d’Land : Vos activités ont été violemment perturbées en mars 2020. Ont-elles repris ?
Sylvie Schmit : Du jour au lendemain, des restrictions ont été imposées. Les frontières ont été fermées. Le robinet de l’expatriation a forcément été fermé. Nous avons alors fourni beaucoup d’aide psychologique. C’était presque un autre modèle de travail : Nous nous sommes occupés de jeunes expatriés, certains arrivés la veille. D’autres qui étaient loins des leurs. Monsieur ici, madame et les enfants dans leur pays. Nous avions affaire à des Indiens dont le papa était mourant. Ce n’était pas facile du tout. Le marché s’est rouvert tout doucement à l’hiver 2020. Nous avons recommencé en mode virtuel, notamment pour les visites, ce que l’on ne faisait pas avant. Nous montrions les biens sans que la personne ne soit physiquement présente puisqu’elle ne commençait à travailler que quelques mois plus tard.
Mais le volume a-t-il atteint son niveau d’avant-crise?
En début d’année, nous avons reçu beaucoup de commandes pour des gens qui arrivaient en mai, juin, juillet. On avait des blocs de clients. Dans les écoles, nous prévoyions ceux qui allaient partir et ceux qui les remplacent. Même chose chez les auditeurs ou les services financiers. Nous avons eu des grappes de dix quinze commandes en une fois. Tout ce qui avait été prévu a été repoussé, puis libéré par vagues. Au lieu de s’échelonner sur toute l’année. Cela a été un boom.
Vous constatez au jour-le-jour la métamorphose du paysage économique...
Nous jouissons d’un point de vue privilégié sur l’économie. On voit ce qu’il s’y passe. Nous accompagnons aussi ces changements. Nous sommes régulièrement en contact avec des ministères et nous discutons de ce qu’il est possible de faire pour les sociétés. En outre, nous vivons au jour le jour avec les clients, leur joie et les problèmes, qu’il faut aborder avec discrétion.
Les banques ne sont plus vos seuls clients comme elles auraient pu l’être il y a vingt ans ?
Nous travaillons avec des sociétés IT, des start-up, des banques. Il peut s’agir de PME comme d’entreprises internationales, comme des géants américains de la banque ou du e-commerce… Et on constate une réelle diversification économique avec des sociétés de l’espace, de l’automobile, de l’informatique, des services, du médical en sus des banques.
Vous ne travaillez donc pas qu’avec des salariés qui gagnent plus de cent k€ ?
Non, non, non. Nous travaillons aussi avec des gens qui gagnent entre 35 et 40 000 euros. 80 pour cent des clients sont des travailleurs salariés et une grande partie sont des « cartes bleues », des talents recrutés à l’étranger. Et qui gagnent plus de 80 000 euros.
Qui sont les expats du Grand-Duché? Observez vous une diversification des profils également ?
Depuis deux ou trois ans, c’est très dynamique dans le secteur de l’espace ou des satellites par exemple. Et ce ne sont plus seulement des Américains. Beaucoup viennent de l’Est, de sociétés asiatiques notamment. On constate un manque de profils adéquats au niveau national ou dans la Grande Région. Il faut donc aller chercher des gens de plus en plus loin. Ce qui amène une population très hétérogène. Nous avons des clients originaires de Russie, d’Inde, de Chine, de Roumanie, d’Afrique du Sud, de l’Île Maurice, d’Afghanistan ou encore des Philippines. Même dans le secteur des transport, les chauffeurs de la région veulent rentrer chez eux le soir. Il faut chercher des profils dans les pays de l’ex-Yougoslavie.
Est-ce qu’il y a eu un changement au niveau de la durée du séjour ?
Nous servons des expats typiques : Des salariés de banque qui restent pour deux-trois ans, avec ou sans enfants, puis qui s’envolent vers une autre juridiction. D’autres sont là pour une durée indéterminée. Ils acceptent un job et se sédentarisent. Je dirais qu’il y a vingt pour cent d’expats qui arrivent et repartent par roulement et le reste sont des permanents. Ensuite, nous travaillons pour des gens qui s’installent au Luxembourg pour des raisons fiscales. Nous sommes en relation avec des family offices. Certains développent une activité économique et d’autres viennent comme ça, en provenance de Russie, de Chine, des pays limitrophes ou de Suisse, ce qui arrive régulièrement. Mais il y a aussi beaucoup de contrôles. On ne peut pas utiliser la résidence comme une boîte aux lettres. Il faut qu’ils vivent vraiment ici. Nous leurs conseillons de louer avant d’acheter afin qu’ils découvrent le pays.
Y-a-t’il des tropismes pour ces populations en termes de quartiers ?
Oui il y en a. Ils se regroupent un petit peu. Par exemple, beaucoup de Britanniques habitent entre l’aéroport et la Moselle où il y a beaucoup de verdure et de grands espaces. Mais la proximité de l’école constitue une priorité dans le choix du logement.
Décrivez-nous votre métier un petit peu plus en détails svp ?
Nous fonctionnons avec une série de check lists : recherche d’un logement, ouverture du compte en banque, papiers d’immigration pour les extra-européens, inscription à l’école… cela dépend de la mission assignée. On s’occupe même du transport et de l’enregistrement des animaux. La semaine prochaine, une famille part avec ses six chiens aux États-Unis.
Les frontières des États-Unis ont rouvert cette semaine. Connaissez vous un regain d’activité ?
Ça recommence. Mais c’est avec le Brexit qu’on a eu beaucoup de travail. Nous avons mis en place une équipe dédiée. Cela valait la peine. Les Anglais ne pouvaient pas venir facilement au Luxembourg. Mainternant, ils doivent être vaccinés. D’ailleurs, nous regardons en permanence les évolutions des restrictions, pour toutes les provenances. Des gens viennent habiter au Luxembourg, mais aussi certains à Trèves, à Thionville ou à Arlon. Parce que les loyers sont moins élevés ou que leur famille y habite.
Dans quelle mesure le prix de l’immobilier est-il un problème ?
Les loyers ont plafonné pendant un temps, mais ils sont repartis à la hausse. Ce qui me désole un peu, ce sont les petits jeunes des Big Four ou autres qui débarquent et à qui l’on demande cinq mois de loyer à payer d’un coup entre la garantie, le premier mois et la commission d’agence. Pour certaines nationalités, c’est plus difficile que pour d’autres. Certains propriétaires n’y mettent pas du leur. Des investisseurs préfèrent voir leur bien inoccupé plutôt que de réduire le loyer d’une centaine d’euros. Des gens vont renoncer à venir habiter au Luxembourg et vont privilégier un logement en France ou en Allemagne, à une heure de route. Certains propriétaires ne sont pas flexibles non plus dans le choix des locataires.
Le deal capote parfois à cause de l’immobilier ?
Parfois, le salarié décide de ne pas venir du tout parce que l’immobilier est trop cher, oui. En plus, des propriétaires se bornent refuser des clients parce qu’ils jugent leur salaire pas assez élevé, parce qu’ils ne veulent pas louer à une personne « comme ça » ou parce qu’il y a des enfants ou des animaux ou même six mois de période d’essai.
Est-ce que le Luxembourg en tant que destination pour expatriés ne devient pas moins attractive à cause de l’immobilier ?
Je ne pense pas. Mais je me désole quand je constate que certaines sociétés ne préviennent pas leurs expats de la situation immobilière. On trouve souvent des juniors qui avec un salaire de début de carrière entre 3 000 et 4 000 euros ont vraiment des difficultés à trouver un logement.
Les régimes fiscaux pour les impatriés fonctionnent-ils?
Oui, ça marche. Le Luxembourg présente un certain nombre d’avantages de ce point de vue pour les entreprises. Cela peut être des déductions en nature comme le logement, l’école, l’assurance, etc.
Quels changements majeurs d’ordre sociétal relevez vous ces dix-vingt dernières années ?
Les femmes bougent de plus en plus pour des raisons de carrière. Dans de nombreux cas, l’épouse a un travail et l’époux reste, dans un premier temps, à la maison. Un membre du couple peut même sacrifier son emploi pour répondre à l’opportunité de l’autre pourtant moins qualifiée ou rémunérée. De temps en temps on cherche un job pour madame ou pour monsieur qui a une qualification plus haute que l’expat qui vient d’être recruté. On va essayer de placer le partenaire via notre réseau. Il nous arrive de voir un poste être créé en proposant le profil.
Est-ce que plus de familles se déplacent ?
C’est un bon mix. Mais on voit toujours beaucoup de célibataires. Il y a de plus en plus de missions plus courtes. L’employé vient pour une durée qui ne nécessite pas de déménager sa famille, notamment au moyen du business travel. Il travaille quatre jours par semaine localement, puis repart auprès de sa famille. Avec le Covid-19, les gens ne déménagent plus aussi facilement. Beaucoup attendent de voir comment la situation évolue. En plus, déménager avec un enfant coûte plus cher à la société cliente. L’école est souvent payée par la société, mais de moins en moins. Cela dépend des négociations. C’est en général une école privée comme St Georges ou l’ISL. Car les écoles publiques européennes sont pleines pleines. C’est terrible.
Avant d’atterrir, quelle est l’idée que les expats se font du Grand-Duché?
Un pays doté d’une bonne qualité de vie. Un pays calme, bien pour les enfants, économiquement stable. Un pays où l’on gagne pas mal d’argent, mais où la vie coûte cher aussi. Où il y a des possibilités d’évoluer professionnellement parlant.
Aucun changement de mœurs ?
Nous constatons régulièrement une sorte de petit choc culturel. Les gens tentent d’imposer leur culture. Ils tentent de contourner les dispositions en fonction de ce qui les arrange. Des clés à remettre par anticipation, un bail à reculer faute de permis. Au Luxembourg, on se tient aux engagements. Je vise cette génération de l’instantané habituée à WhatsApp. Ils vont vous appeler durant le weekend. Il faut leur dire qu’ici les agences ferment à cinq ou six heures et qu’on ne donnera pas de réponse avant un certain temps. Des gens de pays anglo-saxons ou de l’est qui ne comprennent pas la culture locale.
Comment vous définiriez la culture locale ?
On doit expliquer aux jeunes que ça va être différent de leur pays. Il faut leur expliquer qu’ici on ne va pas avoir un plombier à 22 heures comme aux États-Unis. Le plombier, il ne va même peut être pas venir endéans 24 heures. Il faut leur expliquer le droit du travail. Vous allez peut être devoir attendre deux trois jours avant la réparation. Ou le propriétaire va réclamer un devis, etc.
C’est le décalage entre un pays conservateur et une jeunesse demandeuse de plus de flexibilité ?
Non, on a quand même pas mal évolué. Les magasins sont ouverts à midi. Certains étrangers se plaignent de ne pouvoir faire leurs courses le soir ou le dimanche.
Comment marche un service de relocalisation
Des entreprises (majoritairement) et des particuliers sollicitent la relocation (selon le terme anglais) pour accompagner leur installation sur un nouveau territoire pour des motifs respectivement professionnels ou fiscaux.
European Relocation Services, fondée en 2004, et ses dix salariés opèrent sur les flux entrants (inbound) et sortants (outbound). Elle facture à la carte, selon les services requis (visa, recherche de logement, installation administrative, déménagement, recherche de véhicule, recherche d’école, etc) et pas selon le salaire de l’impatrié.