Cuba

Une révolution menacée

d'Lëtzebuerger Land vom 05.08.2011

C’est étrange. Nombreux sont ceux qui ont visité Cuba il y a dix ans et qui sont revenus enthousiastes et convaincus. L’image d’une île sociale où l’harmonie règne aurait été confirmée. Aujourd’hui, le bilan du voyageur, observateur averti, est plus mitigé. Alors que les discours de la gauche européenne, s’il y en a une, chantent souvent les éloges de Cuba et du système castriste qui est non rarement élevé comme alternative au capitalisme impérialiste, les réalités sur le terrain sont moins dichotomiques.

Bien sûr, il faut remettre Cuba dans son contexte. Évidemment, il ne faut pas comparer les réalités cubaines avec les réalités européennes ni avec les réalités africaines. Plutôt faut-il essayer d’éclairer la situation cubaine à la lumière des situations dans les îles et pays environnants. Par rapport à l’Amérique latine, Cuba est plutôt en tête en ce qui concerne le développement social et humain. Selon l’indice de développement humain (IDH) des Nations Unies, Cuba occupe la 52e place sur 182, ce qui est qualifié comme un « IDH élevé ». Le Venezuela occupe la 59e place, le Brésil la 75e place et les îles voisines, la Jamaïque et Haïti respectivement, la 100e et la 149e place.

Tout le monde connaît les acquis de la révolution cubaine de 1959. Un système d’éducation gratuit, université incluse, un système de santé gratuit et assez performant, pour ne citer que les plus fameuses conquêtes du peuple cubain. Pourtant, les luttes pour les acquérir, bref, la révolution, semblent bien loin aujourd’hui.

À Cuba, tout le monde est d’accord pour reconnaître que « la révolution était bien, au début ». Cette phrase, nous l’entendons souvent. Mais, au plus tard depuis la crise des années 1990, les gens doutent et l’unanimité régresse.

Les plus jeunes ne doutent même plus. Eux, ils n’y ont jamais trop cru. « Ils n’ont pas grandi avec les luttes et les enjeux qui entouraient la révo[-]lution, », nous explique une vieille dame. Cela fait maintenant un demi-siècle. Les jeunes d’aujourd’hui ressemblent, comme le dirait l’historien français Marc Bloch, plus à leur temps qu’à leurs parents. Pour dire que les jeunes de Cuba rappellent les jeunes de n’importe où. Ils rêvent. D’argent. De voyages. De perspectives.

« Nous réfléchissons comme un pays développé mais nous sommes un pays en développement ». Cette citation d’un jeune Cubain explique la complexité des réalités de Cuba. S’y mêlent aspects très progressistes à des aspects plus sombres. D’un côté, on y a une espérance de vie de 79 ans et de l’autre côté, l’économie est à terre. Évidemment, il ne faut pas oublier les effets néfastes qu’a l’embargo sur l’économie cubaine. Il demeure que les contrastes, voire les incohérences du système cubain sont frappants.

Des diplômes universitaires en poche et des salaires de 20 à 30 euros en moyenne par mois, cela ne tient pas bien ensemble. Du coup, les universitaires cherchent à rentrer dans le secteur du tourisme, le seul secteur « où l’on peut faire de l’argent », car oui, les jeunes, comme ailleurs, cherchent les sous, les fringues, les fêtes.

C’était le tourisme qui devait sauver la révolution, en 1993. La crise, après la chute en 1991 du principal partenaire, l’Union soviétique, allait presque faire tomber le régime. C’était soit ouvrir les frontières douces et chères aux touristes, soit risquer de tout perdre. Maintenant, il semble qu’on est en train de perdre progressivement.

Or, le tourisme a non seulement introduit les sous et le bling bling, mais aussi les regards envieux. La liberté, les perspectives sont devenus les idéaux des jeunes Cubains. Mais ce n’est pas seulement le tourisme qui est en cause. En 1993, lors de la « catastrophe », l’on avait légalisé le dollar. Depuis, c’est la détention du dollar et de son équivalent, le dollar cubain convertible, le CUC$, qui fait la différence. Et depuis, l’on voit de plus en plus d’inégalités socio-économiques.

C’est frappant. Le visiteur qui vient, naïvement, en pensant qu’à Cuba, tout le monde va bien, est vite mis à sa place. Ceux qui ont de la famille aux États-Unis d’Amérique et qui possèdent des dollars, possèdent un pouvoir d’achat plus élevé. Et nombreux sont les articles qui se vendent en CUC$, c’est-à-dire à un prix quasi-européen avec les effets fatals que ça a pour une famille plus simple.

Les inégalités, ça se voit et ça se sent. Des bouteilles de vin français dans la vitrine de telle boutique, pourtant pas dans un quartier touriste, les vêtements friqués sur telle personne, des gens qui mendient, des gens dans la rue. L’hiérarchie sociale n’est pas absente ici. À certains endroits, on oublie qu’on est à Cuba.

On a dit au revoir à l’égalité. Il y en a même qui nous avancent que « Cuba est devenu capitaliste ». Si cette affirmation est sans doute exagérée, elle n’est pas dépourvue de signification. La vague de libéralisation déclenchée par le nouveau Président Raoul Castro, le frère de Fidel Castro, soulage les uns et angoisse les autres.

Si jusqu’à peu, il n’y a pas eu de secteur privé à Cuba, dorénavant, il y en a un. Une personne privée peut maintenant vendre ses services, par exemple comme guide touristique, comme coiffeuse, ou encore comme masseur. Ce secteur va « permettre de nouvelles opportunités aux jeunes » selon une dame de la cinquantaine. Les demandes des jeunes affamés d’opportunités nouvelles seront, peut-être, progressivement, satisfaits.

Parallèlement à cette nouvelle qui est accueillie plutôt positivement par les masses, une autre inquiète. La libretta, le fameux carnet qui permet à tout Cubain de s’approvi-sionner en produits subventionnés, doit, progressivement, disparaître. De même, des entreprises publiques vont dégraisser. Tout cela annonce des temps au moins incertains.

Si cette vague de libéralisation doit de nouveau « sauver la Révolution » ou l’adapter au contexte d’aujourd’hui, l’on peut pourtant s’interroger si ces réformes pourront encore répondre à cette finalité. Est-ce qu’un compromis est réaliste ? Est-il tenable ?

À l’image de la différence d’âge entre les dirigeants cubains et les jeunes, l’on peut considérer la différence de conception de la vie. Si les vieux de la quatrième et la troisième génération sont tout plein de la Révolution, occupés à la protéger de la menace impérialiste américaine, les jeunes de la première génération, surtout, n’ont pas l’esprit disposé de cette façon. On a franchement l’impression qu’ils n’en ont rien à foutre.

S’agit-il d’un conflit de générations ? La dépolitisation des plus jeunes, même s’il y a des jeunes militants de la Révolution et de sa cause, est pourtant un fait que chacun reconnaît. Nombreux sont ceux, de la deuxième et surtout de la troisième génération, qui soulignent que les jeunes se sont laissés corrompre. « La perte de valeurs » qu’ils déplorent est la menace interne qui vient s’ajouter à la menace externe.

Du coup, l’étranger ressent un malaise par rapport à l’omniprésence des affiches rappelant le « Che » et l’héros national, Jose Marti, ainsi que les valeurs à la base du socialisme. Ces messages sont-ils l’expression du peuple ou bien s’agit-il d’une tentative crispée de sauver quelque chose qui est déjà perdu ?

S’agissant d’une réalité bien distincte et bien complexe, impossible de donner une réponse définitive. Sans doute y a-t-il différentes opinions selon les positions de chacun. Il reste à espérer que Cuba trouvera sa voie dans le calme et que d’autres ne se mêlent pas de sa quête.

Nathalie Oberweis
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