La loi relative au vivre-ensemble interculturel était débattue ce jeudi à la Chambre des députés. Elle introduit un changement de vocabulaire plus qu’une réelle évolution de la participation citoyenne

Rien que des mots

Le vivre-ensemble suppose des efforts de tous
Photo: Sven Becker
d'Lëtzebuerger Land du 21.07.2023

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Au cours des cinquante dernières années, 630 000 personnes ont immigré au Grand-Duché, soit pas loin de la population actuelle du pays (660 809 habitants). Cet apport étranger représente l’essentiel (80 pour cent) de la croissance démographique du Luxembourg et près de la moitié (48 pour cent) des résidents, auxquels il convient d’ajouter autour de 200 000 frontaliers. « La diversité vécue au Luxembourg est unique en Europe et apporte une grande richesse à notre pays. Toutefois, cette diversité entraîne aussi de nouveaux défis en ce que les besoins des résidents et frontaliers deviennent de plus en plus hétérogènes », note le rapport de la commission de la Famille et de l’Intégration concernant le projet de loi relative au vivre-ensemble interculturel (8155).

« Avec une diversité de plus en plus grande selon l’origine des gens et leurs motivations de s’installer au Luxembourg, il est essentiel de veiller à ce que les structures du Luxembourg soient continuellement adaptées, ceci afin de garantir que chacun puisse se sentir chez soi au Grand-Duché », prône l’exposé des motifs. Selon les pays et les choix politiques en vigueur, il existe différents concepts pour structurer l’accueil des immigrés et leur parcours de vie dans leur pays de destination. Jusqu’à présent, le Luxembourg a opté pour le terme d’« intégration », ce qui est lisible dans l’intitulé de la loi de 2008 « concernant l’intégration des étrangers au Grand-Duché de Luxembourg ». Après une large consultation de la société civile et des acteurs œuvrant dans le domaine (plus de 70 avis et différents sondages auprès de 130 acteurs), le terme de « vivre-ensemble interculturel » a été retenu comme ligne directrice des futures décisions politiques en la matière. Vivre-ensemble décrit implicitement un effort des résidents en place et des nouveaux arrivants, donc un effort bidirectionnel. L’idée est de dépasser la question de l’intégration et l’assimilation pour aller vers l’acceptation des différences et le fait de laisser à chacun la possibilité de garder sa propre identité culturelle tout en respectant celle de l’autre.

Le concept du vivre-ensemble a été popularisé depuis une décennie par l’Asti dans son leitmotiv « vivre, travailler et décider ensemble ». L’association salue donc ce choix de mots tout en regrettant l’épithète « interculturel » qui lui semble limitatif. En revanche, le Clae se félicite de ce qualificatif qu’il porte depuis de longues années. « Nous préférons interculturel à multiculturel car cela suppose qu’il y a plus de points commun et d’interférences entre les cultures », insiste Anita Helpiquet, chargée de direction. À l’idée de vivre-ensemble, la plate-forme associative met en avant celle de « faire société » qui met plus « l’accent sur la participation qu’elle soit politique, civile, citoyenne, associative ». Au-delà de ces divergences sémantiques, dont le projet de loi fait la synthèse, les deux principales associations qui portent les questions de migrations et d’accueil reçoivent favorablement ce que le projet de loi appelle « un changement de paradigme ».

Outre ce passage d’« intégration » à « vivre-ensemble », le texte introduit un autre changement de taille. Il ne parle plus seulement « d’étrangers séjournant légalement sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg et souhaitant s’y maintenir de manière durable », mais intègre « les personnes résidant ou ayant leur lieu d’emploi au Luxembourg ». Les travailleurs frontaliers, les demandeurs et bénéficiaires de protection internationale, mais aussi les personnes de nationalité luxembourgeoise sont concernés. Lors de sa présentation à la Commission parlementaire, la ministre de la Famille et de l’Intégration, Corinne Cahen (DP) qui porte le texte citait l’exemple de la descendance d’émigrés luxembourgeois qui disposent de la nationalité luxembourgeoise sans pour autant maîtriser une des langues du pays. Cet élargissement des cibles est également apprécié par les associations qui y soulignent « une vision de la société qui fait écho au concept de citoyenneté de résidence » (selon l’avis du Clae).

Cependant tant l’Asti que le Clae dénoncent une réforme peu ambitieuse. « Le simple remplacement de mots ne peut que très difficilement s’apparenter à un changement de paradigme », pointe la première. « Le projet de loi se contente des mêmes instruments qui ont pourtant montré leurs limites par le passé », regrette la seconde. Transformer le « contrat d’accueil et d’intégration » en un « pacte citoyen du vivre-ensemble interculturel » ne permettra pas de « relever l’ensemble des défis posés par l’inscription citoyenne des personnes venues en migration », souligne Anita Helpiquet. Elle parle de « grande déception » face à ce texte qui ne va pas assez loin pour « garantir l’égalité des droits et l’égalité d’accès, notamment en ce qui concerne le marché du travail, le logement, la santé, l’école, la formation alors que le pays reste marqué par de nombreuses inégalités sociales ». La plateforme fustige aussi une « vision restreinte et purement institutionnelle » de la participation citoyenne. La chargée de direction du Clae considère qu’il est erroné de ne passer que par le niveau local (les commissions communales du vivre-ensemble interculturel) comme « seul chemin de l’engagement citoyen ». Elle pointe « l’ironie, si pas le cynisme de voir écartées les associations issues et héritières de l’immigration qui ont joué un rôle essentiel dans l’histoire de l’émancipation citoyenne ».

Même son de cloche à l’Asti. Dans son avis, elle « regrette que la loi reste muette sur l’importance des bénévoles qui s’engagent dans des associations pour promouvoir le vivre-ensemble ». Les dispositifs prévus, comme le Conseil supérieur du vivre-ensemble interculturel devraient compter plus de représentants d’associations : « On reste sur notre faim. C’est une erreur que de vouloir ramener tout à l’action de l’État, que ce soit au niveau de l’administration gouvernementale ou au niveau des communes », martèle Sérgio Ferreira, son porte-parole. Il se réjouit cependant de la fin du Conseil national pour étrangers dont les contours, la désignation et les missions n’étaient pas clairs. « La représentativité des ressortissants étrangers et le déficit démocratique existant restent des aspects essentiels sur lesquels nous allons continuer à nous battre. » Il estime qu’il est temps de passer outre le traumatisme du référendum de 2015, « sans négliger les peurs ». Aussi, il appelle à un débat plus large et à une réflexion sur des étapes intermédiaires pour assurer une meilleure représentation, avant un droit de vote aux non-Luxembourgeois aux législatives. « La chambre des députés ne représente pas la diversité et la complexité de la société. On pourrait envisager en parallèle une chambre des citoyens, plus de référendums locaux, des votations au niveau communal pour être plus conforme à l’intérêt général. » Ce débat aurait pu avoir lieu dans le cadre de cette loi. Mais les consultations préalables ont duré de longs mois et le projet arrive au parlement en fin de législature, avec des dizaines d’autres qui doivent être évacués rapidement. « C’est très regrettable. Et même si la Chambre pouvait discuter, ce sera au détriment d’un large débat publique que cette réforme mériterait. »

Les deux associations, rejointes par l’avis du Syvicol, plaident pour une approche plus transversale de la question de l’accueil et de l’intégration. Ainsi, le Clae revient sur son idée de la création d’un ministère de la Citoyenneté, qui, « en dépassant le concept d’intégration pour s’appuyer sur une inscription citoyenne de tous dans la société, permettrait à l’ensemble des citoyens de construire leur devenir commun ». Anita Helpiquet estime que ce ministère doit être « plus puissant et plus écouté que l’actuel comité interministériel à l’intégration, avec des compétences élargies pour faire en sorte que les difficultés concrètes des personnes venues en migration soient prises en compte par des réponses qui ne sont pas uniquement sociales, mais aussi culturelles et associatives. » Elle cite son ancien collègue, Jean Philippe Ruiz qui regrettait qu’on « enferme toujours l’immigration dans les jupons du social ».

France Clarinval
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