.

La variété des médiations On distingue ainsi la médiation (comme processus de mise en relation) des médiations comme outils matériels de ce processus. Et les médiations sont donc très variées. Daniel Jacobi (2016) distingue par exemple les médiations :

– de production qui regroupent l’ensemble des activités permettant à l’œuvre d’avoir lieu, à la culture d’apparaître dans l’espace public (création des lieux, programmation, régies...) ;
– et de diffusion, qui regroupent l’ensemble des actions permettant une appropriation des œuvres par les publics : accompagnement oral ou écrit dans l’espace d’exposition…

Et les médiations :

– actives : le médiateur est face au public mais il peut être un guide conférencier, une maraude (qui va à la rencontre des publics) ou encore un animateur d’atelier ;
– et pro-actives : ce sont des outils scriptovisuels (mêlant textes et images), qui sont, pour les expositions par exemple, les avants-textes (synopsis, affiches, flyers, sites internet, dossier de presse), les endotextes (panneau, signalétique d’une exposition), les exo-textes (feuille de sale, journal, livret) et les textes périphériques (catalogues, textes critiques…). On peut aussi ajouter les espaces architecturaux des institutions qui peuvent être pensés comme des médiations (le seuil des musées par exemple).

Tendances Par ailleurs, les médiations suivent des « tendances ». Depuis une vingtaine d’années, elles tendent : 1) à devenir invisibles (c’est ce qu’on peut appeler la désintermédiation) pour donner l’illusion d’une relation immédiate à l’œuvre : par exemple, la visite de sites historiques en réalité augmentée permet d’accéder « directement » au passé (ou du moins en donne l’impression) ; 2) à avoir une forte dimension participative : le public crée des expositions virtuelles, apporte ses connaissances sur une œuvre, contribue financièrement à un projet... ; 3) à être de plus en plus personnalisées : si vous êtes passionné∙e d’histoire, vous accéderez plutôt à un discours historique ; si vous êtes un∙e enfant, vous serez accompagné∙e∙e par une petite mascotte, etc. Et enfin, 4) les médiations tendent à se désegmenter pour être plus inclusives : il n’y a plus une médiation pour les enfants, une pour les personnes porteuses de handicap, etc. ; mais un outil pour tou∙te∙s, avec différents niveaux de lecture…

Ainsi, les projets actuels s’éloignent de plus en plus d’une vision transmissive, descendante ou statique de la médiation. Nous pensons que le numérique n’est pas à l’origine de ces changements de la médiation mais qu’il les accompagne fortement en lui offrant des avenues de développement intéressantes.

D’un point de vue plus général, on voit également à quel point la médiation pourrait être partout, sous des formes très diverses, et dans la plupart des institutions culturelles (pas seulement dans les musées). Par ailleurs, certains outils de communication deviennent des outils de médiation quand ils sont pensés comme tels. Par exemple, le Théâtre d’Esch a créé une présentation de programme papier, fondée sur les émotions du spectateur : d’un outil de communication « classique », on passe à un outil de médiation du spectateur aux spectacles, qui stimule sa curiosité et qui, par ailleurs, passe outre les segmentations classiques du type « spectacle pour enfant » ou « spectacle pour adulte ».

Des pistes De la « cerise sur le gâteau » à la « planche de salut » pour sauver le monde, il n’y a pas de bonne ou de mauvaise définition de la médiation. En revanche, plus on lui assigne des objectifs ambitieux, plus il est nécessaire de se donner les moyens de les atteindre : 1) la médiation devrait donc être définie et particulièrement, ce qu’on en attend : il faut se donner des objectifs clairs (i.e. rendre tel phénomène intéressant, relier le public à tel ou tel élément, provoquer telle émotion…), avec des publics cibles clairement identifiés ; 2) elle devrait être pensée tout au long du processus de création, de production et de diffusion, la préoccupation du public devant être intégrée dès la conception de l’exposition ou du spectacle ; 3) elle devrait être confiée à un·e responsable formé·e (via une formation universitaire poussée et / ou une expérience de terrain), payé·e raisonnablement et reconnu·e pour ses compétences. La médiation n’est ni plus ni moins importante que la communication ou la pédagogie : elle travaille d’autres points. Il faut alors la traiter comme telle : former, payer, intégrer aux institutions. Enfin, 4) elle devrait relever d’une stratégie globale, qui englobe plusieurs outils de médiation, à plusieurs niveaux, et qui auront des effets différents sur divers publics.

À ces quatre conditions, peut-être que la médiation ne changera pas vraiment Le monde (c’est trop lui demander)… mais il est certain qu’elle changera le monde de plusieurs individus !.

Quelle médiation pour les publics éloignés ?

La médiation culturelle est une richesse pour une institution, un territoire et ses citoyen.ne.s. Il est fondamental que se rencontrent des œuvres artistiques et/ou culturelles et un public ne se sentant pas concerné – ou n’arrivant pas à s’identifier ces propositions. Le public dit « éloigné » ou « empêché » peut découvrir un lieu, une programmation et des projets grâce à la médiation.

En quoi consiste alors le travail de médiateur.ice ? Tout repose sur la mise en place de plusieurs actions telles que la rencontre, la création de liens, l’identification, la mise en confiance, le partage et la transmission. Un accompagnement de qualité se définit en fonction de l’approche, de la prise en compte de chacun.e et de l’adaptation. Un médiateur ne travaille pas de la même manière avec un groupe de jeunes mineurs isolés ou avec un groupe de femmes victimes de violences conjugales. La médiation doit absolument être adaptée à chaque public. Les problématiques de vies, les envies et les identifications ne se situent pas au même endroit. Il est également nécessaire d’adapter son langage et d’avoir une approche pertinente en fonction du groupe et de ses individualités. La première expérience avec un public est primordiale. La compréhension tout comme la valorisation sont deux éléments qui donnent le ton.

L’enjeu n’est pas de faire aimer la proposition artistique à tout le groupe mais de l’inviter à s’interroger, à lui donner envie d’aller assister à d’autres formes d’art et à lui faire comprendre qu’ielles peuvent être intéressé.e.s par l’art et la culture. La médiation culturelle permet de toucher les curieux.ses qui s’ignorent. Laurie Dalle Nogare (Chargée des relations avec les publics au Théâtre national de Strasbourg)

Davallon J. 2004. La médiation : la communication en procès ?. MEI « Médiation & Information », 19 : Médiations et Médiateurs, l’Harmattan, p. 39-59.

Jacobi D., Textexpo. Produire, éditer et afficher des textes d’exposition, Dijon, Éd. de l’Office de coopération et d’information muséale, 2016, 98 pages

Chaumier S. et Mairesse F. 2013. La médiation culturelle. Armand Colin

Céline Schall
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